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Importance de la nationalité dans le contexte d’inquiétude liée à la pandémie parmi les migrant.e.s âgé.e.s

Sarah M. Ludwig-Dehm, Iuna Dones
6th May 2022

Depuis le début de la pandémie en 2020, les gens s'inquiètent du COVID-19. Les personnes âgées (65 ans et plus) semblent être particulièrement vulnérables, et les minorités et les migrant.e.s ont été plus durement touché.e.s par la pandémie que les autochtones. Les données montrent que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s âgé.e.s vivant en Suisse ont été considérablement plus inquiet.e.s de la pandémie que les personnes âgées d'origine suisse. Pourquoi ont-ils/elles été plus inquiet.e.s alors qu'ils/elles ont vécu la pandémie dans un contexte similaire ? Et en quoi la nationalité suisse était-elle pertinente dans ce cas ?

En 2021, nous avons commencé à analyser notre nouvelle base de données sur le transnationalisme en Suisse et en Italie. Pour cet ensemble de données, nous avons mené des entretiens auprès d'environ 3200 personnes âgées de 65 ans et plus, vivant en Italie ou en Suisse, et appartenant à l'un des quatre profils suivants : les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s vivant en Suisse, les suisses d'origine vivant en Suisse, les migrant.e.s internes italiens vivant en Italie, et les non-migrant.e.s italien.ne.s vivant en Italie.

Plus d'inquiétudes chez les migrant.e.s internationaux/nales

Lorsque nous avons demandé à tou.te.s les participant.e.s à l'enquête dans quelle mesure ils/elles étaient inquiet.e.s de la pandémie de COVID-19, nous sommes tombé.e.s sur un résultat intéressant. Les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s étaient beaucoup plus inquiet.e.s que les suisses d'origine. Bien que les deux types de population aient vécu la pandémie de COVID-19 dans le même pays et les mêmes cantons, elles semblent l'avoir vécue très différemment.

Figure 1. Comparaison de l'inquiétude concernant la pandémie entre les types de population enquêtés

En outre, nous avons constaté que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s étaient presque aussi inquiet.e.s que les migrant.e.s internes italien.ne.s et les non-migrant.e.s italien.ne.s. Cependant, pourquoi les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s plus âgé.e.s étaient-ils/elles plus inquiet.e.s que les personnes de Suisse ? Pourquoi étaient-ils/elles aussi inquiet.e.s que les Italien.ne.s en Italie ?

Trois réponses possibles pourraient expliquer la différence d'inquiétude entre les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s et les suisses d'origine : les effets de composition - c'est-à-dire les effets liés aux caractéristiques sociodémographiques spécifiques de chaque groupe, la gravité de la pandémie de COVID-19 en Italie et le transnationalisme des migrant.e.s internationaux/nales.

Test de trois explications potentielles

L'une des raisons pour lesquelles il existe une différence d'inquiétude entre les migrant.e.s et les suisses d'origine pourrait être que les migrant.e.s italien.ne.s en Suisse sont en moins bonne santé que les suisses d'origine. Nous pouvons supposer que les personnes en mauvaise santé s'inquiètent davantage de la COVID-19 (Soiné et al. 2021) et que, par conséquent, les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s pourraient être plus inquiet.e.s de la pandémie.

Des arguments similaires peuvent être avancés pour d'autres variables, comme l'âge (Kuhn et al., 2021), le statut familial (Buyukkececi 2021) et le revenu (Kuhn et al. 2021). Cependant, même en contrôlant toutes ces variables possibles, nos modèles montrent que la différence d'inquiétude concernant la pandémie reste significative entre les deux types de population. Les différences de composition n'expliquent donc pas suffisamment pourquoi les migrant.e.s italien.ne.s sont plus inquiet.e.s que les suisses d'origine.

La sévérité de la situation liée au COVID-19 en Italie pourrait-elle expliquer les différents niveaux d'inquiétude entre les groupes cibles ? L'Italie a été l'un des pays touchés très tôt et le plus durement par la pandémie au début de l'année 2020 (Remuzzi & Remuzzi, 2020).

L'une des plus grandes craintes dans le contexte de COVID-19 semblait être la santé des autres, comme celle des amis et de la famille (Mertens et al. 2020). Il semble que cette crainte soit supérieure à l'inquiétude concernant sa propre santé. Comme de nombreux/ses migrant.e.s italien.ne.s ont encore des amis et de la famille vivant en Italie, ils/elles pourraient potentiellement être plus inquiet.e.s de la pandémie parce qu'ils/elles s'inquiètent pour leurs amis et leur famille restés au pays.

Dans nos modèles, nous avons contrôlé la situation du COVID-19 dans la région d'origine des répondant.e.s en utilisant la moyenne hebdomadaire du total des décès dus au COVID-19 depuis le début de la pandémie pour 100 000 citoyen.ne.s. Les résultats montrent que la sévérité de la situation du COVID-19 n'explique pas la différence d'inquiétude entre les deux types de population.

La dernière explication que nous avons testée est le transnationalisme des migrant.e.s. Nous considérons le transnationalisme comme l'ensemble des liens, physiques et psychologiques, que les migrant.e.s entretiennent avec leur pays d'origine. Parmi les exemples, on peut citer les visites dans le pays, les amis et la famille qui y vivent, les intentions de retour, ou encore le fait de suivre l'actualité liée au pays.

Le fait de regarder les informations, d'avoir des amis et de la famille dans le pays d'origine et d'être en contact avec eux/elles peut favoriser l'anxiété et l'inquiétude face à la pandémie (Cao & Sun, 2021, Mertens et al. 2020). Par conséquent, les migrant.e.s qui sont plus transnationaux/nales, c'est-à-dire plus lié.e.s à leur pays d'origine, pourraient être plus inquiet.e.s face à la pandémie, ce qui pourrait expliquer la différence entre les migrant.e.s italien.ne.s et les suisses d'origine.

Nous avons testé cette explication et constaté que les migrant.e.s italien.ne.s qui ne sont pas transnationaux/nales, c'est-à-dire très déconnecté.e.s de l'Italie, étaient tout aussi inquiet.e.s de la pandémie que les suisses d'origine. Par conséquent, les liens que les migrant.e.s internationaux/nales italien.ne.s entretiennent avec l'Italie ne sont qu'une partie de l'explication des niveaux d'inquiétude plus élevés par rapport aux suisses d'origine.

L'importance de la nationalité suisse

Quelles sont donc les caractéristiques spécifiques du transnationalisme qui pourraient expliquer les différents niveaux d'inquiétude face à la pandémie ? Des modèles supplémentaires montrent qu'une variable en particulier a fait la différence : le fait que les migrant.e.s possèdent ou non la nationalité suisse.

Bien que, d'après nos données, nous ne puissions pas expliquer comment le fait d'avoir la nationalité suisse aurait pu réduire les inquiétudes des migrant.e.s italien.ne.s à propos de la pandémie, nous supposons que le fait d'avoir la nationalité d'un pays où les obstacles à l'obtention du statut de citoyen à part entière sont comparativement élevés (Koopmans 2010), comme celle de la Suisse, peut ajouter une couche de sécurité pour les migrant.e.s.

Avoir la nationalité suisse peut donner aux migrant.e.s le sentiment d'être traité.e.s sans discrimination dans le système de santé suisse, ce qui est particulièrement important en cas de pandémie. En revanche, s'ils n'ont pas la nationalité suisse, les migrant.e.s peuvent se sentir comme des citoyen.ne.s de seconde zone dans un système de santé exceptionnellement coûteux et marqué par des inégalités entre migrant.e.s et non-migrant.e.s (Tzogiou et al. 2021 ; Spang & Zuppinger, 2010).

La peur et l'inquiétude excessives sont associées à des résultats de santé négatifs au fil du temps (Garfin et al., 2020). Les résultats de notre étude peuvent, nous l'espérons, informer les décideurs politiques sur la façon de créer des environnements qui induisent moins d'inquiétude, de peur et de stress chez les migrant.e.s afin de réduire l'émergence de résultats négatifs pour la santé.

Le billet de blog a été publié pour la première fois sur la plateforme nccr-on the move. Le blog a été traduit en français par Alina Datsii.

Sarah M. Ludwig-Dehm est chercheuse post-doctorale à la Faculté de travail social de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HETSL / HES-SO) à Lausanne, en Suisse, et est affiliée au Centre suisse d'expertise en recherche sur les parcours de vie, Université de Genève, en Suisse. Elle travaille actuellement sur le projet "Transnational ageing among older migrants and natives : A strategy to overcome vulnerability".

Iuna Dones est doctorante à l'Université de Genève et chercheuse à la Faculté de travail social de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HETSL / HES-SO) à Lausanne, en Suisse, et est affiliée au Centre suisse d'expertise en recherche sur les parcours de vie, Université de Genève, Suisse. Elle prépare actuellement son doctorat dans le cadre du projet "Transnational ageing among older migrants and natives : A strategy to overcome vulnerability".

References:

– Buyukkececi, Z. (2021). Cross-country differences in anxiety and behavioral response to the Covid-19 pandemic, European Societies23(1), 417– 447.
– Cao, X. & Sun, K. (2021). Seeking transnational social protection during a global pandemic: The case of Chinese immigrants in the United States, Social Science and Medicine, 287, October 2021, 114378.
– Koopmans, R. (2010). Trade-Offs between Equality and Difference: Immigrant Integration, Multiculturalism and the Welfare State in Cross-National Perspective, Journal of Ethnic and Migration Studies,36(1), 1–26.
– Mertens, G., Gerritsen, L.,  Duijndam, S., Salemink, E. & Engelhard, I. M. (2020). Fear of the coronavirus (COVID-19): Predictors in an online study conducted in March 2020, Journal of Anxiety Disorders74, 1–8.
– Remuzzi, A. & Remuzzi G. (2020). COVID-19 and Italy: What next? The Lancet 395, 1225–1228.
– Soiné, H., Kriegel, L. & Dollmann, J. (2021). The impact of the COVID-19 pandemic on risk perceptions: differences between ethnic groups in Germany, European Societies.
– Spang T. & Zuppinger. B. (2010). Switzerland: immigrants facing poverty and social exclusion – the Migration and Public Health Strategy. In: Poverty and social exclusion in the WHO European Region: health systems respond. Copenhagen: WHO Regional Office for Europe.
– Tzogiou, C., Boes, S. & Brunner. B. (2021). What explains the inequalities in health care utilization between immigrants and non-migrants in Switzerland? BMC Public Health 21(1):530-545