Les relations économiques avec l’UE: De l’évidence économique à l’argument de communication politique

« Sur 3 francs que nous gagnons, 1 franc envi­ron pro­vi­ent de nos rela­ti­ons avec l’UE » ser­mon­ne le Con­seil fédé­ral à cha­que vota­ti­on sur la poli­tique euro­péen­ne . Si la balan­ce com­mer­cia­le hel­vé­tique con­fir­me cet­te évi­dence éco­no­mi­que, les Hel­vè­tes ont tout de même sanc­tion­né à deux repri­ses cet argu­ment poli­tique, en 1992 et 2014. Quel­le est donc la per­ti­nence élec­to­ra­le de l’ar­gu­ment des avan­ta­ges éco­no­mi­ques lors des vota­ti­ons sur la poli­tique européenne?

L’évidence économique

Com­me la pro­spé­ri­té éco­no­mi­que hel­vé­tique dépend de ses per­for­man­ces à l’ex­por­ta­ti­on et à l’im­por­ta­ti­on, la rela­ti­on com­mer­cia­le hel­vé­ti­co-euro­péen­ne se pro­fi­le com­me une évi­dence pour la con­jonc­tu­re hel­vé­tique. Cet­te rela­ti­on com­mer­cia­le pri­vi­lé­giée est le fruit d’u­ne pro­xi­mi­té géo­gra­phi­que et cul­tu­rel­le, mais éga­le­ment d’un long che­min poli­tique qui tra­du­it la volon­té du Con­seil fédé­ral de se rappro­cher com­mer­cia­le­ment de ses voisins européens.

Dans les faits, l’Eur­o­pe con­sti­tue le princi­pal par­ten­aire éco­no­mi­que de la Suis­se depuis l’ex­pan­si­on du com­mer­ce inter­na­tio­nal. Alors que les pays de l’U­ni­on euro­péen­ne (UE) repré­sen­tai­ent 65 pour cent des expor­ta­ti­ons hel­vé­ti­ques en 1993, ils repré­sen­tent encore 53 pour cent des expor­ta­ti­ons en 2021. A l’i­den­tique, 81 pour cent des impor­ta­ti­ons de la Suis­se pro­ve­nai­ent des pays de l’UE en 1993. Ces impor­ta­ti­ons con­sti­tu­ent encore 70 pour cent des impor­ta­ti­ons hel­vé­ti­ques en 2021.

La communication politique

De 1992 à 2022, qua­tor­ze vota­ti­ons popu­lai­res ont vali­dé ou dés­ap­prou­vé la poli­tique euro­péen­ne du Con­seil fédé­ral. Lors de ces cam­pa­gnes poli­ti­ques, l’ar­gu­ment des avan­ta­ges éco­no­mi­ques, et notam­ment de l’é­troi­te rela­ti­on com­mer­cia­le hel­vé­ti­co-euro­péen­ne, a été saillant à huit repri­ses: Adhé­si­on à l’EEE (1992), Accords bila­té­raux I (2000), Exten­si­on de la libre cir­cu­la­ti­on des per­son­nes aux nou­veau États mem­bres de l’UE (2005), Loi sur la coo­pé­ra­ti­on avec l’Europe de l’Est (2006), Recon­duc­tion de la libre cir­cu­la­ti­on des per­son­nes Suis­se-UE et exten­si­on à la Bul­ga­rie et Rou­ma­nie (2009), initia­ti­ve popu­lai­re « Cont­re l’immigration de mas­se » (2014), initia­ti­ve popu­lai­re « Hal­te à la sur­po­pu­la­ti­on – Oui à la pré­ser­va­ti­on dura­ble des res­sour­ces natu­rel­les » (2014) et initia­ti­ve de limi­ta­ti­on (2020).

Cet­te stra­té­gie de com­mu­ni­ca­ti­on poli­tique a pour objec­tif de « cad­rer » la rela­ti­on hel­vé­ti­co-euro­péen­ne com­me essen­ti­el­lement éco­no­mi­que, ou plu­tôt com­mer­cia­le, afin de pla­cer le cur­seur des débats sur le ter­rain fer­ti­le de l’é­vi­dence éco­no­mi­que, plu­tôt que sur la pen­te glis­san­te de la dimen­si­on culturelle.

La pertinence électorale de l’argument des avantages économiques

S’il est évi­dent que le choix de vote des citoy­ens et citoy­ennes hel­vé­ti­ques, lors des vota­ti­ons sur la poli­tique euro­péen­ne, n’est pas dic­té uni­que­ment par le cadra­ge de la cam­pa­gne poli­tique, et plus pré­cis­é­ment par la saillan­ce de l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques, et que d’autres varia­bles, notam­ment indi­vi­du­el­les, et d’autres dimen­si­ons doiv­ent être pri­ses en comp­te, il est très intéres­sant de noter que le pour­cen­ta­ge d’Helvètes qui ont approu­vé l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques lors des vota­ti­on sur l’Adhésion à l’EEE de 1992 et sur l’initiative popu­lai­re « Cont­re l’immigration de mas­se » de 2014 appa­raît sta­tis­ti­que­ment infé­ri­eur au même pour­cen­ta­ge lors des six autres vota­ti­ons qui ont vali­dé la poli­tique euro­péen­ne du Con­seil fédé­ral. Pour être pré­cis, alors que « seu­le­ment » 5 Hel­vè­tes sur 10 ont approu­vé l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques de la rela­ti­on hel­vé­ti­co-euro­péen­ne en 1992 et 2014, ce ratio att­eint ent­re 6,5 et 7 Hel­vè­tes sur 10 lors des six autres vota­ti­ons où l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques a été mis en avant par le Con­seil fédéral.

Il est pos­si­ble de fai­re l’hy­po­thè­se que, d’un côté, l’ar­gu­ment éco­no­mi­que a été supplan­té par la dimen­si­on cul­tu­rel­le de la rela­ti­on hel­vé­ti­co-euro­péen­ne en 1992, et que d’un aut­re côté, les argu­ments éco­no­mi­ques foca­li­sés sur les menaces pour le mar­ché du tra­vail hel­vé­tique, avec un cadra­ge de la cam­pa­gne sur les bais­ses de salai­re et la hausse du chô­mage indu­i­te par « l’immigration de mas­se », ont contreb­a­lan­cé l’ar­gu­ment de la clau­se guil­lo­ti­ne, et donc de l’ac­cès au grand mar­ché euro­péen en 2014. À par­tir de là, en se foca­li­sant sur le pour­cen­ta­ge de votants qui approuve l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques, les 1,5 à 2 Hel­vè­tes de dif­fé­rence ent­re les deux vota­ti­ons de 1992 et 2014, et les six autres vota­ti­ons sur la poli­tique euro­péen­ne, incar­nent pro­ba­ble­ment cet­te frac­tion de la popu­la­ti­on sus­cep­ti­ble de fai­re pen­cher la balan­ce en faveur du camp des par­tis­ans ou du camp des oppo­sants à une rela­ti­on hel­vé­ti­co-euro­péen­ne étroi­te en fonc­tion de motifs économiques.

Fort de cet­te ana­ly­se, le Con­seil fédé­ral aura inté­rêt, à l’a­ve­nir, à non seu­le­ment ori­en­ter la cam­pa­gne sur le ter­rain éco­no­mi­que afin d’éviter une trop for­te pré­va­lence de la dimen­si­on cul­tu­rel­le, mais dev­ra éga­le­ment s’attacher à mett­re en avant le poids éco­no­mi­que de la rela­ti­on com­mer­cia­le afin d’éviter de se fai­re débor­der par l’argument éco­no­mi­que des menaces qui pèsent sur le mar­ché du tra­vail. En effet, si l’argument des avan­ta­ges éco­no­mi­ques n’est pas for­cé­ment décisif dans le choix de vote, cet­te évi­dence éco­no­mi­que indu­it néan­moins une dyna­mi­que de cam­pa­gne favor­able à une rela­ti­on hel­vé­ti­co-euro­péen­ne étroite.

Cadra­ge (Framing en anglais)
Lors d’u­ne vota­ti­on, les acteurs enga­gés dans la cam­pa­gne uti­li­sent des outils de com­mu­ni­ca­ti­on poli­tique pour cad­rer stra­té­gique­ment les débats poli­ti­ques. Leur objec­tif est ain­si, d’un côté, de ren­forcer la saillan­ce de cer­tains argu­ments ou dimen­si­ons spé­ci­fi­ques (qui sont favor­ables à leur posi­ti­on poli­tique), et d’un aut­re côté, de gar­der d’au­tres argu­ments et dimen­si­ons à l’ar­riè­re-plan (qui sont défa­vor­ables à leur posi­ti­on poli­tique). Une tel­le stra­té­gie de cadra­ge peut s’a­vé­rer décisi­ve pour moti­ver un choix de vote.

Note: cet arti­cle est la ver­si­on écri­te abré­gée du cha­pit­re du liv­re «Die Wirt­schafts­be­zie­hun­gen mit der EU: Fak­ten und Nar­ra­ti­ve», dans: Heer Elia, Hei­del­ber­ger Anja, Bühl­mann Marc (eds.). Schweiz – EU: Son­der­we­ge, Holz­we­ge, Königs­we­ge. Die viel­fäl­ti­gen Bezie­hun­gen seit dem EWR-Nein. Zurich: NZZ Libro. p. 115 – 146.

Image: DFAE

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