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Les femmes au Parlement défendent-elles les femmes suisses?

Anouk Lloren
1st October 2015

Vertreten Politikerinnen im Parlament die Interessen von Frauen? Anouk Lloren geht dieser Frage auf DeFacto nach und zeigt, dass die Parteizugehörigkeit der Politikerinnen wichtiger ist als ihr Geschlecht.

Les femmes politiques sont souvent considérées - par les médias, les politicien-ne-s mais aussi par certain-e-s féministes - comme différentes de leurs homologues masculins, tant au niveau de leur style politique qu’au niveau des politiques publiques qu’elles défendent. On entend souvent qu'elles seraient moins compétitives, moins corrompues et davantage à l’écoute des besoins des citoyens, et notamment des besoins des citoyennes. En d'autres mots, on s'attend souvent à ce que la présence de femmes au parlement - la représentation descriptive -  ait un impact positif concernant la défense des intérêts des femmes - la représentation substantielle.  

INFOBOX

Le concept de représentation descriptive renvoie à la présence physique et numérique d'un groupe au sein d'une organisation, telle que le parlement. Lorsqu'un groupe social est sous-représenté au sein des instances législatives par rapport à sa proportion dans la population, on dit qu'il y a un manque de représentation descriptive. C'est par exemple le cas pour les femmes dans la plupart des parlements nationaux dans le monde.  

Le concept de représentation substantielle renvoie, quant à lui, à la prise en compte des intérêts, des préférences ou des besoins d'un groupe donné par les parlementaires. Ainsi, un parlement peut, théoriquement, sous-représenter descriptivement les femmes tout en les représentant substantiellement, c'est-à-dire défendre leurs intérêts et leurs préférences.

 

Le sexe n'est qu’un facteur parmi d’autres

Les résultats des recherches qui ont tenté de tester la validité empirique de ces attentes sont ambivalents. Dans mes recherches sur le comportement de vote des parlementaires au Conseil National, j'ai mis en évidence que les députés sont influencés par de multiples mandataires - tels que les partis politiques, les préférences des électeurs, les groupes d'intérêts - et que le sexe n’est qu’un facteur parmi d’autres pouvant expliquer leur choix de vote.  

La définition de ce que sont les intérêts des femmes joue, par exemple, un rôle non négligeable lorsque l'on veut savoir si les femmes représentent les femmes. Mais définir ce concept n'est pas chose aisée.  

Que comprennent les intérêts des femmes?

Les intérêts des femmes ont été, et sont encore souvent, l'objet de controverses non seulement scientifiques mais aussi politiques et sociales. Loin de laisser indifférent, l’évocation de ce concept, quand il ne prête pas simplement à sourire avec condescendance, a suscité, et suscite toujours, des réactions passionnées : tour à tour, l’existence des intérêts des femmes a été revendiquée, mais aussi farouchement combattue.  

C'est parce qu'invoquer le concept d'intérêts des femmes n'est pas sans conséquences. En effet, le risque d'essentialiser ou de naturaliser les différences entre les femmes et les hommes est toujours présent lorsque cette notion est mobilisée, alors même qu’il semble difficile de soutenir qu’il existe une identité féminine qui pourrait être définie par une série d’attributs spécifiques.  

Dans mon étude, j'ai examiné le comportement des Conseillères et des Conseillers nationaux face à deux définitions alternatives des intérêts de femmes. Premièrement, les intérêts des femmes peuvent être définis comme le résultat d’une élaboration collective par les organisations de femmes.[2] Dans ce cas, les intérêts des femmes sont élaborés par les groupes d'intérêts féministes. Deuxièmement, ces intérêts peuvent être définis comme les préférences électorales des femmes dans le cadre des votations populaires.[3] Dans ce cas, les intérêts des femmes constituent une simple agrégation du choix de vote des Suissesses aux urnes.  

L’affiliation partisane est plus importante que le sexe

Les résultats de ma recherche montrent, tout d'abord, que les députées féminines défendent, en moyenne, davantage les positions féministes que les préférences électorales des femmes. Toutefois, l'effet du sexe varie principalement en fonction de l'affiliation partisane et est principalement visible au sein des partis de droite.  

Effet moyen du sexe au sein des partis pour les intérêts féministes et les préférences des femmes

Women's Interest

Le graphique révèle que les femmes et les hommes affilié-e-s à des partis de gauche ont adopté un comportement de vote similaire face aux deux types d’intérêts des femmes. Et la gauche défend, en moyenne, davantage les intérêts féministes que les partis de droite.

Les vraies féministes se trouvent-elles parmi les députées de l’UDC ?

En revanche, on constate que les députées de droite (UDC, PRL, PDC) se sont souvent comportées différemment de leurs collègues masculins et semblent avoir rejoint les rangs de leurs consœurs et confrères de gauche, notamment lorsque des projets féministes sont en jeu. Le Graphique 1 montre notamment que l’influence du sexe s’exerce surtout au sein de l’UDC où les représentantes ont adopté des comportements plus à gauche que leurs collègues masculins: les femmes UDC ont presque 40% plus de probabilités de voter en faveur des positions féministes que leurs collègues masculins et 10% de voter en adéquation avec les électrices. L’effet du sexe est d’autant plus grand que les femmes sont peu nombreuses dans ce parti.  

D’abord le parti, ensuite les groupes d’intérêts, et pour finir le sexe

Quelle leçon peut-on tirer de ces résultats, notamment pour l'avancement de la cause des femmes? Principalement, l'importance des groupes d'intérêts dans le processus de prise de décision politique. En effet, les projets relevant de la première catégorie d’enjeux ont été publiquement construits comme relevant de l’égalité des sexes par les organisations de femmes. Ces organisations ont politisé ces projets de loi en prenant explicitement position en faveur ou contre l’adoption des objets législatifs qu’elles ont jugés comme étant importants pour l’avancement de la cause des femmes.[4]  

Pensons, par exemple, à l'assurance maternité. Ce projet, qui a été défendu par les organisations de femmes et qui est considéré comme étant dans l’intérêt des femmes, n’a longtemps pas fait partie des préférences des Suissesses, puisque les votantes l’ont rejeté en majorité en 1998 (et lors des trois votations précédentes). La conclusion selon laquelle les groupes d'intérêts sont centraux dans le processus législatif s'avère d'autant plus importante que les préférences électorales des femmes et les intérêts défendus par les organisations féministes peuvent parfois être opposés. Ceci suggère que les citoyen-ne-s qui veulent peser dans le processus de prise de décision politique doivent s'organiser collectivement afin de politiser publiquement l'enjeu qui leur tient à cœur.  

[1]Cette contribution est partiellement tirée de mon ouvrage intitulé "Pour qui luttent les femmes ? De la représentation des intérêts des femmes au Parlement suisse" paru aux éditions Seismo en 2015.

[2]Les positions prises par la Commission Fédérale pour les Questions Féminines (CFQF).

[3]L'agrégation du choix de vote des Suissesses lors des votations populaires entre 1996 et 2008.

[4]La CFQF prend part à la phase de consultation dans la phase pré-parlementaire.


Références:

Photo: Parlamentsdienste 3003 Bern, parlament.ch