Le chant des sirènes: variantes ibériques du script du populisme de droite radicale

Avec la montée généralisée des partis populistes de droite radicale (PDR), Vox en Espagne et Chega au Portugal ont adapté le discours anti-immigration et anti-establishment pour aborder des questions spécifiques à leur pays, comme l’unité nationale et l’inégalité économique. L’accent mis sur ces enjeux explique les singularités programmatiques qui, tout en étant cohérentes avec l’idéologie plus large du PDR, attirent un public national, en particulier des électeurs-trices désillusionné-es qui se sentent négligé-es par leurs dirigeant-es politiques et menacé-es par la mondialisation. Un examen plus approfondi de ces éléments peut aider à comprendre les variantes du scénario PDR concernant la mobilité et la migration – et, en fin de compte, le succès de ces partis.

La péninsule ibérique a longtemps été perçue comme « immune» au chant des sirènes particulier qui conquiert l’Europe : le populisme de droite radicale (PDR). Bien que l’Espagne et le Portugal aient semblé exceptionnellement résistants aux partis PDR (Alonso et Rovira Kaltwasser 2015), cette « exception ibérique » a pris fin en 2019 et, désormais, Vox et Chega constituent les troisièmes forces politiques les plus importantes dans leurs pays respectifs.

Comme les autres partis PDR, Vox et Chega prospèrent sur l’insatisfaction politique, attirant les jeunes électeurs-trices et celles et ceux qui ont des opinions anti-mondialisation, anti-élite/establishment et anti-immigration. Cependant, certaines de leurs caractéristiques programmatiques uniques mettent en évidence l’adaptation du script PDR aux contextes nationaux et comment elle a gagné du terrain en Espagne et au Portugal.

Vox et l’unité nationale

Bien que certain-es auteur-es soulignent le caractère plus nationaliste que populiste de Vox (Ferreira 2019 ; Franzé et Fernández-Vázquez 2022), il existe un consensus sur sa classification en tant que parti PDR (Vampa 2020 ; Turnbull-Dugarte et al. 2020 ; Küppers 2024). Dans le cadre d’une rhétorique nationaliste globale, les opinions anti-élites transparaissent dans l’identification par Vox des « ennemis de l’Espagne », tels que le gouvernement dirigé par le parti socialiste (PSOE) et le Premier ministre Pedro Sánchez, les élites étrangères et « mondiales », ainsi que les élites autonomes (c’est-à-dire régionales) (Vox 2023 : 7).

Bien qu’adhérant au schéma standard du populisme de droite radicale, c’est la position recentralisatrice de Vox au milieu des revendications séparatistes de la Catalogne qui explique largement son succès lors des élections générales de 2019. Ce n’est donc pas une coïncidence si la montée en puissance de Vox s’est produite au moment où une candidature régionale à l’indépendance est devenue une question particulièrement saillante. Dans ce contexte, Vox a développé un programme qui s’oppose à l’autonomie régionale, en mettant l’accent sur l’unité nationale pour justifier une aspiration à la recentralisation de l’État. Bien que le parti présente un intérêt particulier pour cet enjeu, la position du parti est cohérente avec l’idéologie du PDR : l’objectif fondamental du programme de recentralisation de l’État peut être considéré comme une expression du nationalisme.

Alors que le sentiment national est un élément unificateur de l’électorat du PDR, la question spécifique de l’unité nationale en Espagne a permis à Vox d’émerger en tant que concurrent politique, attirant un électorat plus jeune, masculin, plus religieux que la moyenne et moins défavorisé économiquement (Turnbull-Dugarte et al. 2020 ; Heyne & Manucci 2021).

Chega et les prestations sociales

Bien qu’il tente de prendre ses distances avec l’héritage autoritaire de l’Estado Novo, André Ventura et Chega semblent, de manière contradictoires, recourir à des slogans politiques tels que « Dieu, la Patrie, la Famille et le Travail ». L’ajout du mot « travail » à un slogan emprunté au régime de Salazar est révélateur de la question centrale sur laquelle Chega se concentre : l’aide sociale et les services publics.

On peut dire que Chega vilipende les bénéficiaires de l’aide sociale dans leur ensemble : les « Portugais vertueux [portugueses de bem] », celles et ceux que Ventura prétend représenter, constituent la « moitié du pays [qui] travaille pour payer à la place de celles et ceux qui ne veulent pas travailler » (Agência Lusa 2021). Cependant, cette stigmatisation prend souvent les contours d’un chauvinisme des prestations sociales, les minorotés, tels que la communauté rom et les immigré-es, étant accusé-es d’épuiser les fonds publics.

Selon Chega, les élites nationales et locales sont également à blâmer en raison de la corruption généralisée et des « politiques fiscales socialistes » jugées « inadéquates » et « pourfendeuses de la création de richesses », pénalisant « les salaires de celles et ceux qui travaillent le plus » (Chega 2024 : 56). Les positions de Chega sur la distribution des ressources, la privatisation et la fourniture d’aide sociale ont attiré des électeurs masculins mécontents, sans éducation supérieure, mais qui ne sont pas nécessairement économiquement démunis. Il s’agit notamment d’électeurs ruraux qui perçoivent leurs zones géographiques comme négligées politiquement (Magalhães & Cancela 2025).

Variantes du script PDR sur la mobilité et la migration

Les questions de l’unité nationale et de la couverture sociale se reflètent dans les positions des partis sur la mobilité et l’immigration : Vox véhicules les idées d’une Espagne “à grande échelle” (post-impériale) et “à plus petite échelle” (rurale) dans son orientation politique, tandis que Chega s’écarte des idées de désirabilité économique.

Vox et Chega, même s’ils ne sont pas ouvertement eurosceptiques, sont au moins eurocritiques. Selon ces partis, il existe un lien entre les élites supranationales, avec des programmes dits « globalisants » et des idéologies « progressistes » et « woke », ainsi que les «  politiques d’ouverture irresponsables » qui encouragent l’immigration « illégale », « incontrôlée » et « massive ».

L’anti-immigration est un élément essentiel du scénario populiste de droite radicale, bien que les deux partis considèrent qu’un certain degré d’immigration est acceptable, voire souhaitable. Chega préconise une sélection fondée principalement sur la demande de main-d’œuvre, et Vox ajoute un élément nostalgique, avec une préférence pour les immigrants provenant de l’« Ibéro-sphère », avec une langue, une culture et une ancestralité partagées du fait de la colonisation passée (Vox 2023 : 101). La sécurisation, le chauvinisme social, la défense des valeurs traditionnelles et la méfiance à l’égard des non-nationaux, en particulier celles et ceux de confession musulmane, sont sans surprise des éléments présents dans les discours de Vox et de Chega.

L’émigration régionale et nationale est également une préoccupation des deux formations politiques. Vox aborde la question sous l’angle de la dépopulation et des inégalités sociales et territoriales qui, selon le discours du parti, découlent d’un processus par lequel « l’Espagne rurale » se vide, découlant des « politiques anti-campagne » (ibid., p. 147) et renforcé par les mouvements indépendantistes. Contre l’exode rural, Vox prescrit des politiques natalistes et des incitations à rester sur place qui ciblent les jeunes.

Chega porte un double regard nostalgique sur l’émigration nationale. D’une part, le chômage et les bas salaires sont perçus comme des « catastrophes sociales » entraînant la fuite des cerveaux et limitant la liberté économique : « Les jeunes sont moins libres que ne l’étaient leurs parents ou leurs grands-parents » (Chega 2024 : 62) ; en d’autres termes, le passé était meilleur. D’autre part, la diaspora constitue un « atout » pour l’économie portugaise et sa fibre morale est exaltée. La proposition de Chega de créer un ministère dédié à la diaspora agrandiraut la nation portugaise – au lieu de 10 millions, le Portugal est considéré comme ayant 15 millions d’habitants -, ce qui rappelle la propagande impérialiste de Salazar dans les années 1930 : « Le Portugal n’est pas un petit pays ».

Un populisme sur mesure

The examples of variations in migration narratives with a focus on country-specific issues, provided by Vox and Chega, suggest that the success of PRR parties is not just about how appealing the ideology may be to predisposed demographics but also relies on the malleability of the PRR script itself.

Vox et Chega utilisent à la fois l’immigration et l’émigration pour adapter une idéologie PDR plus large aux angoisses spécifiques de leur public national. Ces partis n’adoptent pas seulement une position anti-immigration avec des mises en garde façonnées par l’héritage historique et le contexte national, mais ils diagnostiquent également un malaise social et politique qui associe la question de l’émigration à leurs objectifs idéologiques et programmatiques.

Les exemples de variations dans les récits migratoires, avec un accent sur les questions spécifiques à chaque pays, fournis par Vox et Chega, suggèrent que le succès des partis populistes de droite radicale ne dépend pas seulement de l’attrait idéologique pour des groupes démographiques prédisposés, mais aussi de la malléabilité du script PDR lui-même.


Note: Cette contribution est tiré d’une note de blog faisant partie d’une série sur l’essor du populisme de droite radicale. Elle a été éditée par Robin Stähli.

Références:

 

Image: flickr.com

 

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