La Suisse est-elle dans une situation de surpopulation ?

Par­mi les argu­ments les plus sou­vent avan­cés pour limi­ter l’immigration en direc­tion de la Suis­se, le fait que le pays est sur­peu­plé figu­re en bon­ne posi­ti­on. Les loge­ments se raré­fie­r­ai­ent, la capa­ci­té des trains, des rou­tes et des éco­les serait lar­ge­ment dépas­sée, et tout cela en rai­son de l’immigration. Bien sûr, une crois­sance démo­gra­phi­que néces­si­te des adap­t­ati­ons pour en évi­ter les con­sé­quen­ces néga­ti­ves. Mais peut-on par­ler de « surpopulation » ?

Le con­cept de sur­po­pu­la­ti­on est dif­fi­ci­le à défi­nir. Peu d’études ont été publiées sur ce sujet en Euro­pe. La lit­té­ra­tu­re exi­s­tan­te se pen­che plu­tôt sur les dif­fi­cul­tés obser­vées dans des cas de déclin ou de décrois­sance démo­gra­phi­que (qui s’apparente à une sous-popu­la­ti­on), une situa­ti­on par­ta­gée par de plus en plus de pays euro­péens. Ce déclin poten­ti­el était lar­ge­ment débat­tu en Suis­se il y a 30 ans (Blanc et al. 1985, Gei­n­oz et al. 1989), avant de céder sa place à la peur de la croissance.

Vers une définition de surpopulation

L’ « opti­mum de popu­la­ti­on », qui défi­nit le seuil à par­tir duquel la popu­la­ti­on est trop nombreu­se, repo­se pour sa part sur des noti­ons dif­fi­ci­le­ment trans­fé­ra­bles en Suis­se : Mal­thus, Can­til­lon et leurs disci­ples fai­sai­ent ain­si réfé­rence à l’aptitude de la planè­te ou d’une socié­té à sub­ve­nir aux besoins fon­da­men­taux de ces habi­tants, pour défi­nir cet opti­mum. Les éco­no­mis­tes pour leur part ont tenu comp­te de la pro­duc­ti­vi­té : la popu­la­ti­on est de tail­le idéa­le lors­que sa crois­sance démo­gra­phi­que per­met d’atteindre un opti­mum de pro­duc­tion (cf. Landry, cité par Sori­ot 2001), de maxi­mi­ser le reve­nu indi­vi­du­el moy­en ou le bien-être indi­vi­du­el et social. Celui-ci peut être tra­du­it par dif­férents indi­ca­teurs (état de san­té, sen­ti­ment de sécu­ri­té, etc., en fonc­tion des priorités).

L’évolution de la population suisse

Quel­le que soit la défi­ni­ti­on rete­nue, la Suis­se se situe plu­tôt bien dans le clas­se­ment des pays euro­péens ou mon­dia­ux. Éco­no­mi­que­ment, la Suis­se est l’un des pays les plus riches du mon­de. Du point de vue du bien-être, tous les clas­se­ments mon­dia­ux situ­ent aus­si la Suis­se dans le pelo­ton de tête des pays. Quel que soit l’indicateur, aucu­ne dété­rio­ra­ti­on signi­fi­ca­ti­ve ne peut être asso­ciée à la crois­sance des flux migra­toires. Cer­tes, des ten­si­ons peu­vent s’observer dans la popu­la­ti­on, des insa­tis­fac­tions peu­vent être évo­quées, mais elles restent d’un niveau accep­ta­ble. Pour ces rai­sons, avec les quel­ques élé­ments thé­o­ri­ques que l’on a à dis­po­si­ti­on, nous pou­vons écar­ter l’idée d’une surpopulation.

Et dans le cas con­tr­ai­re, si la ten­dance démo­gra­phi­que de la Suis­se ne répond pas à un opti­mum démo­gra­phi­que, que fai­re ? L’évolution de la popu­la­ti­on répond à des logi­ques com­ple­xes, liées à l’accroissement de la durée de vie (on meurt plus tar­di­ve­ment que dans le pas­sé), à une struc­tu­re par âge com­pren­ant beau­coup de jeu­nes adul­tes, ce qui favo­ri­se les nais­san­ces. Les départs à la retrai­te con­cer­nent les géné­ra­ti­ons du baby-boom, qui doiv­ent être rem­pla­cées sur le mar­ché du tra­vail, il y a donc des besoins de main‑d’œuvre. Vou­loir limi­ter la crois­sance de la popu­la­ti­on, dans ce con­tex­te, est dif­fi­ci­le. Fer­mer les fron­tiè­res, ce sont des hôpi­taux qui se priv­ent d’une main‑d’œuvre étran­gè­re néces­saire ; ce sont les agri­cul­teurs qui ne peu­vent fai­re face aux travaux de la terre, des com­mer­ces qui ne trou­vent plus de ven­deurs, des restau­rants qui ne peu­vent plus cui­siner et des mul­ti­na­tio­na­les qui ne peu­vent plus fonctionner.

Conséquences des politiques démographiques

Cer­tai­nes poli­ti­ques démo­gra­phi­ques ou migra­toires peu­vent modi­fier la tail­le et la struc­tu­re de la popu­la­ti­on. Cepen­dant, elles pré­sen­tent des coûts import­ants, supé­ri­eurs aux con­sé­quen­ces éco­no­mi­ques et finan­ciè­res qu’elles sont cen­sées évi­ter. À l’aide de dif­férents scé­na­ri­os démo­gra­phi­ques, nous avons pu démon­trer qu’une Suis­se à 10 mil­li­ons d’habitants pré­vue pour 2040 pour­rait être plus pro­fi­ta­ble en ter­mes de con­di­ti­ons de vie, de cohé­si­on socia­le et d’économie qu’une Suis­se à 6 ou 7 mil­li­ons d’habitants (Wan­ner, 2014). Dans ce scé­na­rio-ci, le pays serait con­fron­té à un niveau de vieil­lis­se­ment important, à l’effondrement des sys­tè­mes de pri­se en char­ge des per­son­nes âgées et à un man­que de main‑d’œuvre. En d’autres ter­mes, à des con­sé­quen­ces beau­coup plus dou­lou­re­u­ses que le sen­ti­ment d’étouffement que l’on peut par­fois – hors péri­ode d’épidémie – res­sen­tir dans des trains surpeuplés.

 

Phil­ip­pe Wan­ner est pro­fes­seur de démo­gra­phie à l’Université de Genè­ve et direc­teur adjoint du nccr – on the move. Il diri­ge le pro­jet Exp­lai­ning and Inter­pre­ting Migra­ti­on Flows and Stocks.


Cet arti­cle a d’a­bord été publié sur le blog du NCCR on the move.


Biblio­gra­phie

  • Sori­ot A. (2001). Le con­flit ent­re pro­duc­ti­vi­té et ren­ta­bi­li­té : le socia­lisme mar­gi­na­lis­te d’Adolphe Landry, Éco­no­mies et Socié­tés, Série Œco­no­mia 31, 11–12, 1677–1701.
  • Blanc O., Cuen­oud C., Dise­rens M. et al. (1985). Les Suis­ses vont-ils dis­pa­raît­re ?. Ber­ne / Stutt­gart : Haupt.
  • Gei­n­oz F., de Sie­ben­thal F., Sua­rez A. et Tri­cot M. (1989). Euro­pe : L’hiver démo­gra­phi­que. Lau­sanne : L’âge d’homme.
  • Wan­ner P. (2014). Une Suis­se à 10 mil­li­ons d’habitants ?. Lau­sanne : PPUR.

 

Image: Pixabay.com

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