Le rôle du contexte à propos du niqab

 

Le con­tex­te est important.  Dis­so­cier le niqab de ses con­tex­tes reli­gieux, soci­aux et poli­ti­ques et en fai­re une simp­le ques­ti­on de “choix”, c’est pas­ser à côté de beau­coup de nuan­ces et de com­ple­xi­té. Ce con­tex­te plus lar­ge est éga­le­ment per­ti­nent pour la Suis­se. L’i­gno­rer ne le fera pas disparaître. 

Le 7 mars 2021, le peu­p­le suis­se se pro­non­ce­ra sur l’in­itia­ti­ve “Oui à l’in­ter­dic­tion de se dis­si­mu­ler le vis­sa­ge”. A l’ap­pro­che de la vota­ti­on, Andre­as Tun­ger-Zanet­ti a édi­té un liv­re inti­tu­lé Ver­hül­lung: Die Bur­ka-Debat­te in der Schweiz et qui com­prend des con­tri­bu­ti­ons d’auteur.rice.s don­nant des argu­ments cont­re l’interdiction.

Le profil des femmes qui portent un niqab en Europe occidentale

Ce liv­re, se basant sur d’au­tres étu­des menées dans plu­sieurs pays, éta­blit le pro­fil des femmes qui por­tent un niqab en Suisse.

La gran­de majo­ri­té d’entre elles est née ou est arri­vée dès son plus jeu­ne âge dans le pays d’Europe occi­den­ta­le où elle vit encore aujourd’hui (notam­ment en Gran­de-Bre­ta­gne, en Fran­ce, en Bel­gi­que ou aux Pays-Bas). Les femmes qui por­tent le niqab ont ent­re 18 et 35 ans ; près de la moi­tié d’entre elles ont décou­vert la reli­gi­on à l’adolescence, soit par­ce qu’elles se sont con­ver­ties à l’islam, soit par­ce qu’elles ont gran­di dans une famil­le d’origine musul­ma­ne mais laï­que. De nombreu­ses femmes niqa­bées euro­péen­nes ont une bon­ne édu­ca­ti­on et cer­tai­nes ont un emploi rému­n­é­ré. Au Royau­me-Uni, la pro­por­ti­on de cel­les ayant fait des étu­des supé­ri­eu­res et ayant un emploi est d’ailleurs net­te­ment plus éle­vée que sur le res­te du con­ti­nent euro­péen. De plus, ces femmes por­tent le niqab de leur plein gré, com­me un acte d’émancipation.

Je ne con­tes­te pas les con­clu­si­ons de mes col­lè­gues en ce qui con­cer­ne ce type par­ti­cu­lier de femmes qui por­tent un niqab en Euro­pe. Il s’a­git de femmes qui se sont con­ver­ties à l’Is­lam ou qui ont vécu une “renais­sance musul­ma­ne”, choi­sis­sant de viv­re dans un type d’Is­lam rigo­ris­te très spécifique.

Mais tout com­me leurs par­ten­aires mas­cu­lins, elles ont sou­vent ten­dance à être des mili­tan­tes mis­si­onn­aires. Elles socia­li­sent au sein d’un réseau for­mé de per­son­nes par­ta­ge­ant les mêmes idées, dans une situa­ti­on qui s’apparente à une sec­te. C’est pour­quoi cel­les et ceux qui par­t­agent leur appar­ten­an­ce reli­gieu­se sont dési­gnés com­me des “sœurs” et des “frè­res”. Aux per­son­nes qui rejoig­n­ent cet­te sec­te, on dit que “l’Islam efface la vie anté­ri­eu­re” (الإسلام يجَّبُ ما قبله). En d’autres ter­mes, une fois que vous avez déci­dé d’adhérer, vous deve­nez une nou­vel­le personne.

Les missionnaires d’un Islam puritain

Le mes­sa­ge est clair. Com­me cha­que femme est sexu­el­le (عورة), tout ce qui le rend visi­ble doit res­ter caché : sa voix, son visa­ge, ses mains, ses pau­mes et même ses pieds lorsqu’elle prie. Les fil­les doiv­ent por­ter le hijab dès l’âge de six ans et tou­te fil­le qui a un corps aux for­mes sus­cep­ti­bles d’éveiller les désirs sexu­els des hom­mes doit éga­le­ment por­ter le niqab. Les femmes et les fil­les ne doiv­ent pas non plus por­ter de vête­ments ajus­tés devant leurs père, frè­res et oncles, com­me les hom­mes ne dev­rai­ent pas être exci­tés sexu­el­lement par leurs fil­les, sœurs ou nièces.

Ce qui frap­pe dans l’étude de Tun­ger-Zanet­ti et dans d’autres aux­quel­les il se réfè­re, c’est la non pri­se en comp­te des con­tex­tes idéo­lo­gi­ques, poli­ti­ques et soci­aux entou­rant le port du niqab dans les pays euro­péens. Il sem­ble que le niqab soit sor­ti de nulle part et que ces femmes aient déci­dé de le por­ter sur un simp­le coup de tête.

Mais pour­quoi tou­tes ces femmes choi­si­rai­ent-elles libre­ment de por­ter un niqab ? D’au­tant plus que le niqab est désor­mais con­sidé­ré com­me une tra­di­ti­on mar­gi­na­le, con­tro­ver­sée même au sein des pays musul­mans, qua­li­fiée d’ex­trê­me et reje­tée par l’is­lam tra­di­ti­on­nel. Même la plus hau­te auto­ri­té reli­gieu­se de l’is­lam sun­ni­te, le cheikh d’Al Azhar, qui n’est pas exac­te­ment con­nu pour ses posi­ti­ons éman­ci­pa­tri­ces, a décla­ré publi­que­ment dans une émis­si­on de télé­vi­si­on que le niqab était une “cou­tume et non un com­man­de­ment reli­gieux” et qu’il est le pro­du­it d’u­ne “opi­ni­on ess­eu­lée” dans la juris­pru­dence isla­mi­que [1].

Enseignements salafistes sur les femmes

Per­son­ne n’af­fir­me­ra qu’on pou­vait voir le niqab dans les rues d’É­gyp­te ou de Tuni­sie dans les années 1960. On ne le voyait pas non plus dans les rues de Bir­ming­ham ou de Lei­ces­ter en Gran­de-Bre­ta­gne à l’é­po­que, ni dans les ban­lieues fran­çai­ses, ni à Molen­beek en Bel­gi­que. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Par­tout où des inter­pré­ta­ti­ons néo-fon­da­men­ta­lis­tes de l’Is­lam, avec leurs struc­tures et leurs res­sour­ces, appa­rais­sent en Euro­pe occi­den­ta­le, le niqab ne tar­de pas à suiv­re. Il s’a­git d’un lien cau­sal et non d’u­ne simp­le cor­ré­la­ti­on fortuite.

Étant don­né leur per­ti­nence, je me con­cen­tre­rai ici sur les ens­eig­ne­ments sala­fis­tes con­cer­nant les femmes et leurs carac­té­ris­ti­ques théo­lo­gi­ques — et en par­ti­cu­lier sur la for­me mis­si­onn­aire quié­tis­te du sala­fisme. Ceux-ci se fon­dent sur les opi­ni­ons reli­gieu­ses des cheikhs, qui sont con­sidé­rés com­me des auto­ri­tés sain­tes par leurs fidèles.

Agnès De Féo, que Tun­ger-Zanet­ti cite abon­d­am­ment, n’a jamais nié l’in­flu­ence que les pré­di­ca­teurs des mou­ve­ments sala­fis­te et Tab­ligh avai­ent dans les ban­lieues fran­çai­ses. Elle leur a con­s­a­cré plu­sieurs cha­pi­tres dans son liv­re de 2020, Der­riè­re le niqab — 10 ans d’en­quê­te sur les femmes qui ont por­té et enle­vé le voi­le inté­gral. Dans une inter­view récen­te, elle a notam­ment men­ti­onné les cheikhs saou­di­ens qui sont la source d’in­spi­ra­ti­on des femmes portant le niqab dans son étu­de : Ibn Baz, Ibn Uthay­min et al-Alba­ni [2].

Que prêchent ces cheikhs aux femmes?

La répon­se se trouve dans un liv­re de 528 pages qui por­te le tit­re de „The Fat­was (reli­gious edicts) on Women“. Celui-ci décrit les opi­ni­ons reli­gieu­ses des cheikhs à pro­pos des femmes, de leur corps et com­ment elles doiv­ent se com­porter [3].

Le mes­sa­ge est clair. Com­me cha­que femme est sexu­el­le (عورة), tout ce qui la rend visi­ble doit res­ter caché: sa voix, son visa­ge, ses mains, ses pau­mes et même ses pieds lors­qu’el­le prie. Les fil­les doiv­ent por­ter le hijab dès l’â­ge de six ans mais tou­te fil­le qui a un corps gal­bé sus­cep­ti­ble d’é­veil­ler les désirs sexu­els des hom­mes doit éga­le­ment por­ter le niqab. Les femmes et les fil­les ne doiv­ent pas non plus por­ter de vête­ments ser­rés devant leurs père, frè­res et oncles, tout com­me les hom­mes ne doiv­ent pas être exci­tés sexu­el­lement par leurs fil­les, sœurs ou nièces.

La sépa­ra­ti­on des sexes suit un ord­re divin qui vise à pro­té­ger les deux sexes cont­re la ten­ta­ti­on. Pour la femme, et je cite ici, le mari est un “maît­re”. Pour lui, elle est une “cap­ti­ve” et “elle doit lui obé­ir” en portant le voi­le et en sui­vant d’au­tres ord­res, “car si elle lui obé­it, elle obé­it à Dieu”. [4]. Selon cet ens­eig­ne­ment strict, les femmes doiv­ent quit­ter leur famil­le, y com­pris leurs par­ents, si elles ne suiv­ent pas la voie isla­mi­que “cor­rec­te”.

Le principe de loyauté et de désaveu, al-wala’wa-l-bara et la ségrégation

Ce point de vue est lié à une carac­té­ris­tique théo­lo­gi­que du sala­fisme, le princi­pe de loyau­té et de dés­aveu, al-wala’­wa-l-bara. Selon ce princi­pe, non seu­le­ment les vrais musul­mans doiv­ent aimer et adhé­rer à tout ce que Dieu com­man­de et approuve, mais ils doiv­ent aus­si se distancer, s’op­po­ser et détes­ter tout ce que Dieu dés­ap­prouve et interdit.

Ce tout com­prend les com­por­te­ments, cou­tumes, tra­di­ti­ons et les autres per­son­nes [5]. Ain­si, pour les adep­tes du sala­fisme, les vrais musul­mans doiv­ent être ouver­te­ment hos­ti­les aux poly­thé­is­tes et pro­cla­mer leur hai­ne à leur égard. Cela inclut éga­le­ment tout type d’in­ter­ac­tion ami­ca­le avec eux. Soit ils se distanci­ent des poly­thé­is­tes, soit ils s’in­stal­lent dans un end­roit où le “vrai” Islam est pratiqué.

Ce con­cept de migra­ti­on est appe­lé l’Hé­gi­re (“hij­ra”). Ces ens­eig­ne­ments ont eu des impli­ca­ti­ons évi­den­tes pour les pays à majo­ri­té musul­ma­ne et pour les grou­pes mino­ri­taires de con­fes­si­on isla­mi­que dans les démo­cra­ties occi­den­ta­les. Lors­que ce type d’is­lam se répand dans une com­mu­n­au­té, il la trans­for­me en ghet­to fer­mé. Cela déra­ci­ne de nombreu­ses tra­di­ti­ons isla­mi­ques dans ces com­mu­n­au­tés, éli­mi­nant leur riche diver­si­té et la rem­pla­çant par une doc­tri­ne rigi­de et sans com­pro­mis. En con­sé­quence, des famil­les et des com­mu­n­au­tés ent­iè­res se retrou­vent divisées.

Cela expli­que éga­le­ment pour­quoi les for­mes tolé­ran­tes de l’is­lam nord-afri­cain en Fran­ce et en Bel­gi­que ont été rem­pla­cées par une for­me radi­ca­li­sée de reli­gi­on, carac­té­ri­sée par le sala­fisme et d’au­tres for­mes d’is­la­misme. Une évo­lu­ti­on simi­lai­re a eu lieu en Gran­de-Bre­ta­gne, bien qu’a­vec une for­me dif­fé­ren­te de lec­tu­re fon­da­men­ta­lis­te de l’Islam.

L’attitude des cheikhs face à l’esclavage

Cepen­dant, les cheikhs ne limi­tent pas leur lec­tu­re de la reli­gi­on aux femmes. Ils off­rent une visi­on beau­coup plus lar­ge d’un ord­re poli­tique, social et reli­gieux. La pro­prié­té d’autres êtres humains — oui, l’esclavage — en fait partie.

Ibn Baz dit que dans le cad­re du dji­had cont­re les “infi­dè­les”, leurs enfants et leurs épou­ses, ain­si que tous les cap­tifs, peu­vent être réduits en escla­va­ge. Dans les pays où l’es­cla­va­ge est encore pra­ti­qué, il est pos­si­ble d’a­che­ter et de vend­re des escla­ves [6]. Ibn Uthay­min a des vues simi­lai­res. Il dit que, dans la guer­re cont­re les infi­dè­les, il est plus clé­ment de prend­re des gar­çons et des femmes com­me escla­ves plu­tôt que de les tuer [7]

Ces points de vue ne sont pas des opi­ni­ons thé­o­ri­ques du pas­sé. Ils sont expri­més et arti­cu­lés dans le pré­sent. Ce que ces hom­mes disent est éga­le­ment per­ti­nent dans nos socié­tés euro­péen­nes. Leurs liv­res et fat­was sont ens­eig­nés et pro­mus dans les madra­sas et mos­quées finan­cées par les pays du Golfe.

Daesh n’a pas non plus agi de sa prop­re initia­ti­ve lors­que des femmes et enfants ont été pris com­me escla­ves. Ces actions ont été légiti­mées par une inter­pré­ta­ti­on fon­da­men­ta­lis­te de l’islam, qui est mar­quée par une idéo­lo­gie poli­tique, et inté­grées dans le cou­rant domi­nant de l’islam.

Si quel­ques jeu­nes femmes d’Europe occi­den­ta­le déci­dent d’adopter cet­te inter­pré­ta­ti­on fon­da­men­ta­lis­te de leur reli­gi­on, c’est leur choix. Tou­te­fois, la mani­fes­ta­ti­on visu­el­le de cet­te idéo­lo­gie reli­gieu­se miso­gy­ne, pro escla­va­gis­te et d’extrême droi­te — le niqab — ne doit ni être accep­tée com­me un choix de vie bénin, ni être vue com­me faisant par­tie du cou­rant domi­nant de l’islam.

L’argument de la “liber­té de choix” me rap­pel­le un argu­ment simi­lai­re uti­li­sé lors de la lut­te cont­re l’esclavage aux États-Unis, selon lequel cer­tains escla­ves pré­fé­re­rai­ent choi­sir de demeu­rer en escla­va­ge. Cela ne rend pas l’esclavage plus acceptable.

Le niqab — un style de vie punk individualiste?

Cet argu­ment se con­cent­re sur le nombre réel de femmes qui por­tent le niqab en Suis­se. Leur nombre est esti­mé à quel­ques dizai­nes. N’a­vons-nous donc pas de pro­blè­me jus­te par­ce qu’il ne tou­che que quel­ques femmes ? Et s’il y avait 3 000 femmes portant le niqab, devr­i­ons-nous nous inquiéter ?

Si c’est une ques­ti­on de princi­pe, le nombre en soi ne dev­rait pas avoir d’im­pact. Pour­tant, c’est le cas, car la situa­ti­on peut chan­ger au cou­rant des vingt pro­chai­nes années. J’ai vu à quel point les cho­ses peu­vent chan­ger rapi­de­ment dans les pays de la régi­on ANMO, en Euro­pe et en Afri­que. Il y a tren­te ans, il aurait éga­le­ment été dif­fi­ci­le de trou­ver une femme portant un niqab en Fran­ce, au Royau­me-Uni, en Tuni­sie ou en Afri­que du Sud.

Bien sûr, on peut dire que les femmes qui por­tent un niqab con­strui­sent leur iden­ti­té reli­gieu­se et veu­lent la mon­trer de maniè­re visi­ble ; cepen­dant, l’i­déo­lo­gie reli­gieu­se même qui les inspi­re à être ent­iè­re­ment voi­lées ne doit pas être igno­rée. Après tout, ce code ves­ti­men­taire strict, qui n’est obli­ga­toire que dans les pays musul­mans où l’i­déo­lo­gie reli­gieu­se est domi­nan­te, est con­sidé­ré com­me extrê­me par­tout — et est très con­tes­té même dans les pays à majo­ri­té musulmane.

Il n’est donc pas per­ti­nent de dire que les femmes de not­re pays por­tent le niqab de leur plein gré, car cela ne signi­fie pas que tou­tes les por­teu­ses de niqab en Euro­pe le font pour les mêmes rai­sons. Il y a aus­si de nombreux anci­en­nes por­teu­ses de niqab de pays euro­péens com­me la Fran­ce, la Bel­gi­que, la Suè­de ou le Royau­me-Uni [8] qui par­lent de leurs expé­ri­en­ces et des pres­si­ons (y com­pris la vio­lence phy­si­que) qu’el­les ont sub­ies [9]. Ce con­tex­te est igno­ré dans tou­te la dis­cus­sion en Suisse.

Pourquoi les contexte sociaux ne doivent pas être négligés en Europe

Les femmes musul­ma­nes nées de nou­veau et les con­ver­tis peu­vent trou­ver “éman­ci­pant” de por­ter le niqab. Mais qu’en est-il de tou­tes les femmes et les fil­les qui ten­tent de résis­ter au code ves­ti­men­taire et au con­trô­le social des islamistes ?

Dans de nombreux end­roits d’Eur­o­pe, les fil­les et les femmes sont obli­gées de por­ter le voi­le, de quit­ter l’é­co­le et de se mari­er tôt. Cel­les qui défient l’ord­re social impo­sé sont sou­vent har­ce­lées et vio­lées collectivement.

La situa­ti­on en Suis­se ne peut être com­pa­rée à cel­le de la Fran­ce, de la Bel­gi­que ou du Royau­me-Uni. Il n’y a pas le même type de com­mu­n­au­tés fer­mées ségré­guées en Suis­se. Mais il y a des ten­dan­ces dans cer­tai­nes vil­les où cer­tains grou­pes et stra­tes eth­ni­ques sont très for­te­ment représentés.

Développements en Suisse

L’im­pact de cet­te évo­lu­ti­on sur les expé­ri­en­ces des jeu­nes femmes musul­ma­nes en Suis­se n’a pas encore été étu­dié. La gran­de majo­ri­té des musul­mans euro­péens ne voi­ent aucu­ne con­tra­dic­tion ent­re leur foi et des struc­tures démo­cra­ti­ques et libres ; c’est pro­ba­ble­ment aus­si le cas en Suis­se. Une très peti­te mino­ri­té peut approu­ver l’Is­lam sala­fis­te — mais cela res­te un phé­nomè­ne mar­gi­nal. Néan­moins, la Suis­se n’est pas non plus à l’a­b­ri du sala­fisme, même s’il n’en est qu’à ses débuts.

Je sug­gè­re donc que l’in­ter­ac­tion ent­re les cen­tres d’in­flu­ence sala­fis­tes en Suis­se et dans les pays voisins soit étroi­te­ment sur­veil­lée au-delà des fron­tiè­res de can­tons tels que Bâle et Genè­ve. Il est éga­le­ment important de con­sidé­rer com­ment la pro­pa­ga­ti­on du sala­fisme ara­bi­sé dans des pays com­me l’Al­ba­nie et le Koso­vo est repro­du­i­te et reflé­tée par cer­tains grou­pes de musul­mans suis­ses de ces pays. Et il est important de noter que je limi­te mes obser­va­tions ici à la for­me Sala­fi. Je ne par­le pas des for­mes d’is­la­misme com­me la socié­té des Frè­res musul­mans et Mil­li Gürus.

Et non, je ne pen­se pas que l’in­ter­dic­tion du port du niqab off­re des solu­ti­ons à d’au­tres pro­blè­mes en Suis­se. Mais je pen­se qu’il dev­rait être assez clair que le sala­fisme est une idéo­lo­gie reli­gieu­se d’ex­trê­me droi­te : Il s’a­git à la fois de vend­re et de pos­sé­der des escla­ves, de prêcher la ségré­ga­ti­on des sexes et de sub­or­don­ner les femmes. Cet­te idéo­lo­gie ens­eig­ne aux gens à haïr leur envi­ron­ne­ment et à se sépa­rer de tou­te per­son­ne n’ap­par­ten­ant pas à leur secte.

Igno­rer ce con­tex­te ne le fera pas dis­pa­raît­re en Suis­se. Et rédu­i­re le niqab princi­pa­le­ment à un style de vie punk indi­vi­dua­lis­te, com­me l’a fait Agnes De Feo dans une récen­te inter­view, c’est igno­rer des aspects import­ants. L’ef­fa­ce­ment du corps des femmes est basé sur une idéo­lo­gie extré­mis­te et fonc­tion­ne au sein un con­tex­te social.

Je com­prends que mon esti­mé col­lè­gue Tun­ger-Zanet­ti et d’au­tres intel­lec­tu­els soi­ent préoc­cu­p­és par la stig­ma­ti­sa­ti­on des musul­mans suis­ses. Je par­ta­ge éga­le­ment cet­te préoc­cup­a­ti­on. Cela ne doit, cepen­dant, pas nous empêcher de poser des ques­ti­ons cri­ti­ques, ni nous amener à igno­rer l’en­sem­ble du con­tex­te théo­lo­gi­que et social.

Si cer­tai­nes jeu­nes femmes ont déci­dé d’adop­ter cet­te inter­pré­ta­ti­on reli­gieu­se fon­da­men­ta­lis­te, c’est leur choix. Tou­te­fois, il doit être clair que le ter­me “liber­té de choix” uti­li­sé ici est adap­té au cad­re démo­cra­tique libre des socié­tés occi­den­ta­les. L’i­déo­lo­gie reli­gieu­se qu’el­le pro­meut ne pré­voit pas la liber­té de choix lors­qu’el­le est au pou­voir. Elle est de natu­re totalitaire.


Notes:

[1] Al Ara­bi­ya TV. 2010. ‘Niqab Is a Cus­tom not a Reli­gious Requi­re­ment’, 04 April, Pro­gram Jour­na­lism Gate (Wajehat Al Saha­fa), en ara­be, Al Ara­by­ia TV, 2 avril 2010, con­sul­té le 5 mai 2013, http://www.youtube.com/watch?v=r9uhzGyk9Eg.

[2] Il con­vi­ent de men­ti­on­ner ici que le cheikh Nasi­rud­din al-Alba­ni, lui-même sala­fis­te syri­en instal­lé en Ara­bie Saou­di­te, a con­tes­té la néces­si­té de por­ter le niqab et a été vio­lem­ment atta­qué par les cheikhs sala­fis­tes saou­di­ens. Pour l’in­ter­view, voir Nadia Hen­ni-Mou­laï (jan­vier 2021), Agnès De Féo: « Les femmes portant le niqab en Fran­ce ne subis­sent aucu­ne coer­ci­ti­on mas­cu­li­ne », Midd­le East Eye, https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/niqab-voile-integral-france-femmes-musulmanes-islam-de-feo.

[3] Moham­med Ibn Uthay­min, Abdul Aziz Ibn Baz, Abdul Rah­man Al Saa­di, and Abdul­lah bin Jabrin,  Fata­wa Al Nis­sa, In Ara­bic, Cai­ro: Dar Al Fajr, Edi­ti­on of 2003.

[4] Ibid, voir p. 404.

[5] Pour plus d’in­for­ma­ti­ons sur le sala­fisme et le princi­pe de al-wala’ wa-l-bara: Ben­ham T. Said and Hazim Fouad, eds., Sala­fis­mus: Auf der suche nach der wah­ren Islam (Frei­burg: Her­der Ver­lag, 2014), pp. 64–74.

[6] Offi­cial web­site of Sheikh Imam Ibn Baz, Fat­was, In Ara­bic, On Owning (a per­son) and its Sharia Regu­la­ti­ons, https://binbaz.org.sa

[7] Sheikh Ibn Uthay­min: In respon­se to tho­se who say that ens­la­ving the women and child­ren of the poly­the­ists is a sign of the sava­ge­ry of Islam, A Sound record­ing, In Ara­bic, https://www.youtube.com/watch?v=FsjYqdoTvng

[8] Sie­he Manea, Elham (2016): Women and Sharia Law. The Impact of Legal Plu­ra­li­ism in the UK. Cam­bridge Uni­ver­si­ty. Kapi­tel 6.

[9] Hen­da Ayari&Florence Bou­quil­lat (2016). J’ai choi­si d’être libre : [témoi­gna­ge : res­c­apée du sala­fisme en Fran­ce]. Lieu de publi­ca­ti­on non iden­ti­fié: Flamma­ri­on; Yas­min Moham­med (2019), Unvei­led: How Wes­tern Libe­rals Empower Radi­cal Islam, Cana­da: Free Hearts Free Minds.

 

Image: pixabay.com

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