Après “Rechtsrutsch”, c’est “concordance” qui devient le mot-clef de cette première session de la 50ème législature. Selon les plus optimistes, le retour de deux UDC au gouvernement va permettre une plus grande capacité d’action des autorités. Une autre conclusion est toutefois plus assurée: comme au Parlement, le PLR aura aussi au Conseil fédéral un rôle d’arbitre politique clef. Le groupe UDC est fort, mais il est souvent esseulé. Sur de nombreux dossiers essentiels de la prochaine législature, le PLR peut profiter de son statut pour créer et soigner des majorités avec le centre et la gauche. Il (re)deviendra alors cet arbitre qui fait les majorités et préside aux grands choix stratégiques du pays.
Le contenu d’abord: au moins deux ensembles de dossiers sortent du lot. Le premier concerne la politique étrangère du pays, et plus spécifiquement la politique européenne et ses dimensions migratoires. En se profilant comme défenseur des bilatérales et promoteur d’une Suisse ouverte à l’étranger, le PLR a posé les bases de sa politique étrangère. Grâce à l’action de son conseiller fédéral Didier Burkhalter, le parti peut légitimement associer discours et engagement politique concret. Et ce, même si les débats vraiment douloureux arrivent bientôt. Le fond de solidarité du PLR sera mis à rude épreuve par l’arrivée imminente de plus de demandeurs d’asile.
Les engagements suisses conclus par le biais du droit international, notamment l’adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l’homme, seront frontalement remis en question. De plus, il faudra dépasser les poncifs sur la quadrature du cercle entre mise en œuvre de l’initiative du 9 février et sauvegarde de l’accord de libre circulation des personnes. Malgré d’incessantes prières, ces deux éléments sont incompatibles.
Prenant acte, il faut maintenant tout mettre en œuvre pour organiser une nouvelle votation porteuse de sens et capable de déterminer la politique européenne des quinze prochaines années. Le deuxième ensemble de dossiers concerne les questions de vivre-ensemble en société. Il touche au cœur du programme libéral visant à assurer à tous les habitants du pays la liberté de choisir leur mode de vie. Sur des dossiers aussi divers que le mariage homosexuel, l’obligation de servir ou la conciliation entre vies familiale et professionnelle, le PLR a l’opportunité de rappeler qu’il n’est pas seulement un parti économiquement libéral, mais un véritable acteur d’une société libre et respectueuse. La Suisse doit aspirer à devenir un eldorado des libertés et la réussite du parti sera jugée à l’aune des chances offertes à chaque habitant.
«Il s’agit de tirer une ligne rouge: au nationalisme-conservateur de l’UDC, le PLR doit opposer un libéralisme-progressiste.»
Johan Rochel
La stratégie ensuite: pour saisir cette opportunité d’arbitre, le PLR doit remplir deux conditions. Avant toutes choses, il doit d’urgence signaliser son indépendance vis-à-vis d’un bloc «de droite» avec l’UDC. Le dossier européen et les questions du vivre-ensemble dans une société libérale lui offrent des occasions en or de se démarquer du groupe UDC. Il s’agit de tirer une ligne rouge: au nationalisme-conservateur de l’UDC, le PLR doit opposer un libéralisme-progressiste. Toni Brunner ne s’y trompe pas. Depuis le 18 Octobre, il multiplie les appels du pied au PLR en les invitant à rejoindre un grand bloc de droite. Accepter cette stratégie serait funeste et ne ferait que donner le rôle d’arbitre aux partis plus centristes, le PDC en première ligne.
Deuxièmement, le PLR doit soigner son aile centriste. Sur de nombreux dossiers, ce sont les quelques personnalités du centre qui feront pencher la balance des majorités au National. Aux Etats, ces mêmes personnalités pourront marquer de leur empreinte les débats de fond. Le PLR de Philipp Müller a compris qu’il ne pouvait évacuer ces différentes ailes. Mais il continue à considérer cette co-existence plutôt comme une faiblesse. A l’inverse, il doit transformer cet état de fait en force de propositions et d’alliances. En Suisse romande, les deux vice-présidents illustrent bien cette tension. Christian Lüscher (Genève) représente l’aile droite du PLR, tandis qu’Isabelle Moret (Vaud) joue plus au centre. Que la seconde sacrifie ses positions centristes serait une perte profonde pour le parti et pour la capacité du pays à défendre des positions équilibrées.
Cette stratégie de l’arbitrage politique ne va pas sans risque. Il est en effet prévisible qu’un succès relatif sur les deux ensembles de dossiers évoqués ait pour corollaire un vote de bloc avec l’UDC sur d’autres questions. La question politique qui s’offre au centre et à gauche porte donc sur les sacrifices collatéraux d’un PLR ouvert au dialogue sur certains dossiers. A ce titre, l’Etat-social et ses prestations pourraient se retrouver victimes d’alliances croisées et de «retours d’ascenseurs». De même, les questions environnementales seront sur la sellette, surtout après l’effondrement de leurs défenseurs politiques verts(-libéraux). Les plus confiants se diront que le PLR a retenu la leçon du succès des Verts-libéraux et qu’il a intégré une dimension verte dans l’ensemble de ses positions. Pour les autres – d’aucun diraient les plus réalistes – la défense de la transition énergétique dépendra de l’engagement de quelques personnalités à sensibilité environnementale. Auront-elles la place nécessaire? Pour le PLR, l’occasion est immense: faire coïncider un discours sur son rôle historique dans la création de l’Etat fédéral avec la capacité d’être l’inspirateur et le réalisateur des grands projets d’avenir. S’il choisit avec soin ses alliés, ce super-PLR peut marquer la 50ème législature de la Suisse moderne.
Photo: PLR.Les Libéraux-Radicaux