Madame Tresch, comment un parti devient-il victorieux aux élections ?

Quels sont les thè­mes qui préoc­cup­ent par­ti­cu­liè­re­ment le corps élec­to­ral en cet­te année d’élec­tions ? Et dans quel­le mes­u­re ces thè­mes influ­en­cent-ils fina­le­ment le com­por­te­ment élec­to­ral des électri­ces et des élec­teurs ? Anke Tresch, directri­ce de l’étu­de élec­to­ra­le suis­se Selects et pro­fes­seu­re à l’Uni­ver­si­té de Lau­sanne, fait le point sur la question.

Madame Tresch, quels sont les thè­mes qui préoc­cup­ent par­ti­cu­liè­re­ment le corps élec­to­ral en cet­te année d’élections ?

Anke Tresch : Selon les son­da­ges, trois thè­mes domi­nent actu­el­lement : l’aug­men­ta­ti­on des coûts de la san­té, le chan­ge­ment cli­ma­tique et l’im­mi­gra­ti­on. Ce sont des sou­cis qui préoc­cup­ent la popu­la­ti­on dans tou­tes les régi­ons du pays. Mais la sécu­ri­té socia­le, en par­ti­cu­lier la garan­tie des retrai­tes, et l’ap­pro­vi­si­onne­ment en éner­gie préoc­cup­ent éga­le­ment de nombreu­ses per­son­nes. Ain­si, les pri­mes d’as­suran­ce mala­die et la pré­voyan­ce vieil­les­se sont d’u­ne part de grands chan­tiers poli­ti­ques et d’aut­re part, avec la migra­ti­on et le chan­ge­ment cli­ma­tique, des thè­mes glo­baux qui dépen­dent de cir­con­stan­ces exté­ri­eu­res. Cet­te con­jonc­tu­re thé­ma­tique géné­ra­le ne peut guè­re être influ­en­cée par les par­tis en Suis­se. Mais elle peut jou­er en faveur de cer­tains par­tis et leur don­ner l’oc­ca­si­on de gérer plus faci­le­ment leurs thè­mes de prédilection.

Y a‑t-il des chan­ge­ments nota­bles par rap­port à il y a quat­re ans ?

L’im­mi­gra­ti­on a gagné en influ­ence suite à la guer­re en Ukrai­ne et à la pénurie de main-d’œu­vre qua­li­fiée. En revan­che, l’im­mi­gra­ti­on n’é­tait guè­re un sujet de préoc­cup­a­ti­on avant les élec­tions de 2015. En revan­che, les préoc­cup­a­ti­ons liées au cli­mat se main­ti­en­nent dans le top des sujets, même avant ces élec­tions. Le con­tex­te a tou­te­fois chan­gé. Il y a quat­re ans, sous l’in­flu­ence de Gre­ta Thun­berg et du mou­ve­ment Fri­days for Future, la préoc­cup­a­ti­on pour le cli­mat s’est expri­mée pen­dant des mois, et pas seu­le­ment en Suis­se, par des grè­ves cli­ma­ti­ques et des mobi­li­sa­ti­ons de rue. Cet­te lar­ge mobi­li­sa­ti­on fait désor­mais défaut. Au lieu de cela, les pro­te­sta­ti­ons des acti­vis­tes cli­ma­ti­ques font par­fois la une des jour­naux de maniè­re néga­ti­ve (mot-clé “auto­col­lants climatiques”).

Dans quel­le mes­u­re ces thè­mes influ­en­cent-ils le choix du corps électoral ?

Les thè­mes fac­tu­els influ­en­cent le corps élec­to­ral de deux maniè­res. Tout d’a­bord, le con­tex­te thé­ma­tique est important pour la mobi­li­sa­ti­on, c’est-à-dire la décisi­on de par­ti­ci­per aux élec­tions. Nous con­nais­sons très bien cet effet lors des vota­ti­ons : les per­son­nes qui con­sidè­rent un objet de vota­ti­on com­me par­ti­cu­liè­re­ment important se ren­dent plus faci­le­ment aux urnes que cel­les qui sont indif­fé­ren­tes au sujet. Il en va de même pour les élec­tions : si l’on voit que de nombreu­ses per­son­nes autour de soi par­t­agent nos préoc­cup­a­ti­ons, on se sent con­for­té et on devi­ent con­fi­ant dans not­re capa­ci­té à fai­re bouger les cho­ses. En revan­che, si l’on con­sta­te que ses prio­ri­tés ne sont pas par­ta­gées par la socié­té, on se sent socia­le­ment iso­lé et on a ten­dance à se tenir à l’é­cart des élec­tions. L’UDC en a fait l’ex­pé­ri­ence lors des élec­tions de 2019 : ses thè­mes cen­traux de la migra­ti­on et de l’a­si­le n’é­tai­ent guè­re dans l’e­sprit du public, si bien que de tous les grands par­tis, c’est l’UDC qui a eu le plus de mal à inci­ter sa base à par­ti­ci­per aux élections.

En out­re, les thè­mes con­crets sont éga­le­ment import­ants pour la décisi­on élec­to­ra­le : on don­ne la pré­fé­rence au par­ti que l’on asso­cie au thè­me et que l’on con­sidè­re com­me com­pé­tent. C’est-à-dire le par­ti dont on attend qu’il s’oc­cupe le plus de la ques­ti­on, qu’il l’in­scri­ve à l’agen­da poli­tique, qu’il s’y tien­ne et qu’il pro­po­se des solu­ti­ons en accord avec les pré­fé­ren­ces personnelles.

Quel par­ti pro­fi­te­ra le plus des thè­mes abor­dés lors des pro­chai­nes élections ?

La ques­ti­on de l’im­mi­gra­ti­on dev­rait avant tout pro­fi­ter à l’UDC, qui explo­i­te ce thè­me avec suc­cès depuis long­temps — notam­ment par le biais d’in­itia­ti­ves popu­lai­res — et qui le place éga­le­ment au cent­re de sa cam­pa­gne élec­to­ra­le actu­el­le sous dif­férents aspects (10 mil­li­ons de Suis­ses, sécurité).

Anke Tresch

Anke Tresch est pro­fes­seu­re de sci­en­ces poli­ti­ques à l’Uni­ver­si­té de Lau­sanne. Elle diri­ge depuis 2017 le grou­pe « Enquê­tes poli­ti­ques » au FORS et est à ce tit­re respons­able de l’étu­de élec­to­ra­le suis­se Selects.

https://forscenter.ch/staff/anke-tresch/

 

Image: Unsplash

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