Les héritages en Suisse : évolution depuis 1911 et importance pour les impôts

La moi­tié du patri­moi­ne des Suis­ses pro­vi­ent d’un héri­ta­ge. Le mon­tant annu­el des héri­ta­ges et des dona­ti­ons aug­men­te à un ryth­me sou­te­nu : en 2020, il dev­rait att­eind­re 95 mil­li­ards de francs, cont­re 36 mil­li­ards de francs en 1999. Seuls 5% des héri­ta­ges et 19% des dona­ti­ons pro­fi­tent encore à des per­son­nes de moins de 40 ans. Néan­moins, la char­ge fis­ca­le sur les héri­ta­ges a con­sidé­ra­ble­ment dimi­n­ué au cours des der­niè­res décen­nies : alors qu’en 1990, cha­que franc suis­se héri­té était encore sou­mis à un impôt sur les suc­ces­si­ons de 4,1 cen­ti­mes, la moy­enne actu­el­le n’est que de 1,4 centime.
La princi­pa­le moti­va­ti­on poli­tique der­riè­re ces réduc­tions d’im­pôt était la con­cur­rence fis­ca­le ent­re les can­tons. Tou­te­fois, les ana­ly­ses mon­t­rent que les varia­ti­ons d’impôts can­to­n­aux sur les suc­ces­si­ons n’ont pas ent­raî­né de mou­ve­ments migra­toires per­cep­ti­bles chez les con­tri­bu­ables âgé-e‑s for­tu­né-es. Par con­sé­quent, la réduc­tion de l’im­pôt sur les suc­ces­si­ons repré­sen­tait une per­te pour les finan­ces can­to­na­les. À l’in­ver­se, un retour au niveau de 1990 en matiè­re d’im­pôts sur les suc­ces­si­ons pour­rait per­mett­re aux can­tons et aux com­mu­nes de géné­rer 2,5 mil­li­ards de francs de reve­nus sup­plé­men­taires. Tou­te­fois, il n’est pas cer­tain que les impôts sur les suc­ces­si­ons rédui­sent l’i­né­ga­li­té de la richesse.

Social Change in Switzerland

Introduction

« En ce mon­de rien n’est cer­tain, à part la mort et les impôts. » Cet­te phra­se célèb­re de Ben­ja­min Fran­k­lin est emblé­ma­tique de la char­ge émo­ti­on­nel­le de l’impôt sur les suc­ces­si­ons. Cet­te ques­ti­on est aus­si un sujet d’intérêt poli­tique péren­ne. En Suis­se, les impôts sur les suc­ces­si­ons n’ont pas la cote. Au cours des trois der­niè­res décen­nies, les can­tons ont pro­gres­si­ve­ment rédu­it leurs impôts sur les suc­ces­si­ons et les dona­ti­ons et les ont même lar­ge­ment abo­lis pour les descen­dants directs.[1] Une initia­ti­ve popu­lai­re pour l’introduction d’un impôt natio­nal sur les suc­ces­si­ons a été mas­si­ve­ment reje­tée en juin 2015 avec 71% de votes négatifs.

D’un point de vue pure­ment éco­no­mi­que, cepen­dant, l’impôt sur les suc­ces­si­ons a des atouts à fai­re valoir. Con­tr­ai­re­ment à la plu­part des autres impôts directs, il n’entrave guè­re les inci­ta­ti­ons à tra­vail­ler et à inves­tir – et peut même les amé­lio­rer – et du point de vue de l’équité, il sem­ble plus jus­te de taxer les actifs héri­tés que les reve­nus issus du travail.

Dans cet arti­cle, nous mon­trons que le volu­me des for­tu­nes et des héri­ta­ges en Suis­se est en for­te aug­men­ta­ti­on. Cela signi­fie qu’il exis­te une base fis­ca­le « inex­plo­itée » con­sidé­ra­ble, qui pour­rait être taxée dans une cer­tai­ne mes­u­re sans effets secon­dai­res éco­no­mi­ques majeurs.

Cepen­dant, les avan­ta­ges de l’impôt sur les suc­ces­si­ons ne sont pas aus­si évi­dents qu’on pour­rait le pen­ser. Par exemp­le, les ana­ly­ses sci­en­ti­fi­ques dis­po­nibles ne per­met­tent pas de déter­mi­ner avec certi­tu­de si des impôts éle­vés sur les suc­ces­si­ons finis­sent par exa­cer­ber ou affai­b­lir les iné­ga­li­tés de rich­es­se. Par rap­port à beau­coup d’autres for­mes d’imposition, l’impôt sur les suc­ces­si­ons est donc un « moind­re mal », mais ne con­sti­tue pas une fin en soi.

Pour­tant, l’argument majeur cont­re l’impôt sur les suc­ces­si­ons dans la poli­tique can­to­na­le n’est pas la com­bi­nai­son sor­d­i­de de la mort et des impôts, mais bien la con­cur­rence fis­ca­le. Les brochu­res de vote offi­ci­el­les nous mon­t­rent que la crain­te d’une éven­tu­el­le migra­ti­on des retrai­tés for­tu­n­és vers des can­tons voisins a pesé bien plus lourd que tout aut­re motif de réduc­tion de l’impôt sur les suc­ces­si­ons. Dans pres­que tou­tes les cam­pa­gnes de vote can­to­na­les, c’était le princi­pal argu­ment des oppo­sants à l’impôt sur les suc­ces­si­ons. L’argument selon lequel l’impôt sur les suc­ces­si­ons frap­pe­rait une deu­xiè­me fois des actifs déjà impo­sés a été relé­gué au deu­xiè­me rang, sui­vi de la crain­te d’entraves aux trans­ferts géné­ra­ti­on­nels d’entreprises fami­lia­les.[2] Une deu­xiè­me con­tri­bu­ti­on importan­te de cet arti­cle est donc de résu­mer les résul­tats sci­en­ti­fi­ques sug­gé­rant que la crain­te des can­tons de sub­ir un exo­de lié à l’impôt sur les suc­ces­si­ons est infon­dée, con­tr­ai­re­ment à la per­cep­ti­on générale.

Volume de la fortune héritée en Suisse

Se basant sur des don­nées fran­çai­ses, Tho­mas Piket­ty (2011) a mon­tré que les héri­ta­ges sont en train de gagner en impor­t­ance après avoir att­eint leur niveau le plus bas dans les années d’après-guerre. Selon ses esti­ma­ti­ons, le volu­me des héri­ta­ges et des dona­ti­ons s’élève actu­el­lement à envi­ron 15% du reve­nu natio­nal et pour­rait retrou­ver son poids éco­no­mi­que du 19e siè­cle d’ici 2060.

Du point de vue sta­tis­tique, la tâche de Tho­mas Piket­ty était rela­ti­ve­ment faci­le, dans la mes­u­re où il s’est con­cen­tré sur la Fran­ce. L’héritage y est en effet dûment enre­gis­tré et taxé depuis 1791. Grâce à cet acquis de la Révo­lu­ti­on fran­çai­se, les cher­cheurs dis­po­sent de don­nées détail­lées et com­pa­ra­bles dans le temps. La Suis­se ne nous off­re pas une tel­le mine de don­nées. Depuis tou­jours, l’héritage est exclu­si­ve­ment taxé par les can­tons et les com­mu­nes. Il est donc mal docu­men­té statistiquement.

De son côté, la Con­fé­dé­ra­ti­on pré­lè­ve un impôt sur la for­tu­ne depuis 1911. Sur cet­te base, on peut éta­b­lir des séries de don­nées con­cer­nant l’évolution des patri­moi­nes pri­vés. Ces don­nées fis­ca­les per­met­tent d’estimer indi­rec­te­ment les som­mes héri­tées cha­que année. L’application con­crè­te de la métho­de de cal­cul exi­ge plu­sieurs hypo­thè­ses et des appro­xi­ma­ti­ons assez rudi­men­taires. Au vu de l’intérêt de cet­te ques­ti­on, nous avons tou­te­fois ten­té l’expérience (Brül­hart, Duper­tuis et Moreau, 2018).

Le gra­phi­que 1 illus­tre l’évolution de la part des héri­ta­ges et des dona­ti­ons dans le reve­nu natio­nal suis­se au cours des 100 der­niè­res années, d’après nos esti­ma­ti­ons. À tit­re de com­pa­rai­son, elle pré­sen­te éga­le­ment les val­eurs esti­mées pour la Fran­ce et l’Allemagne. L’augmentation des héri­ta­ges au cours des 50 der­niè­res années est éga­le­ment nota­ble en Suis­se, pas­sant de 5% en 1975 à plus de 13% du reve­nu natio­nal en 2011.

Mani­fes­tement, les suc­ces­si­ons n’ont jamais été aus­si import­an­tes en Suis­se depuis au moins 100 ans – et la ten­dance res­te à la hausse. L’importance crois­san­te de l’héritage résul­te de trois phé­nomè­nes majeurs. Pre­miè­re­ment, on obser­ve une aug­men­ta­ti­on con­stan­te de la for­tu­ne pri­vée par rap­port au reve­nu depuis la fin du « boom » de l’après-guerre. Deu­xiè­me­ment, les gens sont en moy­enne plus riches au moment de leur décès, étant don­né la pro­gres­si­on de l’espérance de vie et la qua­li­té de la pré­voyan­ce vieil­les­se. Troi­siè­me­ment, le volu­me des dona­ti­ons (éga­le­ment inclus dans not­re cal­cul) ne ces­se de croître.

Expri­mée en francs, not­re esti­ma­ti­on don­ne une som­me héri­tée de 61 mil­li­ards pour 2011 et de 36 mil­li­ards pour 1999. Selon la sta­tis­tique de la for­tu­ne suis­se de l’Administration fédé­ra­le des con­tri­bu­ti­ons (AFC), le patri­moi­ne pri­vé a aug­men­té de 5% par an ent­re 2011 et 2016 (der­niè­res don­nées dis­po­nibles). Extra­po­lé jusqu’en 2020, cela repré­sen­te une aug­men­ta­ti­on de 55% depuis 2011. Selon not­re esti­ma­ti­on, le mon­tant héri­té en 2020 s’élèvera ain­si à près de 95 mil­li­ards de francs.[3]

D’autres cher­cheurs ont publié des esti­ma­ti­ons du volu­me des suc­ces­si­ons en Suis­se, dont cer­tains pour des années plus éloi­g­nées dans le temps.[4] Puis­que le princi­pal moteur de l’accroissement des héri­ta­ges est la crois­sance de la for­tu­ne, le taux de crois­sance cal­cu­lé de la for­tu­ne pri­vée en Suis­se per­met aus­si d’extrapoler ces esti­ma­ti­ons jus­que 2020.[5] Cet­te extra­po­la­ti­on des esti­ma­ti­ons publiées par d’autres cher­cheurs don­ne une fourch­et­te de 55 à 80 mil­li­ards de francs pour les héri­ta­ges esti­més pour 2020.[6]

Not­re esti­ma­ti­on est donc légè­re­ment supé­ri­eu­re aux val­eurs des autres étu­des, qui ne quan­ti­fient que les héri­ta­ges au sens prop­re, sans tenir comp­te des dona­ti­ons durant la vie. Pour­tant, les dona­ti­ons et les avan­ces sur héri­ta­ge jou­ent un rôle tout aus­si important du point de vue de la poli­tique fis­ca­le ain­si que de la dis­tri­bu­ti­on des rich­es­ses que les héri­ta­ges qui suiv­ent le décès du testa­teur. Selon les esti­ma­ti­ons dis­po­nibles, on peut sup­po­ser que le volu­me de dona­ti­ons cor­re­spond à une part allant de 30% à 40% des héri­ta­ges, avec une ten­dance à la hausse. Par con­sé­quent, si l’on ajou­te 35% aux esti­ma­ti­ons extra­po­lées des autres étu­des, on arri­ve à des héri­ta­ges (dona­ti­ons com­pri­ses) vari­ant ent­re 74 et 108 mil­li­ards de francs en 2020. Not­re esti­ma­ti­on de 95 mil­li­ards est donc cohé­ren­te avec les résul­tats d’autres études.

On peut éga­le­ment décri­re dif­fé­rem­ment le poids éco­no­mi­que des héri­ta­ges, notam­ment par la pro­por­ti­on de la for­tu­ne pro­venant de l’héritage (Piket­ty et Zucman 2015, Alva­re­do, Garb­in­ti et Piket­ty 2017). Pour fai­re simp­le, il exis­te deux façons de fai­re for­tu­ne : soit on éparg­ne ce qu’on a gagné, soit on éparg­ne ce qu’on a héri­té (y com­pris les dona­ti­ons). En théo­rie, cha­que franc de for­tu­ne peut être divi­sé en une par­tie gagnée par l’individu et une par­tie héritée.

Nous avons app­li­qué cet­te métho­de d’estimation aux don­nées suis­ses et cal­cu­lé les val­eurs indi­quées au gra­phi­que 2.[7] Il s’avère qu’en Suis­se, envi­ron la moi­tié d’un franc de for­tu­ne moy­en est héri­tée et l’autre moi­tié est gagnée par l’individu, com­me dans les autres pays euro­péens pour les­quels de tel­les esti­ma­ti­ons exis­tent. Par rap­port à la for­tu­ne, le poids des héri­ta­ges au cours du siè­cle der­nier a été un peu moins vola­til que par rap­port au reve­nu natio­nal, même si, une fois encore, l’évolution est non liné­ai­re. De 60% pen­dant la pre­miè­re moi­tié du 20siè­cle, le poids de l’héritage est tom­bé à 44% dans les années 1970 et 1980, pour remon­ter à 50% en 2010.

Les héri­ta­ges et les dona­ti­ons sont par­fois per­çus com­me un méca­nisme d’équilibrage éco­no­mi­que ent­re les géné­ra­ti­ons. Cepen­dant, l’espérance de vie actu­el­le signi­fie que la plu­part des héri­tier-ère‑s ont dépas­sé la péri­ode de vie durant laquel­le un apport en capi­tal pour­rait avoir le plus d’impact. Les résul­tats de Jann et Flu­der (2017, tableaux 11 et 12), basés sur les don­nées fis­ca­les de Ber­ne, mon­t­rent que seu­le­ment 4,9% des héri­ta­ges et 18,5% des dona­ti­ons sont ver­sés à des béné­fi­ci­ai­res âgé-e‑s de moins de 40 ans. Près de 60% des héri­ta­ges sont trans­mis à des per­son­nes âgées de plus de 60 ans. Selon ces don­nées, l’effet redis­tri­bu­tif maté­ri­el est éga­le­ment limi­té, puis­que la majo­ri­té des héri­ta­ges, et même des dona­ti­ons, sont ver­sés à des per­son­nes déjà for­tu­n­ées. Tou­te­fois, ces don­nées ne per­met­tent pas de déter­mi­ner de maniè­re con­clu­an­te si l’héritage aug­men­te ou dimi­nue glo­ba­le­ment l’inégalité de richesse.

Réduction de la charge fiscale et accroissement des inégalités de richesse

En Suis­se, les héri­ta­ges sont désor­mais très peu taxés. Le volu­me des héri­ta­ges est esti­mé à 95 mil­li­ards de francs en 2020, alors que les impôts sur la suc­ces­si­on s’élèvent à 1,34 mil­li­ard de francs.[8] Le taux moy­en de l’impôt sur les suc­ces­si­ons est donc de 1,4%. Selon nos esti­ma­ti­ons pré­sen­tées dans le gra­phi­que 3, cha­que franc héri­té était impo­sé à un taux moy­en de 4,1% en 1990 et de 2,0% en 2005. Ces chif­fres mon­t­rent clai­re­ment que l’impôt can­to­nal sur les suc­ces­si­ons a dimi­n­ué d’environ deux tiers au cours des trois der­niè­res décennies.

Dans ce con­tex­te, on doit tenir comp­te du fait que la Suis­se se dis­tin­gue du res­te du mon­de par son impôt sur la for­tu­ne par­ti­cu­liè­re­ment éle­vé (Brül­hart, Gru­ber, Krapf et Schmidhei­ny, 2019).[9] L’érosion de l’impôt sur les suc­ces­si­ons a‑t-elle éven­tu­el­lement été com­pen­sée par une aug­men­ta­ti­on de l’impôt sur la for­tu­ne ? Les esti­ma­ti­ons pré­sen­tées dans le gra­phi­que 3 nous four­nis­sent ici aus­si une répon­se clai­re : par rap­port à la mas­se des actifs héri­tés, l’impôt per­çu sur la for­tu­ne n’a pas aug­men­té. Il a même légè­re­ment dimi­n­ué, pas­sant de 10,0% en 1990 et de 10,1% en 2005 à 9,0% en 2020, selon nos esti­ma­ti­ons. Cet­te situa­ti­on s’explique par les bais­ses de l’impôt sur la for­tu­ne app­li­quées dans de nombreux can­tons, en par­ti­cu­lier ent­re 2005 et 2010 (Brül­hart et al., 2019).

Au cours des qua­ran­te der­niè­res années, le patri­moi­ne et les héri­ta­ges ont donc béné­fi­cié d’allègements fis­caux con­sidé­ra­bles, alors même que l’augmentation des actifs et des flux suc­ces­soraux a été net­te­ment supé­ri­eu­re à la crois­sance éco­no­mi­que générale.

Ce ne sont pas seu­le­ment la for­tu­ne et les héri­ta­ges qui en résul­tent qui ont aug­men­té, mais aus­si l’inégalité de la répar­ti­ti­on de cet­te for­tu­ne. Le gra­phi­que 4 mont­re que le 1% des con­tri­bu­ables les plus riches de Suis­se déti­ent à nou­veau plus de 40% de la for­tu­ne pri­vée tota­le, après une baisse dans la secon­de moi­tié du 20siè­cle. Il s’agit d’un record mon­dial. Föll­mi et Mar­ti­nez (2017) mon­t­rent que les parts du patri­moi­ne total d’autres quan­ti­les supé­ri­eurs (p. ex., les 0,1% ou 10% supé­ri­eurs) sont éga­le­ment en train de croître.

La part du patri­moi­ne déte­nue par le 1% des con­tri­bu­ables les plus riches en Suis­se n’est pas direc­te­ment com­pa­ra­ble avec cel­les d’autres pays, car il exclut les actifs non impo­sables des 2e et 3piliers, alors que de tels actifs sont inclus dans des pays simi­lai­res. Si l’on inclut éga­le­ment les avoirs de pré­voyan­ce en Suis­se, la part du 1% les plus riches tom­be à 25–28% selon la métho­de de cal­cul, et se rappro­che donc de la moy­enne euro­péen­ne (Föll­mi et Mar­ti­nez, 2017). Tou­te­fois, le capi­tal de pré­voyan­ce exo­né­ré d’impôt n’est pas équi­va­lent à un capi­tal libre. En par­ti­cu­lier, ces capi­taux ne peu­vent être légués que de façon limi­tée.[10] Ain­si, la répar­ti­ti­on de la for­tu­ne pri­vée est une varia­ble per­ti­nen­te sur le plan socio­po­li­tique, et l’augmentation len­te, mais con­stan­te, des iné­ga­li­tés de rich­es­se au cours des quat­re der­niè­res décen­nies méri­te not­re attention.

Résultat inévitable de la concurrence fiscale ?

L’allègement fis­cal obser­vé sur les suc­ces­si­ons a une cau­se qui appa­raît évi­den­te : la con­cur­rence fis­ca­le. L’inquiétude sus­ci­tée par l’exode des con­tri­bu­ables âgé-e‑s for­tu­né-e‑s a mani­fes­tement joué un rôle de pre­mier plan dans les nombreu­ses réfor­mes can­to­na­les de l’impôt sur les suc­ces­si­ons au cours des quat­re der­niè­res décen­nies. L’analyse des bul­le­tins de vote offi­ciels rela­tifs à 15 pro­jets de loi can­to­n­aux de réduc­tion des impôts sur les suc­ces­si­ons depuis 1990 mont­re clai­re­ment que 64% du tex­te était con­s­a­cré à la con­cur­rence visant à atti­rer les con­tri­bu­ables mobi­les (Brül­hart et Par­chet, 2014a). De plus, cet­te étu­de mont­re que la con­cur­rence fis­ca­le a été le pre­mier argu­ment avan­cé par les par­tis­ans de l’impôt sur les suc­ces­si­ons dans 13 des 15 brochu­res ana­ly­sées. Selon cet argu­ment récur­rent, les riches con­tri­bu­ables s’exileraient dans les can­tons où les héri­tier-ère‑s sont moins taxé-e‑s. Les autres argu­ments clas­si­ques cont­re les impôts sur les suc­ces­si­ons, tels que l’imposition mul­ti­ple ou d’éventuelles ent­ra­ves à la trans­mis­si­on inter­gé­né­ra­ti­on­nel­le dans les entre­pri­ses fami­lia­les, ont eu beau­coup moins de poids dans les débats poli­ti­ques sur les réduc­tions can­to­na­les d’impôts.

La logi­que de la con­cur­rence fis­ca­le est irré­fu­ta­ble. Cepen­dant, le fac­teur décisif n’est pas de savoir si les con­tri­bu­ables mobi­les sont dis­sua­dé-e‑s par des impôts plus éle­vés, mais com­bi­en d’entre eux le sont. Quand les con­tri­bu­ables s’exilent en grand nombre, une aug­men­ta­ti­on d’impôt peut en effet deve­nir cont­re-pro­duc­ti­ve sur le plan fis­cal, par­ce qu’elle rédu­it les recet­tes fis­ca­les au lieu de les aug­men­ter. Inver­se­ment, une réduc­tion d’impôt déclen­chant un aff­lux mas­sif de con­tri­bu­ables finan­ciè­re­ment soli­des pour­rait être intéres­san­te pour les finan­ces publi­ques. Tou­te­fois, moins ces réac­tions migra­toires sont for­tes, plus les recet­tes fis­ca­les dev­rai­ent aug­men­ter en cas d’augmentation des impôts et dimi­nu­er en cas de réduc­tion. L’ampleur des réac­tions migra­toires indu­i­tes par la fis­ca­li­té – appe­lées dans la lit­té­ra­tu­re « élasti­ci­té de la base fis­ca­le » – est donc cru­cia­le.[11]

Nous avons ten­té d’enregistrer éco­nomé­tri­que­ment les réac­tions des con­tri­bu­ables, et donc l’élasticité de l’assiette can­to­na­le de l’impôt sur les suc­ces­si­ons (Brül­hart et Par­chet, 2014a).[12] Not­re esti­ma­ti­on cen­tra­le de l’élasticité de l’impôt sur les suc­ces­si­ons à court ter­me est de ‑0,09. Tou­te­fois, cet­te val­eur n’est pas sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve. En d’autres ter­mes, nous ne pou­vons reje­ter l’hypothèse selon laquel­le les modi­fi­ca­ti­ons de l’impôt can­to­nal sur les suc­ces­si­ons n’ont eu aucu­ne inci­dence sur la base fis­ca­le. Not­re val­eur esti­mée est éga­le­ment fai­ble dans la mes­u­re où elle est très éloi­g­née de ‑1 et donc de l’élasticité suf­fi­san­te pour qu’une réduc­tion d’impôt soit ren­ta­ble du point de vue des recet­tes de l’impôt sur les successions.

Des étu­des amé­ri­cai­nes ont éga­le­ment recen­sé peu de preu­ves de mobi­li­té sys­té­ma­tique liée à l’impôt sur les suc­ces­si­ons de la part de con­tri­bu­ables âgé-e‑s for­tu­né-e‑s (Bak­i­ja et Slem­rod, 2004 ; Con­way et Rork, 2012). L’étude de Moret­ti et Wil­son (2019), qui se con­cent­re sur les démé­nage­ments des mil­li­ard­ai­res amé­ri­cains de la lis­te For­bes 400 liés à l’impôt sur les suc­ces­si­ons fait figu­re d’exception. En effet, elle mont­re que ces super-riches réa­gis­sent à l’impôt sur les suc­ces­si­ons. Selon Moret­ti et Wil­son (2019), un État amé­ri­cain perd en moy­enne un tiers de la for­tu­ne des 400 Amé­ri­cains les plus riches s’il intro­du­it un impôt sur les suc­ces­si­ons de 15%. Il est tou­te­fois intéres­sant de noter que leurs esti­ma­ti­ons mon­t­rent éga­le­ment que, du point de vue du fisc, les impôts sur les suc­ces­si­ons sont lucra­tifs même pour cet­te caté­go­rie de con­tri­bu­ables sou­vent très mobi­les et fis­ca­le­ment sen­si­bles : un impôt sur les suc­ces­si­ons de 15% sur la for­tu­ne des mem­bres du For­bes 400 n’impliquerait une per­te de recet­tes que pour un seul État, la Cali­for­nie. Des socio­lo­gues amé­ri­cains attri­bue­nt la mobi­li­té limi­tée des per­son­nes for­tu­n­ées au fait que les hauts reve­nus et la rich­es­se repo­sent sou­vent sur un réseau social local fort qui ne peut plus être uti­li­sé ni main­te­nu de la même maniè­re après un démé­nage­ment (Young, Var­ner, Lurie et Pri­sin­za­no, 2016).

En Suis­se, l’impôt sur la for­tu­ne sem­ble peser davan­ta­ge que l’impôt sur les suc­ces­si­ons dans les décisi­ons des ména­ges aisés con­cer­nant leur choix de rési­dence fis­ca­le. Dans not­re étu­de sur la mobi­li­té de con­tri­bu­ables âgés et aisés, nous esti­mons une élasti­ci­té de ‑0,13 par rap­port à l’impôt sur la for­tu­ne (Brül­hart et Par­chet, 2014a). Bien que cet­te esti­ma­ti­on soit un peu plus éle­vée que cel­le con­cer­nant l’impôt sur les suc­ces­si­ons, elle n’est pas non plus sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve. Dans une étu­de sur les effets de l’impôt can­to­nal sur la for­tu­ne, nous con­sta­tons que les bais­ses d’impôt pro­vo­quent de for­tes réac­tions sous for­me de for­tu­ne décla­rée sup­plé­men­taire et qu’environ un quart de ces réac­tions sont impu­ta­bles aux démé­nage­ments de con­tri­bu­ables (Brül­hart et al., 2019). Les con­tri­bu­ables for­tu­né-e‑s sem­blent donc réa­gir de façon plus sen­si­ble à des modi­fi­ca­ti­ons de l’impôt sur la for­tu­ne qu’à cel­les de l’impôt sur les successions.

La situa­ti­on est dif­fé­ren­te en ce qui con­cer­ne l’impôt sur le reve­nu : nos esti­ma­ti­ons impli­quent une élasti­ci­té de ‑0,81. Cet­te esti­ma­ti­on est sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve. Les très fai­bles effets migra­toires que nous avons obser­vés en ce qui con­cer­ne l’imposition des suc­ces­si­ons ne sem­blent donc pas être dus à un man­que de pré­cisi­on des don­nées ou des métho­des d’estimation, car, com­me pré­vu, nous con­sta­tons un effet mes­ura­ble fort et sta­tis­ti­que­ment pré­cis de l’impôt sur le revenu.

La baisse de l’impôt sur les successions, une opération déficitaire

Selon les esti­ma­ti­ons de l’élasticité indi­quées plus haut, les réac­tions com­por­te­men­ta­les aux réduc­tions de l’impôt sur les suc­ces­si­ons étai­ent loin d’être suf­fi­san­tes pour com­pen­ser les per­tes fis­ca­les direc­tes dues aux réduc­tions du taux d’imposition.

Tou­te­fois, les con­tri­bu­ables réa­gis­sent sou­vent avec un cer­tain déca­la­ge, soit en anti­ci­pant une réfor­me par­ti­cu­liè­re, soit en pas­sant à l’action après la réfor­me. C’est pour­quoi nous avons exami­né l’évolution des recet­tes fis­ca­les sur les suc­ces­si­ons dans cinq can­tons avant et après l’application de réduc­tions par­ti­cu­liè­re­ment import­an­tes des impôts sur les suc­ces­si­ons. Dans le scé­na­rio que les par­tis­ans de la réduc­tion d’impôt ont habi­tu­el­lement à l’esprit, les réduc­tions d’impôts atti­rent de riches con­tri­bu­ables qui devi­en­nent des testa­teur-tri­ce­‑s lucra­tif-ve‑s à la fin de leur vie. Selon ce scé­na­rio, on pour­rait s’attendre à une baisse des recet­tes fis­ca­les au moment de la baisse d’impôt, sui­vie d’un rebond gra­du­el au niveau pré­cé­dant la réduc­tion d’impôt, voi­re au-des­sus. Tou­te­fois, les don­nées dis­po­nibles ne per­met­tent pas de dis­cer­ner un tel recou­vre­ment des recet­tes fis­ca­les, et ce jusqu’à 20 ans après la réfor­me (voir gra­phi­que A.1 en anne­xe).[13]

Pour une éva­lua­ti­on glo­ba­le des effets fis­caux, il con­vi­ent éga­le­ment de gar­der à l’esprit qu’un‑e con­tri­bu­able attiré‑e par un fai­ble impôt sur les suc­ces­si­ons paie aus­si – ou sur­tout – des impôts sur le reve­nu et sur la for­tu­ne de son vivant.[14] Tou­te­fois, d’autres cal­culs ont mon­tré que, même en ten­ant comp­te des autres impôts payés tout au long de la vie des per­son­nes qui emmé­na­gent dans un can­ton don­né, les bais­ses d’impôt sur les suc­ces­si­ons ne sont pas payan­tes du point de vue du fisc cantonal.

Selon l’état actu­el de nos con­nais­san­ces, l’assiette fis­ca­le de l’impôt sur les suc­ces­si­ons ne réa­git guè­re aux modi­fi­ca­ti­ons de cet impôt à l’échelle du can­ton. Par con­sé­quent, les bais­ses d’impôt can­to­na­les n’ont pas résul­té d’une néces­si­té iné­luc­ta­ble due à la con­cur­rence fis­ca­le. La vague de réduc­tions des impôts sur les suc­ces­si­ons a plu­tôt décou­lé d’une « con­cur­rence fis­ca­le présumée ».

Remarques finales

Que nous appren­nent ces résul­tats empi­ri­ques sur l’imposition des héri­ta­ges ? En pre­mier lieu, on pour­rait con­clu­re qu’en rai­son de l’importance crois­san­te de l’héritage, le fisc ne dev­rait pas lais­ser cet­te base fis­ca­le inex­plo­itée. Cela est d’autant plus vrai que l’impôt sur les suc­ces­si­ons pro­vo­que rela­ti­ve­ment peu de dis­tor­si­ons éco­no­mi­ques com­pa­ré à d’autres impôts (Brül­hart et Par­chet 2014b). D’un point de vue éco­no­mi­que, il serait dif­fi­ci­le de s’opposer à un cer­tain trans­fert de la char­ge fis­ca­le de la for­tu­ne vers les héritages.

Par ail­leurs, nos résul­tats impli­quent que l’imposition des suc­ces­si­ons ne doit pas obli­ga­toire­ment s’effectuer au niveau fédé­ral. Selon nos esti­ma­ti­ons, les per­son­nes âgées for­tu­n­ées réa­gis­sent rare­ment aux modi­fi­ca­ti­ons de l’impôt sur les suc­ces­si­ons. Les can­tons pour­rai­ent donc aug­men­ter leurs impôts sur les suc­ces­si­ons sans craind­re des départs en mas­se de con­tri­bu­ables lucratifs.

Si, par exemp­le, les can­tons aug­men­tai­ent la char­ge moy­enne de 1,4% actu­el­lement à 4%, c’est-à-dire à un niveau simi­lai­re à celui du début des années 1990, les cais­ses can­to­na­les et muni­ci­pa­les pour­rai­ent pro­ba­ble­ment per­ce­voir quel­que 2,5 mil­li­ards de francs (= 2,6% * 95 mil­li­ards) de recet­tes sup­plé­men­taires en 2020. Un flux éco­no­mi­que con­sidé­ra­ble res­te pres­que exo­né­ré d’impôts, alors qu’il pour­rait ser­vir à finan­cer de futures deman­des de pre­sta­ti­ons publi­ques, par exemp­le dans le sec­teur des soins. Un réé­qui­li­bra­ge ent­re l’impôt sur la for­tu­ne et l’impôt sur les suc­ces­si­ons méri­te­rait éga­le­ment d’être envisagé.

Cepen­dant, les finan­ces publi­ques de la plu­part des can­tons sont actu­el­lement sai­nes. De plus, le sou­ti­en poli­tique en faveur d’une aug­men­ta­ti­on de l’impôt sur les suc­ces­si­ons pour des rai­sons pure­ment dis­tri­bu­ti­ves fait défaut, comp­te tenu du rejet clair de l’initiative rela­ti­ve à l’impôt sur les suc­ces­si­ons de 2015. Des aug­men­ta­ti­ons de l’impôt sur les suc­ces­si­ons pour­rai­ent éven­tu­el­lement trou­ver un sou­ti­en majo­ri­taire si elles étai­ent liées à de nou­vel­les dépen­ses urgen­tes (en tant que source de finan­ce­ment du « moind­re mal») ou pour com­pen­ser d’autres impôts moins efficaces.

Les argu­ments pure­ment poli­ti­ques en matiè­re de dis­tri­bu­ti­on con­cer­nant l’impôt sur les suc­ces­si­ons repo­sent sur l’hypothèse que les héri­ta­ges et les dona­ti­ons ren­for­cent, voi­re exa­cer­bent, les iné­ga­li­tés de for­tu­ne socia­le­ment indé­si­ra­bles. Cepen­dant, cet­te affir­ma­ti­on man­que de base sci­en­ti­fi­que soli­de. Une aug­men­ta­ti­on des flux suc­ces­soraux n’entraîne pas néces­saire­ment une con­cen­tra­ti­on dynas­tique crois­san­te des gran­des for­tu­nes. Piket­ty (2014) note que les héri­ta­ges actu­els sont répar­tis de maniè­re plus lar­ge et plus uni­for­me qu’il y a cent ans (il par­le de « petits ren­tiers »). Des esti­ma­ti­ons à par­tir de don­nées du Dane­mark et de la Suè­de sug­gè­rent que l’héritage rédu­it les iné­ga­li­tés de rich­es­se rela­ti­ves (mais non abso­lues) à court ter­me (Bos­er­up, Kop­c­zuk et Krei­ner, 2016 ; Elin­der, Erix­son et Wal­den­ström, 2018). Selon Moser (2019), les don­nées indi­vi­du­el­les de l’administration fis­ca­le zurichoi­se indi­quent aus­si que dans leur ensem­ble les héri­ta­ges rédui­sent les iné­ga­li­tés de for­tu­ne plu­tôt que de les exacerber.

L’étude sué­doi­se d’Elinder et al. (2018) mont­re éga­le­ment que l’impôt sur les suc­ces­si­ons a exa­cer­bé, et non rédu­it, les iné­ga­li­tés en matiè­re de rich­es­se par­ce que, mal­gré un taux d’imposition pro­gres­sif, il repré­sen­tait une pro­por­ti­on plus éle­vée du patri­moi­ne total (héri­ta­ge plus patri­moi­ne exi­s­tant) des héri­tier-ère‑s moins for­tu­né-e‑s par rap­port aux très riches. Cepen­dant, Neko­ei et Seim (2019) mon­t­rent, éga­le­ment avec des don­nées sué­doi­ses, que les héri­tier-ère‑s pau­vres con­som­ment leur héri­ta­ge plus rapi­de­ment que les héri­tier-ères‑s riches. Ain­si, l’héritage à long ter­me peut aus­si accroît­re l’inégalité rela­ti­ve de la rich­es­se, une ten­dance qui pour­rait être cont­re­car­rée par un impôt pro­gres­sif sur les successions.

Nous ne savons pas com­ment évo­lue l’inégalité ent­re les héri­tier-ère‑s en Suis­se ain­si qu’entre ces der­nier-ère‑s et les non-héri­tier-ère‑s, pas plus que nous ne con­nais­sons l’incidence des impôts sur les suc­ces­si­ons sur la répar­ti­ti­on de la rich­es­se. Il y a encore beau­coup à explorer.


[1] La « suc­ces­si­on » inter­vi­ent au moment d’un décès, alors qu’une « dona­ti­on » est enten­due ent­re deux per­son­nes vivantes.

[2] Selon l’enquête menée auprès des élec­teurs après le réfé­ren­dum de 2015, ces deux argu­ments ont tou­te­fois été à l’avant-plan du débat sur un impôt fédé­ral sur les successions.

[3] Le reve­nu natio­nal suis­se a aug­men­té en moy­enne de 1,3% par an sur la péri­ode 2011–2018. Ain­si, la val­eur extra­po­lée des héri­ta­ges de la Suis­se dans le gra­phi­que 1 pour 2020 cor­re­spond déjà à 17% du reve­nu natio­nal, soit une val­eur supé­ri­eu­re à cel­le esti­mée pour 1911.

[4] Mor­ger et Stutz (2017) : 63 mil­li­ards en 2015 ; Stutz, Bau­er et Schmug­ge (2007) : 28,5 mil­li­ards en 2000, 23 mil­li­ards en 1997 ; Daepp (2003) : 18–22 mil­li­ards en 1997.

[5] Selon les sta­tis­ti­ques de l’AFC sur la for­tu­ne, le taux de crois­sance nomi­nal annu­el de la for­tu­ne pri­vée a été pres­que exac­te­ment de 5% sur l’ensemble de la péri­ode 1997–2016. Les val­eurs extra­po­lées résul­tent donc de la mul­ti­pli­ca­ti­on du volu­me esti­mé d’héritage de l’année T par le fac­teur 1,05(2020-T).

[6] Le seuil infé­ri­eur de 52 mil­li­ons résul­te du seuil infé­ri­eur de l’intervalle esti­mé de Daepp (2003), et le pla­fond résul­te de l’étude de Mor­ger et Stutz (2017).

[7] La métho­de uti­li­sée repo­se néces­saire­ment sur l’hypothèse que le taux d’épargne sur les reve­nus du tra­vail est le même que le taux d’épargne sur les reve­nus du capi­tal. Ces der­niers étant plus iné­ga­le­ment répar­tis que les pre­miers, le taux d’épargne sur les reve­nus du capi­tal est en réa­li­té pro­ba­ble­ment plus éle­vé. Ain­si, les esti­ma­ti­ons pré­sen­tées au gra­phi­que 2 repré­sen­tent des sous-esti­ma­ti­ons plu­tôt que des suresti­ma­ti­ons de la part de l’héritage.

[8] Selon les don­nées dis­po­nibles de l’Administration fédé­ra­le des finan­ces, les impôts sur les suc­ces­si­ons et les dona­ti­ons payés dans les com­mu­nes et les can­tons s’élèvent à 1,16 mil­li­ard de francs en 2017. Nous extra­po­lons cet­te val­eur en 2020 avec un taux de crois­sance sup­po­sé de 5%.

[9] La Suis­se a éga­le­ment une char­ge fis­ca­le rela­ti­ve­ment éle­vée sur les reve­nus du capi­tal. Tou­te­fois, les gains en capi­tal sur les actifs finan­ciers sont exo­né­rés d’impôt. Pour une ana­ly­se com­plè­te de la char­ge fis­ca­le sur le capi­tal en Suis­se, voir Sal­vi, Schel­len­bau­er et Zobrist (2013).

[10] Les avoirs du 3e pilier et les avoirs du 2e pilier ver­sés sous for­me de retraits de capi­tal peu­vent être légués de la même maniè­re que les autres avoirs pri­vés. Les avoirs du 2e pilier non ver­sés ne peu­vent être légués que dans la mes­u­re où ils don­nent droit à des ren­tes de veuve, de veuf et d’orphelin.

[11] Cet­te élasti­ci­té est géné­ra­le­ment néga­ti­ve par­ce que plus les impôts sont éle­vés, plus la base fis­ca­le se rétré­cit, et vice ver­sa. Avec une élasti­ci­té nulle (aucu­ne réac­tion com­por­te­men­ta­le), les recet­tes fis­ca­les chan­gent pro­por­ti­on­nel­lement à la varia­ti­on de la char­ge fis­ca­le. Avec une élasti­ci­té de ‑1, les ajus­tements com­por­te­men­taux com­pen­sent exac­te­ment les chan­ge­ments de la char­ge fis­ca­le, de sor­te que les recet­tes fis­ca­les ne réa­gis­sent pas aux modi­fi­ca­ti­ons du taux d’imposition. Pour finir, avec une élasti­ci­té infé­ri­eu­re à ‑1, les bais­ses d’impôts sont « ren­ta­bles » pour les finan­ces publi­ques, car elles ent­raî­nent une aug­men­ta­ti­on des recet­tes fiscales.

[12] Le plus grand défi métho­do­lo­gi­que d’une tel­le ana­ly­se rési­de dans la mes­u­re de l’assiette fis­ca­le affec­tée par les impôts sur les suc­ces­si­ons. Au sens le plus strict du ter­me, l’assiette per­ti­nen­te est la som­me des actifs héri­tés. Par­tant de l’hypothèse que les princi­paux-ales con­cer­né-e‑s par le sou­ci de leurs héri­tier-ère‑s sont les per­son­nes ayant att­eint l’âge de la retrai­te, nous nous som­mes sys­té­ma­ti­que­ment con­cen­trés sur ces con­tri­bu­ables. On peut éga­le­ment sup­po­ser que les retrai­té-e‑s les plus riches sont plus sen­si­bles aux modi­fi­ca­ti­ons de l’impôt sur les suc­ces­si­ons que les moins riches. La mes­u­re de l’assiette de l’impôt sur les suc­ces­si­ons que nous pri­vi­lé­gi­ons est donc le reve­nu pro­venant de l’impôt fédé­ral direct des ména­ges de retrai­té-e‑s du déci­le des reve­nus les plus élevés.

[13] Dans Brül­hart et Par­chet (2014a), nous esti­mons éga­le­ment des modè­les de panel dyna­mi­que qui per­met­tent de cal­cu­ler les effets à long ter­me selon cer­tai­nes hypo­thè­ses. Ces esti­ma­ti­ons à long ter­me ne sont pas très dif­fé­ren­tes de nos esti­ma­ti­ons principales.

[14] Cela signi­fie que l’élasticité de l’impôt sur les suc­ces­si­ons au-delà de laquel­le une réduc­tion de l’impôt sur les suc­ces­si­ons serait fis­ca­le­ment intéres­san­te n’est pas de ‑1, mais plus pro­che de zéro. Nous esti­mons que si d’autres impôts étai­ent inclus, il serait déjà pos­si­ble de rédu­i­re les impôts sur les suc­ces­si­ons de natu­re à aug­men­ter les recet­tes à par­tir d’une élasti­ci­té de ‑0,28. Tou­te­fois, cet­te val­eur limi­te est éga­le­ment très infé­ri­eu­re à nos esti­ma­ti­ons d’élasticité.

Annexe


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