Importance de la nationalité dans le contexte d’inquiétude liée à la pandémie parmi les migrant.e.s âgé.e.s

Depuis le début de la pan­dé­mie en 2020, les gens s’in­quiè­tent du COVID-19. Les per­son­nes âgées (65 ans et plus) sem­blent être par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­ra­bles, et les mino­ri­tés et les migrant.e.s ont été plus dure­ment touché.e.s par la pan­dé­mie que les auto­ch­to­nes. Les don­nées mon­t­rent que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s âgé.e.s vivant en Suis­se ont été con­sidé­ra­ble­ment plus inquiet.e.s de la pan­dé­mie que les per­son­nes âgées d’o­ri­gi­ne suis­se. Pour­quoi ont-ils/el­les été plus inquiet.e.s alors qu’ils/elles ont vécu la pan­dé­mie dans un con­tex­te simi­lai­re ? Et en quoi la natio­na­li­té suis­se était-elle per­ti­nen­te dans ce cas ?

En 2021, nous avons com­men­cé à ana­ly­ser not­re nou­vel­le base de don­nées sur le trans­na­tio­na­lisme en Suis­se et en Ita­lie. Pour cet ensem­ble de don­nées, nous avons mené des ent­re­ti­ens auprès d’en­vi­ron 3200 per­son­nes âgées de 65 ans et plus, vivant en Ita­lie ou en Suis­se, et appar­ten­ant à l’un des quat­re pro­fils sui­v­ants : les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s vivant en Suis­se, les suis­ses d’o­ri­gi­ne vivant en Suis­se, les migrant.e.s inter­nes ita­li­ens vivant en Ita­lie, et les non-migrant.e.s italien.ne.s vivant en Italie.

Plus d’in­quiétu­des chez les migrant.e.s internationaux/nales

Lors­que nous avons deman­dé à tou.te.s les participant.e.s à l’en­quê­te dans quel­le mes­u­re ils/elles étai­ent inquiet.e.s de la pan­dé­mie de COVID-19, nous som­mes tombé.e.s sur un résul­tat intéres­sant. Les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s étai­ent beau­coup plus inquiet.e.s que les suis­ses d’o­ri­gi­ne. Bien que les deux types de popu­la­ti­on aient vécu la pan­dé­mie de COVID-19 dans le même pays et les mêmes can­tons, elles sem­blent l’a­voir vécue très différemment.

Figu­re 1. Com­pa­rai­son de l’in­quiétu­de con­cer­nant la pan­dé­mie ent­re les types de popu­la­ti­on enquêtés

En out­re, nous avons con­sta­té que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s étai­ent pres­que aus­si inquiet.e.s que les migrant.e.s inter­nes italien.ne.s et les non-migrant.e.s italien.ne.s. Cepen­dant, pour­quoi les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s plus âgé.e.s étai­ent-ils/el­les plus inquiet.e.s que les per­son­nes de Suis­se ? Pour­quoi étai­ent-ils/el­les aus­si inquiet.e.s que les Italien.ne.s en Italie ?

Trois répon­ses pos­si­bles pour­rai­ent expli­quer la dif­fé­rence d’in­quiétu­de ent­re les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s et les suis­ses d’o­ri­gi­ne : les effets de com­po­si­ti­on — c’est-à-dire les effets liés aux carac­té­ris­ti­ques soci­odé­mo­gra­phi­ques spé­ci­fi­ques de cha­que grou­pe, la gra­vi­té de la pan­dé­mie de COVID-19 en Ita­lie et le trans­na­tio­na­lisme des migrant.e.s internationaux/nales.

Test de trois expli­ca­ti­ons potentielles

L’u­ne des rai­sons pour les­quel­les il exis­te une dif­fé­rence d’in­quiétu­de ent­re les migrant.e.s et les suis­ses d’o­ri­gi­ne pour­rait être que les migrant.e.s italien.ne.s en Suis­se sont en moins bon­ne san­té que les suis­ses d’o­ri­gi­ne. Nous pou­vons sup­po­ser que les per­son­nes en mau­vai­se san­té s’in­quiè­tent davan­ta­ge de la COVID-19 (Soi­né et al. 2021) et que, par con­sé­quent, les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s pour­rai­ent être plus inquiet.e.s de la pandémie.

Des argu­ments simi­lai­res peu­vent être avan­cés pour d’au­tres varia­bles, com­me l’â­ge (Kuhn et al., 2021), le sta­tut fami­li­al (Buyukke­ce­ci 2021) et le reve­nu (Kuhn et al. 2021). Cepen­dant, même en con­trôlant tou­tes ces varia­bles pos­si­bles, nos modè­les mon­t­rent que la dif­fé­rence d’in­quiétu­de con­cer­nant la pan­dé­mie res­te signi­fi­ca­ti­ve ent­re les deux types de popu­la­ti­on. Les dif­fé­ren­ces de com­po­si­ti­on n’ex­pli­quent donc pas suf­fi­sam­ment pour­quoi les migrant.e.s italien.ne.s sont plus inquiet.e.s que les suis­ses d’origine.

La sévé­ri­té de la situa­ti­on liée au COVID-19 en Ita­lie pour­rait-elle expli­quer les dif­férents niveaux d’in­quiétu­de ent­re les grou­pes cibles ? L’I­ta­lie a été l’un des pays tou­chés très tôt et le plus dure­ment par la pan­dé­mie au début de l’an­née 2020 (Remuz­zi & Remuz­zi, 2020).

L’u­ne des plus gran­des crain­tes dans le con­tex­te de COVID-19 sem­b­lait être la san­té des autres, com­me cel­le des amis et de la famil­le (Mer­tens et al. 2020). Il sem­ble que cet­te crain­te soit supé­ri­eu­re à l’in­quiétu­de con­cer­nant sa prop­re san­té. Com­me de nombreux/ses migrant.e.s italien.ne.s ont encore des amis et de la famil­le vivant en Ita­lie, ils/elles pour­rai­ent poten­ti­el­lement être plus inquiet.e.s de la pan­dé­mie par­ce qu’ils/elles s’in­quiè­tent pour leurs amis et leur famil­le res­tés au pays.

Dans nos modè­les, nous avons con­trô­lé la situa­ti­on du COVID-19 dans la régi­on d’o­ri­gi­ne des répondant.e.s en uti­li­sant la moy­enne heb­do­mad­ai­re du total des décès dus au COVID-19 depuis le début de la pan­dé­mie pour 100 000 citoyen.ne.s. Les résul­tats mon­t­rent que la sévé­ri­té de la situa­ti­on du COVID-19 n’ex­pli­que pas la dif­fé­rence d’in­quiétu­de ent­re les deux types de population.

La der­niè­re expli­ca­ti­on que nous avons tes­tée est le trans­na­tio­na­lisme des migrant.e.s. Nous con­sidé­rons le trans­na­tio­na­lisme com­me l’en­sem­ble des liens, phy­si­ques et psy­cho­lo­gi­ques, que les migrant.e.s ent­re­ti­en­nent avec leur pays d’o­ri­gi­ne. Par­mi les exemp­les, on peut citer les visi­tes dans le pays, les amis et la famil­le qui y vivent, les inten­ti­ons de retour, ou encore le fait de suiv­re l’ac­tua­li­té liée au pays.

Le fait de regar­der les infor­ma­ti­ons, d’a­voir des amis et de la famil­le dans le pays d’o­ri­gi­ne et d’êt­re en con­ta­ct avec eux/elles peut favo­ri­ser l’anxié­té et l’in­quiétu­de face à la pan­dé­mie (Cao & Sun, 2021, Mer­tens et al. 2020). Par con­sé­quent, les migrant.e.s qui sont plus transnationaux/nales, c’est-à-dire plus lié.e.s à leur pays d’o­ri­gi­ne, pour­rai­ent être plus inquiet.e.s face à la pan­dé­mie, ce qui pour­rait expli­quer la dif­fé­rence ent­re les migrant.e.s italien.ne.s et les suis­ses d’origine.

Nous avons tes­té cet­te expli­ca­ti­on et con­sta­té que les migrant.e.s italien.ne.s qui ne sont pas transnationaux/nales, c’est-à-dire très déconnecté.e.s de l’I­ta­lie, étai­ent tout aus­si inquiet.e.s de la pan­dé­mie que les suis­ses d’o­ri­gi­ne. Par con­sé­quent, les liens que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s ent­re­ti­en­nent avec l’I­ta­lie ne sont qu’u­ne par­tie de l’ex­pli­ca­ti­on des niveaux d’in­quiétu­de plus éle­vés par rap­port aux suis­ses d’origine.

L’im­por­t­ance de la natio­na­li­té suisse

Quel­les sont donc les carac­té­ris­ti­ques spé­ci­fi­ques du trans­na­tio­na­lisme qui pour­rai­ent expli­quer les dif­férents niveaux d’in­quiétu­de face à la pan­dé­mie ? Des modè­les sup­plé­men­taires mon­t­rent qu’u­ne varia­ble en par­ti­cu­lier a fait la dif­fé­rence : le fait que les migrant.e.s pos­sè­dent ou non la natio­na­li­té suisse.

Bien que, d’a­près nos don­nées, nous ne puis­si­ons pas expli­quer com­ment le fait d’a­voir la natio­na­li­té suis­se aurait pu rédu­i­re les inquiétu­des des migrant.e.s italien.ne.s à pro­pos de la pan­dé­mie, nous sup­po­sons que le fait d’a­voir la natio­na­li­té d’un pays où les obsta­cles à l’ob­ten­ti­on du sta­tut de citoy­en à part ent­iè­re sont com­pa­ra­ti­ve­ment éle­vés (Koop­mans 2010), com­me cel­le de la Suis­se, peut ajou­ter une cou­che de sécu­ri­té pour les migrant.e.s.

Avoir la natio­na­li­té suis­se peut don­ner aux migrant.e.s le sen­ti­ment d’êt­re traité.e.s sans discri­mi­na­ti­on dans le sys­tème de san­té suis­se, ce qui est par­ti­cu­liè­re­ment important en cas de pan­dé­mie. En revan­che, s’ils n’ont pas la natio­na­li­té suis­se, les migrant.e.s peu­vent se sen­tir com­me des citoyen.ne.s de secon­de zone dans un sys­tème de san­té excep­ti­on­nel­lement coû­teux et mar­qué par des iné­ga­li­tés ent­re migrant.e.s et non-migrant.e.s (Tzo­giou et al. 2021 ; Spang & Zup­pin­ger, 2010).

La peur et l’in­quiétu­de exces­si­ves sont asso­ciées à des résul­tats de san­té néga­tifs au fil du temps (Gar­fin et al., 2020). Les résul­tats de not­re étu­de peu­vent, nous l’e­spé­rons, infor­mer les déci­deurs poli­ti­ques sur la façon de créer des envi­ron­ne­ments qui indui­sent moins d’in­quiétu­de, de peur et de stress chez les migrant.e.s afin de rédu­i­re l’é­mer­gence de résul­tats néga­tifs pour la santé.

Le bil­let de blog a été publié pour la pre­miè­re fois sur la pla­te­for­me nccr-on the move. Le blog a été tra­du­it en fran­çais par Ali­na Datsii.

Sarah M. Lud­wig-Dehm est cher­cheu­se post-doc­to­ra­le à la Facul­té de tra­vail social de la Hau­te éco­le spé­cia­li­sée de Suis­se occi­den­ta­le (HETSL / HES-SO) à Lau­sanne, en Suis­se, et est affi­liée au Cent­re suis­se d’ex­per­ti­se en recher­che sur les par­cours de vie, Uni­ver­si­té de Genè­ve, en Suis­se. Elle tra­vail­le actu­el­lement sur le pro­jet “Trans­na­tio­nal age­ing among older migrants and nati­ves : A stra­te­gy to over­co­me vul­nera­bi­li­ty”.

Iuna Dones est doc­tor­an­te à l’Uni­ver­si­té de Genè­ve et cher­cheu­se à la Facul­té de tra­vail social de la Hau­te éco­le spé­cia­li­sée de Suis­se occi­den­ta­le (HETSL / HES-SO) à Lau­sanne, en Suis­se, et est affi­liée au Cent­re suis­se d’ex­per­ti­se en recher­che sur les par­cours de vie, Uni­ver­si­té de Genè­ve, Suis­se. Elle pré­pa­re actu­el­lement son doc­to­rat dans le cad­re du pro­jet “Trans­na­tio­nal age­ing among older migrants and nati­ves : A stra­te­gy to over­co­me vul­nera­bi­li­ty”.

Refe­ren­ces:

– Buyukke­ce­ci, Z. (2021). Cross-coun­try dif­fe­ren­ces in anxie­ty and beha­vio­ral respon­se to the Covid-19 pan­de­mic, Euro­pean Socie­ties23(1), 417– 447.
– Cao, X. & Sun, K. (2021). Seeking trans­na­tio­nal social pro­tec­tion during a glo­bal pan­de­mic: The case of Chi­ne­se immi­grants in the United Sta­tes, Social Sci­ence and Medi­ci­ne, 287, Octo­ber 2021, 114378.
– Koop­mans, R. (2010). Tra­de-Offs bet­ween Equa­li­ty and Dif­fe­rence: Immi­grant Inte­gra­ti­on, Mul­ti­cul­tu­ra­lism and the Wel­fa­re Sta­te in Cross-Natio­nal Per­spec­ti­ve, Jour­nal of Eth­nic and Migra­ti­on Stu­dies,36(1), 1–26.
– Mer­tens, G., Ger­ritsen, L.,  Dui­jn­dam, S., Salemink, E. & Engel­hard, I. M. (2020). Fear of the coro­na­vi­rus (COVID-19): Pre­dic­tors in an online stu­dy con­duc­ted in March 2020, Jour­nal of Anxie­ty Dis­or­ders74, 1–8.
– Remuz­zi, A. & Remuz­zi G. (2020). COVID-19 and Ita­ly: What next? The Lan­cet 395, 1225–1228.
– Soi­né, H., Krie­gel, L. & Dol­l­mann, J. (2021). The impact of the COVID-19 pan­de­mic on risk per­cep­ti­ons: dif­fe­ren­ces bet­ween eth­nic groups in Ger­ma­ny, Euro­pean Socie­ties.
– Spang T. & Zup­pin­ger. B. (2010). Switz­er­land: immi­grants facing pover­ty and social exclu­si­on – the Migra­ti­on and Public Health Stra­te­gy. In: Pover­ty and social exclu­si­on in the WHO Euro­pean Regi­on: health sys­tems respond. Copen­ha­gen: WHO Regio­nal Office for Euro­pe.
– Tzo­giou, C., Boes, S. & Brun­ner. B. (2021). What exp­lains the ine­qua­li­ties in health care uti­liz­a­ti­on bet­ween immi­grants and non-migrants in Switz­er­land? BMC Public Health 21(1):530–545

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