L’existence des politiques d’intégration cantonales inclusives ne favorise pas la participation électorale des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration en Suisse

Par­mi la majo­ri­té des absten­ti­on­nis­tes en Suis­se se trou­vent des citoyen.ne.s issu.e.s de la migra­ti­on. Les immigrant.e.s con­sti­tu­ent aujour­d’hui une part importan­te de l’élec­to­rat total dans de nombreux pays indus­tria­li­sés, com­me la Suis­se, en rai­son des poli­ti­ques d’im­mi­gra­ti­on et d’in­té­gra­ti­on qui favo­ri­sent la natu­ra­li­sa­ti­on des ressortissant.e.s étranger.e.s et de leurs enfants et le droit de vote des résident.e.s étranger.e.s non citoyen.ne.s au moins au niveau local. Con­sti­tu­ant 37,7% de la popu­la­ti­on per­ma­nen­te (OFS, 2020), les citoyen.ne.s issu.e.s de la migra­ti­on appa­rais­sent en effet com­me une for­ce poli­tique émer­gen­te en Suis­se, pou­vant avoir un impact con­sidé­ra­ble sur les résul­tats élec­toraux (Stri­j­bis, 2014). Com­me la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s est un aspect important de leur inté­gra­ti­on poli­tique, la pré­sen­te étu­de exami­ne si les poli­ti­ques can­to­na­les inclu­si­ves favo­ri­sent la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration.

À cet­te fin, j’u­ti­li­se un riche ensem­ble de don­nées com­bi­nant deux enquê­tes post-élec­to­ra­les Selects 2015 et 2019, ce qui nous don­ne un échan­til­lon total de 11’865 répondant.e.s, dont 3’656 (35,42%) sont des citoyen.ne.s suis­ses issu.e.s de la migra­ti­on. Afin de mes­u­rer le con­tex­te can­to­nal, j’u­ti­li­se l’in­di­ce de natu­ra­li­sa­ti­on basé sur les indi­ca­teurs SWISSCIT sur le droit de citoy­enne­té dans les can­tons suis­ses (Arrighi & Pic­co­li, 2018). Bien que l’in­di­ce SWISSCIT mes­u­re l’in­clu­si­vi­té à la fois des poli­ti­ques can­to­na­les de natu­ra­li­sa­ti­on et des poli­ti­ques de droit de vote des non-citoyen.ne.s, je n’u­ti­li­se que le sous-indi­ce de la natu­ra­li­sa­ti­on car le droit de vote des non-citoyen.ne.s n’est exer­cé que dans les huit can­tons et l’indice du droit de vote des non-citoyen.ne.s ne mont­re donc pas suf­fi­sam­ment de variations.

Le Gra­phi­que 1 illus­tre l’ana­ly­se biva­riée de la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des citoyen.ne.s issu­es de la migra­ti­on dans les can­tons suis­ses. À Obwald, la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s est la plus bas­se. En même temps, elle est de 23,53% à Nid­wald, 25% à Appen­zell Rho­des-Inté­ri­eu­res et 26,26% à Neu­châ­tel. Par cont­re, la plus gran­de par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le est de 53,09% à Bâle-Vil­le et de 57,14% à Schaff­house. De ces ana­ly­ses biva­riées, il res­sort que les immigrant.e.s socialisé.e.s dans le can­ton où le vote obli­ga­toire est encore pra­ti­qué par­ti­ci­pent davan­ta­ge aux élec­tions natio­na­les. Les can­tons fran­co­pho­nes sont pour la plu­part clas­sés en bas de la lis­te, et pour­tant les immigrant.e.s socialisé.e.s dans les can­tons fran­co­pho­nes à majo­ri­té catho­li­que, c’est-à-dire les can­tons du Valais et du Jura, vont davan­ta­ge aux urnes que leurs homo­lo­gues rési­dant dans les autres can­tons francophones.

Gra­phi­que 1. Varia­ti­on can­to­na­le de la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s en Suisse

Source: Selects 2015 & 2019, résul­tats pondérés

Afin de mieux com­prend­re la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s par rap­port aux auto­ch­to­nes, j’ef­fec­tue des ana­ly­ses de régres­si­on bin­aire mul­ti­ni­veau dans une étape sui­v­an­te. Com­me l’illustre le Gra­phi­que 2, la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le est signi­fi­ca­ti­ve­ment plus éle­vée dans les can­tons ger­ma­no­pho­nes et dans ceux à majo­ri­té catho­li­que. Elle est éga­le­ment signi­fi­ca­ti­ve­ment plus éle­vée dans le can­ton où le vote obli­ga­toire est pra­ti­qué. En ce qui con­cer­ne l’im­pact de l’in­clu­si­vi­té des poli­ti­ques can­to­na­les de natu­ra­li­sa­ti­on, nous n’ob­ser­vons pas d’ef­fet direct signi­fi­ca­tif mais un effet indi­rect signi­fi­ca­tif modé­ré par l’o­ri­gi­ne migratoire.

Gra­phi­que 2. Par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s et des auto­ch­to­nes en Suisse

Le Gra­phi­que 3 illus­tre l’ef­fet signi­fi­ca­tif d’in­ter­ac­tion ent­re l’o­ri­gi­ne migra­toire et l’in­di­ce de la poli­tique can­to­na­le de natu­ra­li­sa­ti­on sur la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le. Il est clair que la pro­pen­si­on des immigrant.e.s à par­ti­ci­per dimi­nue dans les can­tons ayant des poli­ti­ques de natu­ra­li­sa­ti­on plus inclu­si­ves, alors que la pro­ba­bi­li­té que les auto­ch­to­nes votent aux élec­tions natio­na­les aug­men­te dans ces can­tons. L’é­cart de par­ti­ci­pa­ti­on est plus étroit dans les can­tons ayant des poli­ti­ques de natu­ra­li­sa­ti­on plus restric­ti­ves et plus lar­ge dans les can­tons ayant des poli­ti­ques plus inclusives.

Gra­phi­que 3. Pro­ba­bi­li­té pré­di­te de la par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s et des auto­ch­to­nes en Suisse

La par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le rela­ti­ve­ment plus éle­vée des citoyen.ne.s issu.e.s de la migra­ti­on dans les can­tons ayant des poli­ti­ques de natu­ra­li­sa­ti­on plus restric­ti­ves peut s’ex­pli­quer par les effets sym­bo­li­ques des poli­ti­ques. Les effets sym­bo­li­ques sont les effets des poli­ti­ques sur les iden­ti­tés socia­les, les sen­ti­ments, l’ap­par­ten­an­ce à une com­mu­n­au­té, l’ef­fi­caci­té poli­tique, l’ap­par­ten­an­ce ou la menace des per­son­nes. Les poli­ti­ques d’in­té­gra­ti­on restric­ti­ves peu­vent ent­raî­ner un sen­ti­ment de colè­re (Valen­ti­no et al., 2011), d’anxié­té et de menace (Filin­dra & Manat­schal, 2019 ; Pan­to­ja & Segu­ra, 2003 ; Zepe­da-Mil­lán, 2017) chez les immigrant.e.s, ce qui peut à son tour les moti­ver et les mobi­li­ser pour suiv­re de près les évé­ne­ments poli­ti­ques et sti­mu­ler leur par­ti­ci­pa­ti­on poli­tique com­me moy­en de défen­se. Dans le con­tex­te suis­se, les poli­ti­ques can­to­na­les restric­ti­ves en matiè­re de natu­ra­li­sa­ti­on ont pu sus­ci­ter la mobi­li­sa­ti­on poli­tique des immigrant.e.s via des émo­ti­ons néga­ti­ves et coïn­ci­der ain­si avec des niveaux plus éle­vés de par­ti­ci­pa­ti­on élec­to­ra­le des immigrant.e.s par rap­port aux autochtones.

Cet­te étu­de pré­sen­te tou­te­fois des limi­tes métho­do­lo­gi­ques. Pre­miè­re­ment, l’é­chan­til­lon total est grand, mais la caté­go­ri­sa­ti­on des répondant.e.s en tant qu’immigrant.e.s et auto­ch­to­nes rédu­it con­sidé­ra­ble­ment la tail­le de l’é­chan­til­lon, en par­ti­cu­lier cel­le des citoyen.ne.s issu.e.s de la migra­ti­on par can­ton. Deu­xiè­me­ment, aus­si per­spi­cace soit-il, l’in­di­ce SWISSCIT a une appro­che sélec­ti­ve dans la mes­u­re des poli­ti­ques d’in­té­gra­ti­on can­to­na­les et cou­vre une péri­ode arbi­tr­ai­re et limi­tée. En out­re, il ne mes­u­re que l’in­clu­si­vi­té et l’ex­clu­si­vi­té “for­mel­les” des poli­ti­ques d’in­té­gra­ti­on can­to­na­les. Les per­cep­ti­ons et les expé­ri­en­ces des citoyen.ne.s issu.e.s de la migra­ti­on peu­vent être dif­fé­ren­tes dans la réa­li­té. Les ana­ly­ses de régres­si­on mul­ti­ni­veau posent aus­si un aut­re pro­blè­me métho­do­lo­gi­que : il n’y a que 26 unités au niveau con­tex­tu­el et le vote obli­ga­toire n’est exer­cé que dans un seul can­ton. Les résul­tats peu­vent donc avoir été faus­sés dans une cer­tai­ne mesure.

Réfé­ren­ces

Alkoç, N. (2021). Can­to­nal varia­ti­on of the elec­to­ral par­ti­ci­pa­ti­on of immi­grants in Switz­er­land: A two-level ana­ly­sis of indi­vi­du­al and con­tex­tu­al deter­mi­nants. Unpu­blis­hed master’s the­sis. Uni­ver­si­ty of Neuchatel.

Arrighi, J. T. & Pic­co­li, L. (2018). SWISSCIT Index on citi­zenship law in Swiss can­tons. Neu­châ­tel: nccr – on the move.

Filin­dra, A. & Manat­schal, A. (2019). Coping with a chan­ging inte­gra­ti­on poli­cy con­text: Ame­ri­can sta­te poli­ci­es and their effects on immi­grant poli­ti­cal enga­ge­ment. Regio­nal Stu­dies, DOI: 10.1080/00343404.2019.1610167.

Pan­to­ja, A. D. & Segu­ra, G. (2003). Fear and loat­hing in Cali­for­nia: Con­tex­tu­al thre­at and poli­ti­cal sophisti­ca­ti­on among Lati­no voters. Poli­ti­cal Beha­vi­or, 25(3), 265–286.

Stri­j­bis, O. (2014). Migra­ti­on back­ground and voting beha­vi­or in Switz­er­land: A socio- psy­cho­lo­gi­cal explana­ti­on. Swiss Poli­ti­cal Sci­ence Review, 20(4), 612–631.

Valen­ti­no, N. A., Bra­der, T., Groe­n­en­dyk, E. W., Gre­go­ro­wicz, K., & Hut­chings, V. L. (2011). Elec­tion night’s alright for figh­t­ing: The role of emo­ti­on in poli­ti­cal par­ti­ci­pa­ti­on. Jour­nal of Poli­tics, 73(1), 156–170.

Zepe­da-Mil­lán, C. (2017). Lati­no mass mobi­liz­a­ti­on: Immi­gra­ti­on, racia­liz­a­ti­on, and acti­vism. Cam­bridge: Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press.

image_pdfimage_print