Les femmes au Parlement défendent-elles les femmes suisses?

Ver­tre­ten Poli­ti­ke­rin­nen im Par­la­ment die Inter­es­sen von Frau­en? Anouk Llo­ren geht die­ser Fra­ge auf DeFac­to nach und zeigt, dass die Par­tei­zu­ge­hö­rig­keit der Poli­ti­ke­rin­nen wich­ti­ger ist als ihr Geschlecht.

Les femmes poli­ti­ques sont sou­vent con­sidé­rées — par les médi­as, les poli­ti­ci­en-ne‑s mais aus­si par cer­tain-e‑s fémi­nis­tes — com­me dif­fé­ren­tes de leurs homo­lo­gues mas­cu­lins, tant au niveau de leur style poli­tique qu’au niveau des poli­ti­ques publi­ques qu’elles défen­dent. On entend sou­vent qu’el­les serai­ent moins com­pé­ti­ti­ves, moins cor­rom­pu­es et davan­ta­ge à l’écoute des besoins des citoy­ens, et notam­ment des besoins des citoy­ennes. En d’au­tres mots, on s’at­tend sou­vent à ce que la pré­sence de femmes au par­le­ment — la repré­sen­ta­ti­on descrip­ti­ve —  ait un impact posi­tif con­cer­nant la défen­se des inté­rêts des femmes — la repré­sen­ta­ti­on substantielle. 

INFOBOX
Le con­cept de repré­sen­ta­ti­on descrip­ti­ve ren­voie à la pré­sence phy­si­que et numé­ri­que d’un grou­pe au sein d’u­ne orga­ni­sa­ti­on, tel­le que le par­le­ment. Lors­qu’un grou­pe social est sous-repré­sen­té au sein des instan­ces légis­la­ti­ves par rap­port à sa pro­por­ti­on dans la popu­la­ti­on, on dit qu’il y a un man­que de repré­sen­ta­ti­on descrip­ti­ve. C’est par exemp­le le cas pour les femmes dans la plu­part des par­le­ments nation­aux dans le monde. 

Le con­cept de repré­sen­ta­ti­on sub­stan­ti­el­le ren­voie, quant à lui, à la pri­se en comp­te des inté­rêts, des pré­fé­ren­ces ou des besoins d’un grou­pe don­né par les par­le­men­taires. Ain­si, un par­le­ment peut, thé­o­ri­que­ment, sous-repré­sen­ter descrip­ti­ve­ment les femmes tout en les repré­sen­tant sub­stan­ti­el­lement, c’est-à-dire défend­re leurs inté­rêts et leurs préférences. 

Le sexe n’est qu’un facteur parmi d’autres

Les résul­tats des recher­ches qui ont ten­té de tes­ter la vali­di­té empi­ri­que de ces atten­tes sont ambi­va­lents. Dans mes recher­ches sur le com­por­te­ment de vote des par­le­men­taires au Con­seil Natio­nal, j’ai mis en évi­dence que les dépu­tés sont influ­en­cés par de mul­ti­ples man­da­taires — tels que les par­tis poli­ti­ques, les pré­fé­ren­ces des élec­teurs, les grou­pes d’in­té­rêts — et que le sexe n’est qu’un fac­teur par­mi d’autres pou­vant expli­quer leur choix de vote. 

La défi­ni­ti­on de ce que sont les inté­rêts des femmes joue, par exemp­le, un rôle non nég­li­ge­ab­le lors­que l’on veut savoir si les femmes repré­sen­tent les femmes. Mais défi­nir ce con­cept n’est pas cho­se aisée. 

Que comprennent les intérêts des femmes?

Les inté­rêts des femmes ont été, et sont encore sou­vent, l’ob­jet de con­tro­ver­ses non seu­le­ment sci­en­ti­fi­ques mais aus­si poli­ti­ques et socia­les. Loin de lais­ser indif­fé­rent, l’évocation de ce con­cept, quand il ne prê­te pas sim­ple­ment à sourire avec con­de­scen­dance, a sus­ci­té, et sus­ci­te tou­jours, des réac­tions pas­si­onnées : tour à tour, l’existence des inté­rêts des femmes a été reven­di­quée, mais aus­si farou­che­ment combattue. 

C’est par­ce qu’in­vo­quer le con­cept d’in­té­rêts des femmes n’est pas sans con­sé­quen­ces. En effet, le ris­que d’es­sen­tia­li­ser ou de natu­ra­li­ser les dif­fé­ren­ces ent­re les femmes et les hom­mes est tou­jours pré­sent lors­que cet­te noti­on est mobi­li­sée, alors même qu’il sem­ble dif­fi­ci­le de sou­ten­ir qu’il exis­te une iden­ti­té fémi­ni­ne qui pour­rait être défi­nie par une série d’attributs spécifiques. 

Dans mon étu­de, j’ai exami­né le com­por­te­ment des Con­seil­lè­res et des Con­seil­lers nation­aux face à deux défi­ni­ti­ons alter­na­ti­ves des inté­rêts de femmes. Pre­miè­re­ment, les inté­rêts des femmes peu­vent être défi­nis com­me le résul­tat d’une éla­bo­ra­ti­on collec­ti­ve par les orga­ni­sa­ti­ons de femmes.[2] Dans ce cas, les inté­rêts des femmes sont éla­bo­rés par les grou­pes d’in­té­rêts fémi­nis­tes. Deu­xiè­me­ment, ces inté­rêts peu­vent être défi­nis com­me les pré­fé­ren­ces élec­to­ra­les des femmes dans le cad­re des vota­ti­ons popu­lai­res.[3] Dans ce cas, les inté­rêts des femmes con­sti­tu­ent une simp­le agré­ga­ti­on du choix de vote des Suis­ses­ses aux urnes. 

L’affiliation partisane est plus importante que le sexe

Les résul­tats de ma recher­che mon­t­rent, tout d’a­bord, que les dépu­tées fémi­ni­nes défen­dent, en moy­enne, davan­ta­ge les posi­ti­ons fémi­nis­tes que les pré­fé­ren­ces élec­to­ra­les des femmes. Tou­te­fois, l’ef­fet du sexe varie princi­pa­le­ment en fonc­tion de l’af­fi­lia­ti­on par­ti­sa­ne et est princi­pa­le­ment visi­ble au sein des par­tis de droite. 

Effet moyen du sexe au sein des partis pour les intérêts féministes et les préférences des femmes

Women's Interest

Le gra­phi­que révè­le que les femmes et les hom­mes affi­lié-e‑s à des par­tis de gau­che ont adop­té un com­por­te­ment de vote simi­lai­re face aux deux types d’intérêts des femmes. Et la gau­che défend, en moy­enne, davan­ta­ge les inté­rêts fémi­nis­tes que les par­tis de droite.

Les vraies féministes se trouvent-elles parmi les députées de l’UDC ?

En revan­che, on con­sta­te que les dépu­tées de droi­te (UDC, PRL, PDC) se sont sou­vent com­por­tées dif­fé­rem­ment de leurs col­lè­gues mas­cu­lins et sem­blent avoir rejoint les rangs de leurs con­sœurs et con­frè­res de gau­che, notam­ment lors­que des pro­jets fémi­nis­tes sont en jeu. Le Gra­phi­que 1 mont­re notam­ment que l’influence du sexe s’exerce sur­tout au sein de l’UDC où les repré­sen­tan­tes ont adop­té des com­por­te­ments plus à gau­che que leurs col­lè­gues mas­cu­lins: les femmes UDC ont pres­que 40% plus de pro­ba­bi­li­tés de voter en faveur des posi­ti­ons fémi­nis­tes que leurs col­lè­gues mas­cu­lins et 10% de voter en adé­qua­ti­on avec les électri­ces. L’effet du sexe est d’autant plus grand que les femmes sont peu nombreu­ses dans ce parti. 

D’abord le parti, ensuite les groupes d’intérêts, et pour finir le sexe

Quel­le leçon peut-on tirer de ces résul­tats, notam­ment pour l’a­van­ce­ment de la cau­se des femmes? Princi­pa­le­ment, l’im­por­t­ance des grou­pes d’in­té­rêts dans le pro­ces­sus de pri­se de décisi­on poli­tique. En effet, les pro­jets rele­vant de la pre­miè­re caté­go­rie d’enjeux ont été publi­que­ment con­struits com­me rele­vant de l’égalité des sexes par les orga­ni­sa­ti­ons de femmes. Ces orga­ni­sa­ti­ons ont poli­ti­sé ces pro­jets de loi en pren­ant expli­ci­te­ment posi­ti­on en faveur ou cont­re l’adoption des objets légis­la­tifs qu’elles ont jugés com­me étant import­ants pour l’avancement de la cau­se des femmes.[4]  

Pen­so­ns, par exemp­le, à l’as­suran­ce mater­ni­té. Ce pro­jet, qui a été défen­du par les orga­ni­sa­ti­ons de femmes et qui est con­sidé­ré com­me étant dans l’intérêt des femmes, n’a long­temps pas fait par­tie des pré­fé­ren­ces des Suis­ses­ses, puis­que les votan­tes l’ont reje­té en majo­ri­té en 1998 (et lors des trois vota­ti­ons pré­cé­den­tes). La con­clu­si­on selon laquel­le les grou­pes d’in­té­rêts sont cen­traux dans le pro­ces­sus légis­la­tif s’a­vè­re d’au­tant plus importan­te que les pré­fé­ren­ces élec­to­ra­les des femmes et les inté­rêts défen­dus par les orga­ni­sa­ti­ons fémi­nis­tes peu­vent par­fois être oppo­sés. Ceci sug­gè­re que les citoy­en-ne‑s qui veu­lent peser dans le pro­ces­sus de pri­se de décisi­on poli­tique doiv­ent s’or­ga­ni­ser collec­ti­ve­ment afin de poli­ti­ser publi­que­ment l’en­jeu qui leur tient à cœur. 

[1]Cet­te con­tri­bu­ti­on est par­ti­el­lement tirée de mon ouvra­ge inti­tu­lé “Pour qui lut­tent les femmes ? De la repré­sen­ta­ti­on des inté­rêts des femmes au Par­le­ment suis­se” paru aux édi­ti­ons Seis­mo en 2015.

[2]Les posi­ti­ons pri­ses par la Com­mis­si­on Fédé­ra­le pour les Ques­ti­ons Fémi­ni­nes (CFQF).

[3]L’a­gré­ga­ti­on du choix de vote des Suis­ses­ses lors des vota­ti­ons popu­lai­res ent­re 1996 et 2008.

[4]La CFQF prend part à la pha­se de con­sul­ta­ti­on dans la pha­se pré-parlementaire.


Réfé­ren­ces:

Pho­to: Par­la­ments­diens­te 3003 Bern, parlament.ch

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