Le «retour en force» des entrepreneurs à l’Assemblée fédérale

Le nombre d’entrepreneurs aux Cham­bres fédé­ra­les a dou­blé ent­re 1980 et 2015. La pro­fes­si­onnali­sa­ti­on du Par­le­ment suis­se n’a donc pas for­cé­ment affai­b­li les rela­ti­ons ent­re éco­no­mie et poli­tique. La for­te aug­men­ta­ti­on des repré­sen­tants des peti­tes et moy­ennes entre­pri­ses (PME) est lar­ge­ment tri­bu­taire du suc­cès de l’UDC depuis les années 1990.

Lors d’une inter­view en juin der­nier à la Neue Zür­cher Zei­tung, le pré­si­dent d’economiesuisse Heinz Kar­rer a dénon­cé l’effritement du sys­tème de mili­ce en rai­son d’une pro­fes­si­onnali­sa­ti­on gran­dis­san­te du Par­le­ment qui, à son avis, ent­raî­ne­rait une éro­si­on de la con­fi­an­ce ent­re la poli­tique et l’économie. Kar­rer déplorait un man­que d’expertise éco­no­mi­que par­mi les par­le­men­taires et appel­ait de ses vœux une pré­sence plus importan­te des chefs d’entreprises. Pour cet­te rai­son, la fédé­ra­ti­on des entre­pri­ses suis­ses, for­te d’une décla­ra­ti­on signée par plus de 200 socié­tés et orga­ni­sa­ti­ons de dif­fé­ren­tes bran­ches, sou­hai­te frei­ner la pro­fes­si­onnali­sa­ti­on du Par­le­ment fédéral.

Nos recher­ches sur le recru­tement par­le­men­taire en Suis­se nous per­met­tent cepen­dant de nuan­cer l’idée selon laquel­le, par rap­port au pas­sé, moins d’entrepreneurs siè­gent de nos jours aux Cham­bres fédérales.

 La pré­sence des chefs d’entreprise dou­ble ent­re 1980 et les années 2000

Jusqu’aux années 1960–1970, au Par­le­ment fédé­ral siè­gent tou­jours au moins une ving­tai­ne de chefs d’entreprise. En 1980, le nombre d’entrepreneurs sur les bancs du Con­seil natio­nal et du Con­seil des Etats con­naît la dimi­nu­ti­on la plus mar­quée au cours du 20e siè­cle : plus que 16 patrons de PME. Ce recul très sen­si­ble s’explique aus­si par l’arrivée des pre­miè­res par­le­men­taires femmes qui sur le plan pro­fes­si­onnel sont acti­ves, en majo­ri­té, com­me sala­riées du sec­teur public et com­me poli­ti­ci­en­nes à plein temps. La péri­ode récen­te se carac­té­ri­se en revan­che par un véri­ta­ble «retour en for­ce» des chefs d’entreprise, en rai­son sur­tout du suc­cès de l’UDC. En effet, alors qu’en 1980 on ne comp­t­ait que 16 entre­pre­neurs, dans le nou­veau Par­le­ment fédé­ral, après les der­niè­res élec­tions d’octobre 2015, il y en a désor­mais 34 (Gra­phi­que 1). Cet­te évo­lu­ti­on illus­tre donc, de maniè­re géné­ra­le, un cer­tain ren­for­ce­ment des rela­ti­ons ent­re les milieux éco­no­mi­ques, notam­ment des peti­tes et moy­ennes entre­pri­ses (PME), et le Parlement.

Graphique 1: Chefs d’entreprise à l’Assemblée fédérale, 1910–2015, répartition par Chambre

Source: Pilot­ti (2012, pour 1910–2010) et Ser­vices du Par­le­ment (2015, éla­bo­ra­ti­ons de l’auteur).

L’UDC désormais le parti des PME

La répar­ti­ti­on des chefs d’entreprise chan­ge pro­fon­dé­ment au cours des années 1990 et 2000. Alors qu’au cours du 20e siè­cle, le PRD affi­che tou­jours le plus grand nombre d’entrepreneurs, depuis 2000, l’UDC devi­ent le véri­ta­ble par­ti des PME (Gra­phi­que 2). En 2015, le par­ti comp­te plus de la moi­tié de tous les patrons d’entreprise sié­ge­ant à Ber­ne (19 sur 34). Cet­te évo­lu­ti­on ne fait que reflé­ter par ail­leurs la nou­vel­le ori­en­ta­ti­on idéo­lo­gi­que de l’UDC désor­mais cen­trée non seu­le­ment sur les inté­rêts de la paysan­ne­rie, mais aus­si sur ceux des PME et des milieux financiers.

Graphique 2: Chefs d’entreprise par parti politique, 1910–2015

Source: Pilot­ti (2012, pour 1910–2010) et Ser­vices du Par­le­ment (2015, éla­bo­ra­ti­ons de l’auteur).

De maniè­re géné­ra­le, nos don­nées sur le pro­fil pro­fes­si­onnel des par­le­men­taires suis­ses per­met­tent de rela­ti­vi­ser quel­que peu l’idée selon laquel­le la pro­fes­si­onnali­sa­ti­on du Par­le­ment suis­se, à l’œuvre sur­tout depuis les années 1990, aurait ent­raî­né un affai­blis­se­ment des rap­ports ent­re éco­no­mie et poli­tique. La véri­ta­ble ques­ti­on n’est donc pas cel­le des liens pro­pre­ment dit ent­re les deux sphè­res, qui con­ti­nu­ent à exis­ter bel et bien, mais plu­tôt de leur qua­li­té sur laquel­le les acteurs poli­ti­ques et éco­no­mi­ques peu­vent et doiv­ent ouvrir un débat.


Réfé­ren­ces

  • Pilot­ti, Andrea (2012). Les par­le­men­taires suis­ses ent­re démo­cra­ti­sa­ti­on et pro­fes­si­onnali­sa­ti­on (1910–2010). Bio­gra­phie collec­ti­ve des élus fédé­raux et réfor­mes du Par­le­ment hel­vé­tique. Thè­se en sci­en­ces poli­ti­ques, Uni­ver­si­té de Lau­sanne, Facul­té des sci­en­ces socia­les et poli­ti­ques (en cours de publication). 

Pho­to: Wiki­me­dia Commons

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