Les opposés ne s’attirent pas – le rôle de la formation et du revenu dans la mise en couple en Suisse

Le niveau de for­ma­ti­on et de salai­re sont-ils deve­nus plus import­ants dans la sélec­tion d’un par­ten­aire ? Cet­te ques­ti­on est fon­da­men­ta­le pour com­prend­re les iné­ga­li­tés dans le cou­p­le et ent­re les ména­ges. Sur la base de l’Enquête Suis­se sur la Popu­la­ti­on Acti­ve (ESPA) 1992, 2000 et 2014 et du Panel Suis­se de Ména­ges (PSM) de 2000 et 2014, nos résul­tats indi­quent que la sélec­tion d’un par­ten­aire dépend for­te­ment de son niveau de for­ma­ti­on et de son salai­re. Durant les deux der­niè­res décen­nies, l’appariement sélec­tif a aug­men­té en Suis­se par­ce que les cou­ples avec un bas niveau de for­ma­ti­on se mari­ent plus sou­vent ent­re eux. La pro­ba­bi­li­té de viv­re seul dépend aus­si du reve­nu et du niveau de for­ma­ti­on. Les hom­mes et femmes avec une for­ma­ti­on de niveau ter­ti­ai­re ont une pro­ba­bi­li­té plus éle­vée de viv­re seuls. Cepen­dant, cet­te pro­ba­bi­li­té est en train de dimi­nu­er avec le temps. La pro­ba­bi­li­té de viv­re seuls res­te éle­vée pour les hom­mes à fai­ble revenu.

Appariement sélectif et homogamie

Diver­ses disci­pli­nes sci­en­ti­fi­ques abor­dent le sujet de la sélec­tion des par­ten­aires. Les bio­lo­gis­tes ont regar­dé les carac­té­ris­ti­ques qui déter­mi­nent le choix d’un par­ten­aire et la per­pé­tua­ti­on de l’espèce dans le mon­de ani­mal (les lions doiv­ent-ils être agres­si­fs ou avoir une bel­le cri­niè­re pour domi­ner un trou­peau de lion­nes ?). Les psy­cho­lo­gues ont étu­dié quels traits de per­son­nali­té nous recher­chons dans un par­ten­aire idé­al (une per­son­ne névro­tique cher­che-t-elle plu­tôt une per­son­ne pati­en­te ou une per­son­ne avec le même niveau de névro­se ?). Et, enfin, les socio­lo­gues et éco­no­mis­tes ont regar­dé com­ment le sta­tut social des indi­vi­dus influ­ence leur choix d’un par­ten­aire (pré­fé­rons-nous un par­ten­aire avec le même niveau de for­ma­ti­on ? les mêmes ori­gi­nes ? la même reli­gi­on ? le même niveau de salaire ?).

Les cou­ples for­més par des indi­vi­dus ayant, par exemp­le, le même niveau de for­ma­ti­on ou le même reve­nu sont appe­lés cou­ples homo­ga­mes. L’augmentation de cou­ples homo­ga­mes peut être le résul­tat d’une trans­for­ma­ti­on dans la com­po­si­ti­on de la popu­la­ti­on ou d’un chan­ge­ment de pré­fé­ren­ces pour un cer­tain type de par­ten­aire. Si le choix d’un par­ten­aire avec des carac­té­ris­ti­ques simi­lai­res aux nôtres, tel que le même niveau de for­ma­ti­on ou le même reve­nu, est plus fré­quent que ce à quoi on pour­rait s’attendre avec un modè­le d’accouplement aléa­toire, il s’agit d’un phé­nomè­ne que les cher­cheurs en sci­en­ces socia­les appel­lent appa­rie­ment sélec­tif. L’appariement sélec­tif est donc le choix du con­joint au-delà de ce qui est exi­gé par les trans­for­ma­ti­ons struc­tu­rel­les dans la com­po­si­ti­on de la popu­la­ti­on. Cet appa­rie­ment sélec­tif est sou­vent basé sur plu­sieurs carac­té­ris­ti­ques socio-éco­no­mi­ques simul­ta­nées. Com­me le mon­t­rent Fal­con et Joye (2017), en Suis­se et en Allema­gne les par­ten­aires avec le même niveau de for­ma­ti­on ont plus sou­vent aus­si un sta­tut d’activité iden­tique sur le mar­ché du tra­vail. Dans le même ord­re d’idées, Pot­ar­ca et Ber­nar­di (2017) mon­t­rent qu’en Suis­se le choix du par­ten­aire est lié à la fois à l’origine migra­toire et au niveau de for­ma­ti­on. Même si choi­sir un par­ten­aire simi­lai­re sem­ble aug­men­ter la sta­bi­li­té du cou­p­le (Kess­ler 2017), cet­te homo­ga­mie pour­rait en même temps être nui­si­ble au niveau socié­tal en main­ten­ant, voi­re en accrois­sant les iné­ga­li­tés ent­re les ména­ges : une socié­té où les riches se mari­ent ent­re eux est une socié­té plus iné­ga­le qu’une socié­té où les riches se marie­r­ai­ent avec les pauvres.

En regar­dant des cohor­tes dif­fé­ren­tes (Fal­con & Joye 2017)[1] ou des années dif­fé­ren­tes (Becker & Jann 2017)[2], nous pou­vons con­clu­re qu’en Suis­se l’appariement sélec­tif selon le niveau de for­ma­ti­on est his­to­ri­que­ment res­té assez sta­ble et n’a pas aug­men­té les iné­ga­li­tés de reve­nu ent­re les cou­ples de maniè­re signi­fi­ca­ti­ve (Wise & Zang­ger 2017). L’impact de l’homogamie sur les iné­ga­li­tés de reve­nu ne dépend pas que du niveau de for­ma­ti­on ou de la capa­ci­té à gagner un salai­re plus ou moins éle­vé, mais aus­si de la par­ti­ci­pa­ti­on au mar­ché de tra­vail. Dans une socié­té fic­ti­ve où tou­tes les femmes res­ter­ai­ent à la mai­son, l’homogamie selon le niveau de for­ma­ti­on aurait peu d’influence sur les iné­ga­li­tés de reve­nu. Dans la réa­li­té, les par­ten­aires adaptent leur par­ti­ci­pa­ti­on au mar­ché du tra­vail pen­dant leur vie en cou­p­le. Cet­te adap­t­ati­on est for­te en Suis­se et con­cer­ne sur­tout les femmes (Kuhn & Ravazzi­ni 2017a).

La rencontre d’un partenaire

Le choix d’un par­ten­aire peut se fai­re sciem­ment selon des carac­té­ris­ti­ques plus ou moins visi­bles (argent, beau­té, sta­tut social, etc.), mais, sou­vent, l’endroit de la ren­cont­re est invo­lon­taire­ment déter­mi­nant quant aux carac­té­ris­ti­ques du par­ten­aire choi­si. L’accès à la for­ma­ti­on est un fac­teur déter­mi­nant, non seu­le­ment pour l’acquisition d’un cer­tain sta­tut social, mais aus­si pour la ren­cont­re et la sélec­tion d’un par­ten­aire. Dans la plu­part des cas, cet­te sélec­tion se fait notam­ment ent­re élè­ves à l’école, ent­re col­lè­gues au tra­vail ou encore au sein de cer­cles d’amis com­muns.[3]

Le nombre de per­son­nes ayant un diplô­me de for­ma­ti­on ter­ti­ai­re a enre­gis­tré une for­te aug­men­ta­ti­on au cours des der­niè­res décen­nies en Suis­se. Dans la popu­la­ti­on acti­ve, la part de déten­teurs de diplô­mes ter­ti­ai­res dont la plu­part sont des titres uni­ver­si­taires est ain­si pas­sée de 8% en 1992 à 27% en 2014 pour les femmes, et de 23% à 45% pour les hom­mes sur la même péri­ode (Ravazzi­ni, Kuhn & Suter 2017). Un plus grand nombre de diplô­mes d’études supé­ri­eu­res, ain­si que l’immigration de per­son­nes hau­te­ment qua­li­fiées (Wan­ner & Stei­ner 2018) ont con­tri­bué à cet­te expan­si­on. A souli­gner éga­le­ment que dans les cohor­tes les plus récen­tes en Suis­se, le niveau de for­ma­ti­on glo­bal des femmes est désor­mais le même que celui des hom­mes (Becker & Zang­ger 2013).

L’effet con­joint de cet­te expan­si­on du niveau de for­ma­ti­on et de son éga­li­sa­ti­on ent­re hom­mes et femmes a auto­ma­ti­que­ment con­du­it à une pro­por­ti­on plus éle­vée de cou­ples homo­ga­mes, dont les deux par­ten­aires ont un niveau de for­ma­ti­on éle­vé. Un exemp­le clas­si­que est celui des méde­cins : jusqu’à récem­ment, les méde­cins hom­mes ren­con­trai­ent sur­tout des femmes infir­miè­res au tra­vail ; main­ten­ant, ils ren­con­t­rent éga­le­ment des femmes médecins.

Le rôle des femmes et l’appariement sélectif

Le fait que les jeu­nes femmes en Suis­se ont un niveau de for­ma­ti­on équi­va­lent à celui des hom­mes et qu’elles ont un taux d’activité plus éle­vé que leurs ainées pour­rait avoir un impact sur la sélec­tion d’un par­ten­aire. Dans le pas­sé, le sta­tut socio-éco­no­mi­que des femmes était déter­mi­né en gran­de par­tie par leurs époux. A pré­sent, il leur est pos­si­ble d’être plus indé­pen­dan­tes et proac­ti­ves dans la pour­sui­te d’une acti­vi­té éco­no­mi­que. On pour­rait donc ima­gi­ner que l’éducation ou le reve­nu soi­ent deve­nus moins import­ants dans le choix d’un partenaire.

Une hausse du taux de femmes acti­ves sur le mar­ché du tra­vail a eu lieu au cours des der­niè­res décen­nies en Suis­se. En 1991, 68% des femmes ent­re 20 et 50 ans tra­vail­lai­ent, cont­re le 79% en 2014, dont une gran­de par­tie à temps par­ti­el (Kuhn & Ravazzi­ni 2017b). A noter que les hom­mes ne tra­vail­lent pas à temps par­ti­el. Cet­te divi­si­on du tra­vail au sein des cou­ples où la femme tra­vail­le à temps par­ti­el et l’homme à temps plein prend sou­vent place après la nais­sance du pre­mier enfant (Le Goff & Levy 2016). En con­sé­quence, la majo­ri­té des mères rédui­sent ou inter­rom­pent leur acti­vi­té pro­fes­si­onnel­le, tan­dis que les pères main­ti­en­nent leur taux d’activité inch­an­gé, voi­re l’augmentent (Giu­di­ci & Schu­ma­cher 2017). Même si les dif­fé­ren­ces de reve­nu ent­re les hom­mes et les femmes exis­tent déjà avant les enfants (Mey­er 2018), ces dif­fé­ren­ces de reve­nu aug­men­tent avec la dif­fé­rence du nombre d’heures tra­vail­lées après la nais­sance des enfants. Dans une per­spec­ti­ve de par­cours de vie, un nombre d’heures tra­vail­lées moind­re se tra­du­it sur le long ter­me par une expé­ri­ence cumu­lée plus rédu­i­te, et par des salai­res hor­ai­res plus bas. Con­tr­ai­re­ment à l’homogamie édu­ca­ti­ve qui res­te plus ou moins figée tout au long de la vie, l’homogamie des reve­nus dépend donc non seu­le­ment du choix du par­ten­aire, mais aus­si de la répar­ti­ti­on du tra­vail rému­n­é­ré et domes­tique à l’intérieur du cou­p­le. Étant don­né que les hom­mes sont les princi­paux pour­voy­eurs des res­sour­ces du ména­ge dans la plu­part des famil­les, on peut sup­po­ser que l’éducation et le reve­nu con­ti­nu­ent à être des cri­tè­res import­ants pour le choix d’un partenaire.

Don­nées et méthodes
Nous ana­ly­sons l’évolution de l’appariement sélec­tif selon le niveau de for­ma­ti­on et les reve­nus en Suis­se, en mobi­li­sant des don­nées tirées de l’Enquête Suis­se sur la Popu­la­ti­on Acti­ve (ESPA) 1992, 2000 et 2014 pour l’éducation, et du Panel Suis­se de Ména­ges (PSM) de 2000 et 2014 pour les reve­nus. L’échantillon se com­po­se de cou­ples hété­ro­se­xu­els, dont les par­ten­aires sont âgés de 25 à 64 ans, qui habi­tent ensem­ble sans for­cé­ment être mariés. Nous avons inclus les per­son­nes qui vivent seu­les pour mes­u­rer le pro­ces­sus de sélec­tion à viv­re en cou­p­le.[4] Nous avons rest­reint l’analyse aux per­son­nes ayant la capa­ci­té d’exercer une acti­vi­té rému­n­é­rée : nous excluons donc de l’analyse les per­son­nes qui ne peu­vent pas tra­vail­ler pour des rai­sons d’handicap ou de mala­die. Selon l’année, l’échantillon inclut ent­re 13’170 et 57’604 ména­ges avec l’ESPA et ent­re 3’343 et 5’497 ména­ges avec le PSM.

Pour mes­u­rer l’homogamie édu­ca­ti­ve, l’analyse se base sur des tableaux croi­sés avec trois niveaux de for­ma­ti­on : (i) obli­ga­toire (éco­le obli­ga­toire), (ii) supé­ri­eur II (matu­ri­té ou diplô­me de for­ma­ti­on pro­fes­si­onnel­le, ter­ti­ai­re B, incluant d’une éco­le pro­fes­si­onnel­le ou tech­ni­que supé­ri­eu­re (ESCEA, ESAA, ESTS, ETS)) et (iii) ter­ti­ai­re (ter­ti­ai­re A, incluant un diplô­me uni­ver­si­taire ou fédé­ral (EPF), d’une hau­te éco­le spé­cia­li­sée (HES) ou péd­ago­gi­que (HEP)). L’homogamie de reve­nu est mes­u­rée selon la posi­ti­on de cha­que per­son­ne dans la dis­tri­bu­ti­on des reve­nus divi­sée en trois parts éga­les : un reve­nu bas, inter­mé­di­ai­re ou haut. Selon cet­te appro­che métho­do­lo­gi­que, si la pro­por­ti­on de per­son­nes dans les dif­férents niveaux de for­ma­ti­on peut chan­ger au fil du temps, la pro­por­ti­on de per­son­nes dans les éche­lons de reve­nu est con­stan­te. Les reve­nus uti­li­sés indi­quent les salai­res hor­ai­res de cha­que per­son­ne. Pour l’appariement sélec­tif selon les reve­nus, les don­nées à dis­po­si­ti­on restreig­n­ent l’analyse à la péri­ode allant de 2000 à 2014.

Afin d’isoler l’effet des pré­fé­ren­ces pour un cer­tain type de par­ten­aire et donc pour mes­u­rer l’appariement sélec­tif, nous avons uti­li­sé les fré­quen­ces rela­ti­ves en ten­ant comp­te de la pro­por­ti­on des trois niveaux de for­ma­ti­on lors des dif­fé­ren­tes années. La fré­quence rela­ti­ve liée au reve­nu res­te con­stan­te dans les dif­fé­ren­tes années.

Une hausse des diplômés et des couples homogames

Sur l’ensemble des ména­ges, les cou­ples homo­ga­mes avec une for­ma­ti­on ter­ti­ai­re sont pro­por­ti­on­nel­lement pas­sés de 3% en 1992 à 13% en 2014, alors que la pro­por­ti­on de cou­ples homo­ga­mes avec une for­ma­ti­on supé­ri­eu­re II a dimi­n­ué, pas­sant de 36% en 1992 à 27% en 2014 (voir Figu­re 1). La pro­por­ti­on des cou­ples homo­ga­mes avec une for­ma­ti­on obli­ga­toire, quant à elle, est res­tée sta­ble : autour des 8%. Au total, sur l’année 2014, les cou­ples homo­ga­mes con­sti­tu­ent 48% des ména­ges et les per­son­nes seu­les 20%. Les autres types de ména­ges sont des cou­ples dont l’homme a un niveau de for­ma­ti­on supé­ri­eur à celui de la femme (20%) ou des cou­ples où la femme a un niveau de for­ma­ti­on supé­ri­eur à celui de l’homme (12%).

Figure 1: Distribution des types de ménages selon le niveau de formation (1992, 2000 et 2014)

Source: SAKE 1992, 2000, 2014. Voir aus­si Ravazzi­ni et al. (2017)
L’appariement sélectif augmente parmi les personnes avec peu de formation

En ten­ant comp­te de la pro­por­ti­on des trois niveaux de for­ma­ti­on lors des dif­fé­ren­tes années, la Figu­re 2 repré­sen­te la pré­fé­rence pour un par­ten­aire selon son niveau de for­ma­ti­on et donc l’appariement sélec­tif. Cet­te figu­re mont­re que l’appariement sélec­tif selon l’éducation est pré­do­mi­nant en Suis­se dans tou­tes les années ana­ly­sées. Mal­gré l’expansion du nombre de per­son­nes et des cou­ples avec un diplô­me de for­ma­ti­on ter­ti­ai­re, l’appariement sélec­tif le plus fort se retrouve ent­re per­son­nes avec une for­ma­ti­on obli­ga­toire. Ceci impli­que que plus de per­son­nes avec une for­ma­ti­on obli­ga­toire se mari­ent ent­re eux même s’ils y a moins de per­son­nes avec une for­ma­ti­on obli­ga­toire dans la popu­la­ti­on en genè­ra­le. Cet­te ten­dance ne peut pas être liée à l’âge ni à l’origine migra­toire de ces per­son­nes, ces carac­té­ris­ti­ques se retrou­vant dans des pro­por­ti­ons simi­lai­res à cel­les des autres grou­pes de la popu­la­ti­on. C’est à tra­vers les pra­ti­ques de maria­ge et d’appariement sélec­tif que les per­son­nes avec une for­ma­ti­on bas­se sont donc plus ségré­guées que les autres grou­pes de la population.

Figure 2: Evolution de l’appariement sélectif selon le niveau de formation entre 1992 et 2014

Source: SAKE 1992, 2000, 2014. Aus­si: Ravazzi­ni et al. (2017)

A un niveau moind­re, l’appariement sélec­tif est éga­le­ment visi­ble ent­re les per­son­nes ayant une for­ma­ti­on ter­ti­ai­re et, de façon plus fai­ble encore, ent­re les p

L’évolution de l’appariement sélectif selon les revenus

La Figu­re 3 mont­re l’appariement sélec­tif selon les reve­nus. Là encore, nous rele­vons la pré­sence de l’appariement sélec­tif dans tou­tes les cou­ches éco­no­mi­ques. Cepen­dant, con­tr­ai­re­ment à l’appariement sélec­tif selon le niveau de for­ma­ti­on, l’appariement sélec­tif selon le reve­nu a aug­men­té tant pour les bas que pour les hauts revenus.

La pro­ba­bi­li­té de viv­re seul est aus­si répar­tie dif­fé­rem­ment que pour les niveaux de for­ma­ti­on : les hom­mes avec un bas reve­nu ont plus de pro­ba­bi­li­té de viv­re seuls que les hom­mes dont le reve­nu est éle­vé. Même si les femmes avec un haut reve­nu avai­ent plus de pro­ba­bi­li­té de viv­re seu­les en 2000, elles ne se dis­tin­guent plus des femmes aux reve­nus moy­ens en 2014.

Figure 3: Evolution de l’appariement sélectif selon les revenus entre 2000 et 2014

Source: SAKE 1992, 2000, 2014. Aus­si: Ravazzi­ni et al. (2017)

Il est éga­le­ment intéres­sant d’étudier la com­bi­nai­son ent­re le niveau de for­ma­ti­on et le reve­nu. En ana­ly­sant cet­te com­bi­nai­son, nous pou­vons souli­gner que le grou­pe où les cou­ples sont le plus simi­lai­res en ter­mes de reve­nu n’est pas com­po­sé par des per­son­nes ayant le même niveau de for­ma­ti­on, mais que les femmes y ont une for­ma­ti­on plus éle­vée que leurs par­ten­aires mas­cu­lins. On peut donc dire que si les femmes choi­sis­sent un par­ten­aire avec un niveau de for­ma­ti­on infé­ri­eur, cet hom­me a ten­dance à avoir un salai­re élevé.

En out­re, en con­sidé­rant l’âge et la durée de la rela­ti­on ent­re les deux par­ten­aires, nous pou­vons affir­mer que l’homogamie des reve­nus est plus gran­de au début de la rela­ti­on et lors­que les par­ten­aires sont jeu­nes. Ceci est dû à la diver­si­fi­ca­ti­on des choix de car­ri­è­re et à la réduc­tion de taux de tra­vail des femmes à l’arrivé des enfants.

Conclusion

Le nombre de cou­ples avec le même niveau de for­ma­ti­on a aug­men­té depuis les années 1990. Not­re ana­ly­se mont­re que l’appariement sélec­tif se con­cent­re par­mi les cou­ples ayant un bas niveau de for­ma­ti­on et non pas par­mi les cou­ples avec un haut niveau de for­ma­ti­on, com­me nous aur­i­ons pu l’imaginer. Les cou­ples au bas niveau de for­ma­ti­on sont donc plus ségré­gués qu’ils ne l’étaient il y a plus de vingt ans. En par­tant du princi­pe que les salai­res aug­men­tent avec le niveau de for­ma­ti­on, ces cou­ples peu­vent donc repré­sen­ter un grou­pe vul­né­ra­ble de la socié­té suisse.

Not­re ana­ly­se a éga­le­ment mon­tré que les hom­mes et les femmes avec un haut niveau de for­ma­ti­on ont une pro­ba­bi­li­té éle­vée de viv­re seul. Cepen­dant, cet­te pro­ba­bi­li­té est en train de dimi­nu­er avec le temps. La pro­ba­bi­li­té de viv­re seul est aus­si liée au reve­nu, mais cet­te fois-ci de maniè­re dif­fé­ren­ciée selon le sexe de la per­son­ne. Si les hom­mes avec un bas reve­nu ont plus de pro­ba­bi­li­té de viv­re seuls, ce sont les femmes avec un haut reve­nu qui sont les plus sujet­tes à viv­re seu­les. Même si les femmes sont deve­nues plus indé­pen­dan­tes sur le plan éco­no­mi­que, cel­les qui n’ont pas de reve­nus élé­vés sem­blent tou­jours atta­cher une gran­de impor­t­ance au reve­nu de leur partenaire.

Le niveau de for­ma­ti­on est, de fait, deve­nu une carac­té­ris­tique moins importan­te pour la mise en cou­p­le hété­ro­se­xu­el au fil du temps. Ce phé­nomè­ne a pour con­sé­quence d’avoir dimi­n­ué l’appariement sélec­tif ent­re per­son­nes hau­te­ment for­mées, mais de l’avoir aug­men­té ent­re per­son­nes à haut reve­nu. Le fort appa­rie­ment sélec­tif ent­re per­son­nes à haut reve­nu indi­que que le sta­tut social res­te un cri­tè­re important dans la sélec­tion d’un par­ten­aire. Des ana­ly­ses plus fines sur la base de don­nées dés­agré­gées pour­rai­ent déter­mi­ner si l’appariement sélec­tif dépend du type d’université, du diplô­me ou de la disci­pli­ne étudiée.

Sur la base de l’ESPA et du PSM, cet­te ana­ly­se a pu en out­re mon­trer que les hom­mes et les femmes dans des cou­ples homo­ga­mes avec une for­ma­ti­on ter­ti­ai­re ne sont pas pari­taires en ter­mes de reve­nu. Enfin, cet­te étu­de a éga­le­ment mis à jour la dimi­nu­ti­on de l’homogamie de reve­nu pen­dant la vie en cou­p­le . Ceci pour­rait être expli­qué par les dif­férents choix de car­ri­è­re réa­li­sés et les dif­fé­ren­tes responsa­bi­li­tés pri­ses vis-à-vis de la paren­ta­li­té par les hom­mes et les femmes à l’intérieur du couple.

L’homogamie se révè­le donc être un phé­nomè­ne important pour com­prend­re non seu­le­ment les con­sé­quen­ces de l’expansion sco­la­i­re, mais aus­si pour suiv­re et étu­dier les iné­ga­li­tés socia­les, de reve­nu et de gen­re pré­sen­tes dans la socié­té dans laquel­le nous vivons.

 

[1] La com­pa­rai­son est fai­te ici ent­re les cohor­tes nées dans les années 50 et les cohor­tes nées dans les années sui­v­an­tes jusqu’au début des années 80. L’observation se fait selon le niveau d’éducation obte­nu et le sta­tut d’activité décla­ré par ces per­son­nes ent­re 1999 et 2015.

[2] Les années étu­diées sont 1970, 1980, 1990 et 2000.

[3] Avoir des amis simi­lai­res à soi-même est encore un aut­re phé­nomè­ne que les sci­en­ces socia­les appel­lent homo­phi­lie. L’homophilie peut donc géné­rer de l’homogamie.

[4] Il est pos­si­ble que les per­son­nes seu­les aient un par­ten­aire qui n’habite pas avec eux, mais elles ont une pro­ba­bi­li­té moind­re de par­ta­ger les frais d’habitation et le reve­nu. Les per­son­nes dans une rela­ti­on amou­re­u­se qui ne vivent pas avec leur par­ten­aire sont donc défi­nies com­me seu­les pour nos analyses.


Réfé­rence:

Ravazzi­ni, Lau­ra, Ursi­na Kuhn & Chris­ti­an Suter (2019). Les oppo­sés ne s’attirent pas – le rôle de la for­ma­ti­on et du reve­nu dans la mise en cou­p­le en Suis­se. Social Chan­ge in Switz­er­land, N° 17.

 

Bibliographie:

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Pho­to: pixabay

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