La montée de l’UDC au cours des 20 dernières années a rendu les compromis plus difficiles dans la politique sociale. L’affaiblissement du centre, confirmé lors des élections fédérales, a privé la gauche et les syndicats d’alliés avec lesquels des alliances peuvent être conclues. Dans le domaine des retraites, les majorités parlementaires de droite se sont heurtées à des refus populaires car les électeurs UDC votent contre les élites du parti.
L’histoire récente des réformes de l’Etat social en Suisse a été marquée par les blocages et la polarisation. Dans le domaine des retraites en particulier, les tentatives de réforme du Conseil fédéral sont dans une impasse depuis près de 20 ans. La dernière révision de l’AVS qui a passé l’épreuve du référendum date de 1995. Par la suite, le peuple a refusé la 11ème révision de l’AVS en 2003, la baisse du taux de conversion du deuxième pilier en 2010, et la deuxième mouture de la 11ème révision a été enterrée au parlement en 2010 suite au refus conjoint du PS et de l’UDC. Aujourd’hui, la réforme du système de retraites constitue le chantier le plus dangereux sur l’agenda du conseiller fédéral Alain Berset. Sa tentative de coupler le premier et deuxième piliers dans le cadre de la réforme « Prévoyance 2020 » a déjà suscité de vives critiques, à droite en particulier. En comparaison, les reformes de la législation sur le chômage ont été plus fréquentes et ont généralement trouvé des majorités populaires. Elles ont toutefois été marquées par une forte polarisation gauche-droite: la gauche et les syndicats ont été systématiquement minorisés lors des deux dernières reformes de 2002 et 2010. Dans ces domaines, la concordance semble bel et bien avoir disparu.
Comment expliquer cette difficulté de forger de larges compromis dans le domaine des assurances sociales? Dans un article paru récemment dans la Revue suisse de science politique, nous expliquons ces blocages par les changements de rapports de force politiques survenus au parlement durant cette période, et notamment par l’affaiblissement des partis du centre-droit au profit de l’UDC. La montée de l’UDC a rendu les compromis gauche-droite plus difficiles et a tiré les partis du centre vers la droite de l’échiquier politique. Toutefois, le soutien de l’UDC s’est révélé peu fiable car sa base ne suit pas toujours l’agenda des élites du parti.
L’UDC a tiré les partis du centre-droit vers la droite
Dans les années 1990, les réformes de l’AVS et de l’assurance chômage qui ont passé la rampe du parlement et du référendum combinaient des éléments de retranchement (comme l’augmentation de l’âge de la retraite ou le renforcement des sanctions contre les chômeurs qui ne cherchent pas activement un emploi), et des éléments de modernisation (comme le splitting des rentes, le bonus éducatif ou la création des ORP). Ce type de compromis pouvait rassembler du soutien à la fois à gauche et à droite, et se basait sur de larges alliances entre le Parti Socialiste, les Verts, le Parti Libéral-Radical et le PDC.
A partir de la fin de cette décennie, cette base de soutien s’est progressivement érodée à mesure que l’actuel PLR et le PDC perdaient des sièges au profit de l’UDC. Face à la montée de cette force politique ancrée à droite sur les questions économiques et sociales, les partis du centre-droit ont tenté de se repositionner à droite. Ce mouvement a été particulièrement significatif pour le PLR, pour qui il était important de rester le parti de l’économie. Dès lors, il est devenu beaucoup plus difficile pour la gauche et les syndicats de trouver des alliés à droite, et les clivages dans ce domaine – à quelques exceptions près, comme l’assurance maternité ou la politique familiale en général – ont opposé les partis de droite (UDC-PLR-PDC) majoritaires et les organisations patronales d’un côté, la gauche et les syndicats de l’autre.
L’électorat UDC ne suit pas le parti sur les retraites
Toutefois, ces majorités plus à droite n’ont pas toujours conduit à un retranchement généralisé de l’État social. Dans le domaine de l’assurance-chômage, cela a bien été le cas: les tentatives de la gauche pour tempérer ou bloquer les mesures d’économies se sont généralement soldées par des échecs, et lors de référendums une majorité de votants ont soutenu les mesures visant à serrer la vis dans ce domaine. Dans le domaine des retraites par contre, les majorités de droite au parlement on été presque systématiquement contrées par des refus populaires. Cette différence s’explique principalement par le comportement de l’électorat UDC dans le domaine des retraites. Celui-ci se différencie des autres partis bourgeois, et ses préférences tranchent nettement avec les politiques promues par le parti (Graphique 1).
Pourcentage de répondants par parti
Source: Selects 2011
D’une part, l’électorat UDC est celui qui est le moins favorable aux dépenses publiques pour soutenir les chômeurs, et il a massivement soutenu les réformes qui visaient à combattre les « abus ». Par contre, les électeurs UDC sont aussi ceux qui sont le plus favorables à une augmentation des dépenses de retraites, et se distancient considérablement des électeurs PLR ou PDC à cet égard. En 2011, les électeurs UDC étaient même en moyenne plus favorables à une augmentation des dépenses de retraite que les électeurs du PS et des Verts, en nette opposition avec la position officielle du parti. Ceci s’explique par la présence d’une forte composante populaire dans l’électorat UDC. Dans celui-ci, la notion de « mérite » joue un rôle important: les chômeurs sont vus comme des profiteurs potentiels, alors que les retraités méritent de bénéficier de prestations sociales après une vie consacrée au travail. Consciente de cette différence entre la base et les élites du parti, l’UDC ne met pas en avant son agenda de réforme sociale dans la campagne électorale. Elle se concentre sur les domaines où ses thèmes s’imposent, comme l’immigration ou les questions de sécurité.
De nouvelles tendances ?
Y aurait-il eu entretemps un nouveau mouvement de balancier ? Sur la base du « rating » des parlementaires pendant la législature qui vient de se terminer, la NZZ conclut sur l’existence d’une « social-démocratisation » de la politique fédérale. Celle-ci apparaît particulièrement prononcée dans le domaine de la politique sociale, où les partis bourgeois avaient gagné 68% des votes parlementaires en 2007-2011, mais seulement 48% en 2011-2015. A la lecture de nos résultats, on peut pourtant interpréter ceci plutôt comme un rééquilibrage, que comme un glissement à gauche. Les résultats des dernières l’élections fédérales tendent d’ailleurs plutôt à indiquer qu’un tel recentrage n’était peut-être qu’une parenthèse, qui sera peut-être suivie par un « Rechtsrutsch » cette fois.
Références:
- Afonso, A., Papadopoulos, Y. (2015) “How the Populist Radical Right Transformed Swiss Welfare Politics: From Compromises to Polarization”, Swiss Political Science Review 21(4).
Photo: Union démocratique du centre