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L’existence des politiques d’intégration cantonales inclusives ne favorise pas la participation électorale des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration en Suisse

Nursel Alkoç
16th March 2022

Parmi la majorité des abstentionnistes en Suisse se trouvent des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration. Les immigrant.e.s constituent aujourd'hui une part importante de l'électorat total dans de nombreux pays industrialisés, comme la Suisse, en raison des politiques d'immigration et d'intégration qui favorisent la naturalisation des ressortissant.e.s étranger.e.s et de leurs enfants et le droit de vote des résident.e.s étranger.e.s non citoyen.ne.s au moins au niveau local. Constituant 37,7% de la population permanente (OFS, 2020), les citoyen.ne.s issu.e.s de la migration apparaissent en effet comme une force politique émergente en Suisse, pouvant avoir un impact considérable sur les résultats électoraux (Strijbis, 2014). Comme la participation électorale des immigrant.e.s est un aspect important de leur intégration politique, la présente étude examine si les politiques cantonales inclusives favorisent la participation électorale des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration.

À cette fin, j'utilise un riche ensemble de données combinant deux enquêtes post-électorales Selects 2015 et 2019, ce qui nous donne un échantillon total de 11'865 répondant.e.s, dont 3'656 (35,42%) sont des citoyen.ne.s suisses issu.e.s de la migration. Afin de mesurer le contexte cantonal, j'utilise l'indice de naturalisation basé sur les indicateurs SWISSCIT sur le droit de citoyenneté dans les cantons suisses (Arrighi & Piccoli, 2018). Bien que l'indice SWISSCIT mesure l'inclusivité à la fois des politiques cantonales de naturalisation et des politiques de droit de vote des non-citoyen.ne.s, je n'utilise que le sous-indice de la naturalisation car le droit de vote des non-citoyen.ne.s n'est exercé que dans les huit cantons et l’indice du droit de vote des non-citoyen.ne.s ne montre donc pas suffisamment de variations.

Le Graphique 1 illustre l'analyse bivariée de la participation électorale des citoyen.ne.s issues de la migration dans les cantons suisses. À Obwald, la participation électorale des immigrant.e.s est la plus basse. En même temps, elle est de 23,53% à Nidwald, 25% à Appenzell Rhodes-Intérieures et 26,26% à Neuchâtel. Par contre, la plus grande participation électorale est de 53,09% à Bâle-Ville et de 57,14% à Schaffhouse. De ces analyses bivariées, il ressort que les immigrant.e.s socialisé.e.s dans le canton où le vote obligatoire est encore pratiqué participent davantage aux élections nationales. Les cantons francophones sont pour la plupart classés en bas de la liste, et pourtant les immigrant.e.s socialisé.e.s dans les cantons francophones à majorité catholique, c'est-à-dire les cantons du Valais et du Jura, vont davantage aux urnes que leurs homologues résidant dans les autres cantons francophones.

Graphique 1. Variation cantonale de la participation électorale des immigrant.e.s en Suisse

Source: Selects 2015 & 2019, résultats pondérés

Afin de mieux comprendre la participation électorale des immigrant.e.s par rapport aux autochtones, j'effectue des analyses de régression binaire multiniveau dans une étape suivante. Comme l’illustre le Graphique 2, la participation électorale est significativement plus élevée dans les cantons germanophones et dans ceux à majorité catholique. Elle est également significativement plus élevée dans le canton où le vote obligatoire est pratiqué. En ce qui concerne l'impact de l'inclusivité des politiques cantonales de naturalisation, nous n'observons pas d'effet direct significatif mais un effet indirect significatif modéré par l'origine migratoire.

Graphique 2. Participation électorale des immigrant.e.s et des autochtones en Suisse

Le Graphique 3 illustre l'effet significatif d'interaction entre l'origine migratoire et l'indice de la politique cantonale de naturalisation sur la participation électorale. Il est clair que la propension des immigrant.e.s à participer diminue dans les cantons ayant des politiques de naturalisation plus inclusives, alors que la probabilité que les autochtones votent aux élections nationales augmente dans ces cantons. L'écart de participation est plus étroit dans les cantons ayant des politiques de naturalisation plus restrictives et plus large dans les cantons ayant des politiques plus inclusives.

Graphique 3. Probabilité prédite de la participation électorale des immigrant.e.s et des autochtones en Suisse

La participation électorale relativement plus élevée des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration dans les cantons ayant des politiques de naturalisation plus restrictives peut s'expliquer par les effets symboliques des politiques. Les effets symboliques sont les effets des politiques sur les identités sociales, les sentiments, l'appartenance à une communauté, l'efficacité politique, l'appartenance ou la menace des personnes. Les politiques d'intégration restrictives peuvent entraîner un sentiment de colère (Valentino et al., 2011), d'anxiété et de menace (Filindra & Manatschal, 2019 ; Pantoja & Segura, 2003 ; Zepeda-Millán, 2017) chez les immigrant.e.s, ce qui peut à son tour les motiver et les mobiliser pour suivre de près les événements politiques et stimuler leur participation politique comme moyen de défense. Dans le contexte suisse, les politiques cantonales restrictives en matière de naturalisation ont pu susciter la mobilisation politique des immigrant.e.s via des émotions négatives et coïncider ainsi avec des niveaux plus élevés de participation électorale des immigrant.e.s par rapport aux autochtones.

Cette étude présente toutefois des limites méthodologiques. Premièrement, l'échantillon total est grand, mais la catégorisation des répondant.e.s en tant qu'immigrant.e.s et autochtones réduit considérablement la taille de l'échantillon, en particulier celle des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration par canton. Deuxièmement, aussi perspicace soit-il, l'indice SWISSCIT a une approche sélective dans la mesure des politiques d'intégration cantonales et couvre une période arbitraire et limitée. En outre, il ne mesure que l'inclusivité et l'exclusivité "formelles" des politiques d'intégration cantonales. Les perceptions et les expériences des citoyen.ne.s issu.e.s de la migration peuvent être différentes dans la réalité. Les analyses de régression multiniveau posent aussi un autre problème méthodologique : il n'y a que 26 unités au niveau contextuel et le vote obligatoire n'est exercé que dans un seul canton. Les résultats peuvent donc avoir été faussés dans une certaine mesure.

Références

Alkoç, N. (2021). Cantonal variation of the electoral participation of immigrants in Switzerland: A two-level analysis of individual and contextual determinants. Unpublished master’s thesis. University of Neuchatel.

Arrighi, J. T. & Piccoli, L. (2018). SWISSCIT Index on citizenship law in Swiss cantons. Neuchâtel: nccr – on the move.

Filindra, A. & Manatschal, A. (2019). Coping with a changing integration policy context: American state policies and their effects on immigrant political engagement. Regional Studies, DOI: 10.1080/00343404.2019.1610167.

Pantoja, A. D. & Segura, G. (2003). Fear and loathing in California: Contextual threat and political sophistication among Latino voters. Political Behavior, 25(3), 265-286.

Strijbis, O. (2014). Migration background and voting behavior in Switzerland: A socio- psychological explanation. Swiss Political Science Review, 20(4), 612-631.

Valentino, N. A., Brader, T., Groenendyk, E. W., Gregorowicz, K., & Hutchings, V. L. (2011). Election night’s alright for fighting: The role of emotion in political participation. Journal of Politics, 73(1), 156-170.

Zepeda-Millán, C. (2017). Latino mass mobilization: Immigration, racialization, and activism. Cambridge: Cambridge University Press.