Le potentiel électoral de la social-démocratie suisse

Près de la moitié des électrices et électeurs suisses pourraient envisager de voter pour le PS, mais seul·e·s deux sur cinq de ces électrices et électeurs potentiel·le·s le font. Le PS dispose donc d’un potentiel électoral inexploité considérable. Les potentiels électoraux se recoupent dans l’éventail des partis gauche-vert, mais à peine avec les partis de droite : Les électrices et électeurs du PS potentiellement gagnables se trouvent surtout dans l’électorat des Verts et des Verts libéraux et parmi les jeunes qui ne votent pas, mais guère dans les partis de droite.

Mais qui sont ces électrices et électeurs potentiellement gagnables ? Iels sont en général jeunes, majoritairement féminin·e·s et très instruit·e·s. Du point de vue thématique, ces électrices et électeurs considèrent les défis environnementaux, sociétaux, internationaux et institutionnels comme les principaux problèmes politiques de la Suisse. En accord avec cette perception des problèmes, ce sont les positions sociales progressistes qui trouvent le plus d’écho positif dans l’électorat socialiste potentiel, plus encore que les positions économiques de gauche. Les gains potentiels se reflètent dans les pertes potentielles élevées par rapport aux deux partis verts : un bon septante pour cent des électrices et électeurs du PS peuvent aussi s’imaginer voter pour les Verts, près de quarante pour cent peuvent aussi s’imaginer voter pour les Vert’liberaux.

1 : Un grand potentiel d’électrices et électeurs, mais un faible taux d’exploitation

Le potentiel électoral d’un parti comprend tou·te·s les électrices et électeurs qui peuvent s’imaginer voter un jour pour ce parti. Pour les partis, il est stratégiquement important de connaître leur potentiel électoral. Ils peuvent ainsi évaluer leur capacité à mobiliser les électrices et électeurs en leur faveur, s’il existe encore un potentiel de croissance et qui sont les électrices et électeurs qui finissent par voter pour un autre parti.

Figure 1 : Potentiel électoral et taux d’exploitation des principaux partis en Suisse. Les répondant·e·s ayant une probabilité de vote d’au moins 60% sont codés comme électrices et électeurs potentiel·le·s.

Données : Potentiel électoral mesuré sur la base des données SELECTS 2015 et 2019. Exploitation mesurée sur la base des résultats électoraux effectifs lors des deux scrutins nationaux correspondants.
Exemple de lecture : 42% des personnes interrogées en Suisse indiquent une probabilité de vote pour le PS Suisse d’au moins 6 (sur une échelle de 1 à 10). En revanche, le pourcentage effectif d’électrices et d’électeurs du PS Suisse en moyenne lors des élections au Conseil national de 2015 et 2019 était de 17,8%.

Comme le montre la figure 1, le PS dispose – à égalité avec le PLR – du plus grand potentiel électoral de tous les partis en Suisse : plus de quarante pour cent de l’électorat suisse peut s’imaginer donner sa voix au parti social-démocrate. Ce chiffre contraste toutefois nettement avec la part de voix réelle du PS, inférieure à 20 % (en moyenne sur les deux dernières décennies), qui représentait moins de la moitié.

Cela indique que le PS est loin d’exploiter son potentiel électoral et que le parti rencontre une approbation bien au-delà de son propre électorat. Un examen des parts d’électorat et des potentiels électoraux au fil du temps montre en outre que le potentiel du PS est resté à peu près constant à quarante pour cent depuis 1995. Le recul de la part électorale au cours de la même période indique toutefois que le PS semble de moins en moins réussir à convaincre son électorat potentiel de voter pour lui.

Avec ces chiffres, le PS en Suisse se situe dans des valeurs très similaires à celles des autres partis sociaux-démocrates en Europe, qui ont également des potentiels électoraux élevés et stables, mais des taux d’exploitation de plus en plus faibles. La baisse de la capacité de mobilisation est notamment due à la concurrence plus forte dans le camp gauche-vert. En effet, les partis verts – en Suisse, les Verts et les Vert’libéraux – présentent également des potentiels électoraux (très) importants. Leur taux d’exploitation est certes encore plus bas que celui des partis sociaux-démocrates, mais il a tendance à augmenter. De plus en plus d’électrices et d’électeurs qui se situent eux-mêmes dans le camp gauche-vert donnent leur voix aux partis verts. Cette tendance est également très similaire en Suisse et dans les autres pays européens.

En Suisse, les partis de centre-droit n’exploitent eux aussi que faiblement leur potentiel électoral. Seule l’UDC mobilise particulièrement bien. Environ trois quarts des électrices et électeurs qui peuvent s’imaginer voter un jour pour l’UDC le font effectivement. Toutefois, l’UDC a en même temps un potentiel électoral relativement limité, ce qui indique que le parti se heurte à des limites de croissance.

2 : Électrices et électeurs potentiel·le·s à gagner : jeunes, éduqué·e·s, progressistes

Qui sont donc les électrices et électeurs qui pourraient envisager de voter PS, mais qui ne le font pas ? La figure 2 ci-dessous illustre la proportion d’électrices et d’électeurs potentiel·le·s dans les électorats des partis et parmi les non-votant·e·s pour l’année 2019. En effet, la proportion d’électrices et d’électeurs potentiel·le·s du PS dans l’électorat effectif du parti écologiste est très élevée : les trois quarts de celleux qui ont voté pour le parti écologiste en 2019 peuvent également envisager de voter pour le PS.

Il apparaît aussi très clairement que la part des “gagnables” dans l’éventail des partis diminue fortement de la gauche vers la droite : Alors qu’une bonne moitié de l’électorat vert’libéral peut encore s’imaginer voter pour le PS, ce chiffre est à peine inférieur à 20% pour le PLR. Enfin, au sein de l’électorat de l’UDC, moins d’une personne sur dix peut s’imaginer donner un jour sa voix au PS.

Cette différenciation énorme de l’électorat s’est renforcée au cours des vingt dernières années et reflète la forte polarisation du paysage politique suisse. En résumé, cela signifie que le PS peut attirer des électrices et électeurs au sein des partis de gauche et des partis verts, dont les programmes sont proches, mais qu’il ne jouit guère d’un attrait électoral auprès des partis de droite en Suisse. Le grand potentiel non exploité se situe donc en premier lieu au sein du bloc progressiste plus large de la Suisse.

Figure 2 : Probabilité de vote du PS Suisse dans les électorats des partis suisses en 2019.
Exemple de lecture : environ 6% des électrices et électeurs de l’UDC faisaient également partie de l’électorat potentiel du PS Suisse en 2019. 

Examinons ensuite le profil de ces électrices et électeurs potentiellement gagnables. Un coup d’œil sur les caractéristiques sociodémographiques de l’électorat potentiel qui ne vote pas pour le PS montre que le grand potentiel électoral se situe en particulier parmi les électrices et électeurs ayant un niveau de formation moyen ou supérieur. Près de la moitié des électrices et électeurs du PS potentiellement mobilisables aujourd’hui ont un niveau de formation tertiaire (voir figure 3). Cette proportion n’a cessé d’augmenter au cours des deux dernières décennies et a presque doublé, à la fois sous l’effet de l’expansion de la formation et du bouleversement de l’électorat des partis suisses.

On peut donc affirmer que le potentiel de croissance électorale de la social-démocratie suisse se situe en premier lieu dans le groupe des personnes moyennement et hautement instruites, qui a fortement augmenté ces dernières années dans le sillage de l’expansion continue de la formation et de la désindustrialisation. A l’inverse, ce constat contredit très clairement l’idée selon laquelle la social-démocratie pourrait ou devrait se développer en premier lieu en se tournant davantage vers les couches sociales moins éduquées. Même si le parti et ses électrices et électeurs continuent à représenter les intérêts matériels de ces couches sociales, leur force électorale se nourrit en premier lieu et surtout de plus en plus, au fil du temps, de la classe moyenne bien éduquée.

Figure 3 : Niveau d’éducation des électrices et électeurs potentiel·le·s, mais non effectif·ve·s, du PS
Exemple de lecture : parmi les personnes interrogées qui font partie de l’électorat potentiel du PS Suisse, mais qui n’ont pas effectivement voté pour le parti, environ 45% ont un diplôme de formation tertiaire en 2019.

Les nombreux abstentionnistes constituent également un groupe potentiellement gagnable plutôt important. Ce groupe est d’une ampleur sans précédent en Suisse, surtout en comparaison avec l’étranger : alors que 78% des électrices et électeurs ont participé aux élections nationales en Allemagne en 2021 ou 75,5% en Autriche en 2019, moins de la moitié des électrices et électeurs ont pris part aux élections nationales en Suisse, soit 45% en 2019. Cette très faible participation suggère à première vue qu’un très grand groupe d’électrices et d’électeurs pourrait être mobilisé en plus. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, une personne sur trois du groupe des non-votant·e·s peut s’imaginer voter pour le PS.

La question est de savoir qui sont ces électrices et électeurs potentiel·le·s du PS qui ne participent pas au vote ? Peut-on y trouver des électrices et électeurs “perdu·e·s”, plus ancien·ne·s, qui se sont détourné·e·s de la social-démocratie ? – une hypothèse qui continue d’être souvent formulée dans le débat public. Nous avons étudié les caractéristiques sociodémographiques de ce groupe et constaté qu’il était au contraire nettement plus jeune que le groupe des électrices et électeurs PS effectivement mobilisés. En outre, ce groupe compte nettement plus de femmes que l’électorat actuel du PS et davantage de personnes ayant un niveau de formation plus faible. Cette dernière observation est en accord avec le fait fondamental qu’en Suisse, la participation électorale est structurellement et constamment fortement déformée en fonction de la classe sociale. Les électrices et électeurs des couches sociales inférieures participent nettement moins souvent aux élections et sont également très difficiles à mobiliser.

Figure 4 : Mention des “problèmes politiques les plus importants pour la Suisse” par les électrices et électeurs qui ne votent pas pour le PS malgré une probabilité de vote élevée pour le PS.
Base de données : Selects 2019
Exemple de lecture : parmi les personnes interrogées qui font partie de l’électorat potentiel du PS Suisse, mais qui n’ont pas effectivement voté pour ce parti, environ deux tiers citent en 2019 les thèmes socioculturels (UE, immigration, environnement) comme le problème politique le plus important de la Suisse.

Enfin, nous nous penchons sur les attentes et les attitudes des électrices et électeurs potentiellement gagnables pour le PS. Pour ce faire, nous examinons les thèmes que ces électrices et électeurs considèrent comme particulièrement importants et dans quels domaines iels voient les problèmes et les défis politiques les plus urgents pour la Suisse. Ces informations nous donnent des indications sur les thèmes les plus susceptibles d’intéresser les électrices et électeurs supplémentaires.

Les thèmes colorés en vert dans la figure 4 peuvent être attribués à la politique sociétale, tandis que les thèmes colorés en bleu ou en violet peuvent plutôt être attribués à la politique sociale. Il apparaît que, ces deux dernières années en particulier, le groupe de loin le plus important d’électrices et électeurs gagnables a cité les thèmes de politique sociétale comme étant les plus importants. Certes, il existe aussi un groupe substantiel qui cite la politique sociale, économique ou du marché du travail comme problème politique le plus urgent en Suisse, mais ce groupe est nettement plus petit que ceux qui citent les questions de politique environnementale, européenne ou d’immigration comme défis centraux. Dans la section suivante, nous suivons ces attentes et attitudes de manière un peu plus approfondie en observant quels types de décisions politiques sont particulièrement apprécié·e·s par ces électrices et électeurs.

3 : Les positions progressistes attirent les électrices et électeurs potentiel·le·s.

Quelles propositions et positions politiques rencontrent un écho particulièrement positif au sein de l’électorat réel et potentiel de la démocratie sociale ? Pour répondre à cette question, nous avons réalisé des analyses conjointes. Pour ce faire, nous présentons aux personnes interrogées deux positions sociales-démocrates différentes sur des thèmes politiques choisis, que les personnes interrogées doivent comparer et évaluer l’une par rapport à l’autre.

Les domaines politiques choisis représentent des thèmes importants dans presque tous les systèmes de partis d’Europe occidentale et illustrent certaines dimensions de conflits politiques : d’une part, il s’agit de questions (classiques) de politique de distribution et de politique sociale concernant l’âge de la retraite, le montant potentiel d’un impôt sur les successions et le renforcement de la protection de l’emploi dans l’industrie.

D’autre part, nous présentons aux personnes interrogées des positions sur des sujets de politique sociétale tels que l’immigration, la politique d’intégration, les quotas de femmes et la taxation du CO2. Enfin, nous soumettons aux personnes interrogées des propositions de politique sociale plus récentes dans le domaine de la politique de conciliation et de logement. Le développement des structures publiques de garde d’enfants, qui est nettement moins avancé en Suisse qu’au niveau international, constitue un exemple de notre analyse. En intégrant la question de l’intervention de l’État dans les prix des loyers, nous abordons un autre thème de politique sociale qui a gagné en importance ces dernières années.

Ces comparaisons nous permettent de déterminer, dans l’analyse statistique, quelles positions conduisent à préférer ou à rejeter un programme de parti. Nous pouvons ainsi déterminer quels thèmes ont une influence positive ou négative particulièrement forte sur le soutien d’un programme de parti social-démocrate ou quelles positions politiques sont particulièrement bien accueillies par l’électorat.

Nous examinerons si les électrices et électeurs réel·le·s du PS diffèrent des électrices et électeurs potentiel·le·s (mais pas effectif·ve·s) et s’il existe certaines positions qui dissuaderaient véritablement les électrices et électeurs potentiel·le·s.

Figure 5 : Analyse conjoint pour la Suisse. Les coefficients (Marginal Means) montrent comment la présence d’une position dans le programme présenté influence la probabilité que les répondant·e·s préfèrent ce programme.

Exemple de lecture : Si un programme du PS prévoit un quota de 50% de femmes, cela augmente nettement le soutien à ce programme chez les électrices et électeurs potentiel·le·s (panel de gauche) et réel·le·s (panel de droite) du PS.

L’analyse montre que les électrices et électeurs réel·le·s et potentiel·le·s réagissent de manière similaire aux propositions. Tout comme pour les électrices et électeurs réel·le·s, une politique d’immigration et d’intégration progressiste, ainsi que l’exigence d’un quota de femmes dans les entreprises, augmentent la probabilité que les électrices et électeurs potentiel·le·s préfèrent un programme du PS à un programme contenant des propositions moins progressistes dans ces domaines. Les électrices et électeurs potentiellement mobilisables réagissent en outre très positivement aux programmes qui promettent de développer les structures d’accueil pour enfants et qui visent à ralentir la croissance des loyers dans les villes. Ces deux dernières propositions sont moins bien accueillies par les électrices et électeurs réel·le·s.

En résumé, les résultats montrent de manière cohérente que le PS pourrait plutôt mobiliser des électrices et électeurs gagnables avec des positions progressistes en matière de politique sociétale. En outre, les politiques d’investissement social sont des facteurs importants. En revanche, les revendications classiques de politique de distribution sont des facteurs moins évidents pour mobiliser un nouvel électorat. Enfin, il est également important de noter que l’électorat effectif ne diverge que de manière limitée de l’électorat potentiel. Il n’y a donc guère de preuves de conflits d’objectifs, c’est-à-dire que le PS pourrait perdre des électrices et électeurs actuel·le·s avec une politique qui s’adresse à des électrices et électeurs gagnables. Il semble plutôt que les électrices et électeurs gagnables aient une attitude similaire, mais qu’iels soient encore plus sensibles que les électrices et électeurs réel·le·s aux thèmes progressistes, plutôt de la nouvelle gauche.

4 : Les pertes menacent à gauche, pas à droite

Bien sûr, il n’y a pas que des gains potentiels d’électrices et d’électeurs, il y a aussi beaucoup d’électrices et d’électeurs qui ont voté PS, mais qui peuvent aussi envisager de voter pour d’autres partis. En effet, le PS – tout comme ses partis frères européens – a perdu beaucoup plus d’électrices et d’électeurs qu’il n’en a gagné au cours des dernières décennies, et il y a peu de raisons de penser que ce risque est écarté à l’avenir. La question se pose notamment de savoir si un programme progressiste prononcé pourrait également dissuader certains groupes d’électrices et d’électeurs plus conservateurs.

Figure 6 : Auprès de quels partis le PS risque-t-il de subir des pertes potentielles ? Quels autres partis les électrices et électeurs du PS en Suisse pourraient-iels envisager de voter ?

Données : Potentiel électoral et décision de vote mesurés à l’aide des données SELECTS 2015 et 2019.
Exemple de lecture : 71,1% des personnes interrogées qui ont voté pour le PS Suisse indiquent également une probabilité de vote d’au moins 60% pour le Les Verts suisses.

Dans une dernière étape, nous montrons donc où se situent les pertes potentielles pour le PS. Il en ressort que les pertes potentielles sont les plus probables vers des partis qui défendent également un agenda sociétale progressiste, voire qui se définissent encore plus fortement par ces thèmes que la social-démocratie.

Comme le montre la figure 6, seuls 5 % des électrices et électeurs du PS ont une forte probabilité de voter pour l’UDC. Ce chiffre est aussi bas que celui des électrices et électeurs UDC concernant la probabilité de voter PS. En revanche, près des trois quarts des électrices et électeurs du PS indiquent une forte probabilité de voter pour les Verts, et plus d’un tiers des électrices et électeurs du PS s’imaginent tout aussi bien voter pour les Vert’libéraux, dont la position est surtout centriste sur le plan économique. Cela souligne que le PS se bat en premier lieu avec les Verts et, dans une moindre mesure, avec les Vert’libéraux pour des segments d’électrices et d’électeurs similaires.

Cette dernière analyse s’inscrit donc elle aussi de manière cohérente dans l’image que donnent les résultats sur les migrations électorales et sur les potentiels électoraux dans ce bref Policy Brief : les tendances passées à long terme et les perspectives futures montrent que l’avenir de la social-démocratie en Suisse se décide dans le segment d’électrices et d’électeurs progressistes sur le plan économique et surtout societale-politique.


Remarque : le présent article se base sur le Policy Brief “Das Wählerpotenzial der Schweizer Sozialdemokratie“, édité par la Fondation Anny-Klawa-Morf à Berne. Il s’agit d’une compilation des principales conclusions de l’ouvrage qui vient de paraître chez NZZ Libro.

Référence:

Source de l’image: Universität Zürich, © Ursula Meisser

 

 

 

 

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