L’Italie définissant les tendances de la droite radicale européenne : Le succès de Fratelli d’Italia

Fratelli D’Italia (FdI), le principal parti populiste de droite radicale (PDR) italienne, est devenu un modèle pour les mouvements d’extrême-droite en Europe après son succès aux élections italiennes de 2022. Le parti a réussi à se présenter comme élément nouveau du contexte du populisme de droite radicale. Ses principaux combats – la lutte contre la gauche politique au sens large et ses « idéologies dangereuses », contre le changement et la diversité, ainsi que le culte de la sécurité comme solution à tous les défis contemporains – ont séduit le public italien.

Le parti a réussi à tirer parti du profond mécontentement, de la méfiance et de la nostalgie d’une grande partie de la population italienne, du Nord au Sud. Avec le FdI au pouvoir, son discours se traduit désormais en des politiques réactionnaires concrètes qui sapent les droits de l’Homme et l’État de droit dans tout le pays. En outre, l’influence et la sympathie croissantes de Meloni au niveau de l’UE suscitent des inquiétudes compréhensibles quant aux précédents que cette dynamique pourrait créer et à ses implications pour la gouvernance de l’UE.

Lutte contre les élites nationales traditionnelles : les échecs de “la gauche”

Pourquoi Fratelli D’Italia est-il considéré comme un parti populiste de droite radicale ? C’est un parti nativiste, ce qui signifie que son idéologie considère l’identité nationale italienne comme une communauté unique et strictement homogène partageant une histoire commune, un héritage culturel spécifique et des valeurs traditionnelles. Son discours s’articule autour d’une méfiance manifeste à l’égard des élites nationales dominantes. Il est notamment hostile à une « gauche » généralisée (la Sinistra), considérée comme incompétente, corrompue, désintéressée et détachée des luttes quotidiennes du citoyen italien moyen.

Selon le parti, la « gauche » en général a contribué à la radicalisation de la société avec la création d’idéologies « dangereuses » telles que le “wokisme”, le politiquement correct, le multiculturalisme ainsi que ce qu’il définit comme « l’environnementalisme idéologique » et « l’idéologie extrémiste LGBTQ+ ». Ses membres affirment également que les élites dominantes ont « européanisé » l’Italie, abandonnant les objectifs nationaux au nom d’intérêts supranationaux au niveau de l’UE.

Il est important de souligner que si le FdI a gagné en influence et en popularité au niveau de l’UE – grâce à un réseau efficace entre les partis PDR et à une reconnaissance accrue au sein des institutions européennes telles que la Commission européenne, dont la présidente a montré une certaine affinité avec la Première ministre Meloni et son programme – il continue d’exprimer son hostilité à l’égard de l'”européanisation”, la présentant comme une menace pour les intérêts nationaux, qu’il déclare être sa priorité.

Suivre le leader

L’hostilité à l’égard des élites traditionnelles s’étend également au gouvernement central et à sa bureaucratie, jugée inefficace, inefficiente et lente. En réponse, le parti Fratelli D’Italia propose une alternative plus « efficace » : le présidentialisme, qui permettrait l’élection directe du chef de l’État, donnant au président une prétention inquiétante à la légitimité démocratique. Les expert-es ont montré comment le présidentialisme renforce les pratiques de glorification d’un leader unique courantes en Amérique latine, connues sous le nom de « personalismo ». Des études ont également souligné que le présidentialisme et sa forte dépendance à l’égard des qualités personnelles d’un-e dirigeant-e politique peuvent être risqués et conduire à des démocraties très instables.

Le changement et la diversité comme menaces

Les minorités du pays font également l’objet d’une profonde méfiance et les personnes qui semblent participé à sa diversité sont souvent qualifiées d’« immigré-es ». Fratelli D’Italia utilise le terme « immigré » pour désigner les individus et les groupes racialisés, en particulier ceux d’origine africaine et moyen-orientale. Par conséquent, ils catégorisent non seulement les personnes immigrées, mais aussi toutes celles qui leur ressemblent.

Il est donc essentiel de comprendre que la menace décrite dans le discours de FdI sur l’immigration n’est pas la migration en elle-même, mais plutôt la diversité et l’« altérité » qu’elle représente. La migration est instrumentalisée pour justifier l’hostilité à l’égard de l’Autre : ce n’est pas le mouvement des personnes qui est en cause, mais la diversité potentielle ou existante qui l’accompagne.

En avril 2023, lors du congrès de la Confédération italienne des syndicats autonomes, l’actuel Ministre de l’agriculture, Francesco Lollobrigida, a fait une déclaration très controversée: « Les Italien-nes font moins d’enfants, donc nous les remplaçons par d’autres », en faisant référence aux enfants d’étrangers. Il a ajouté : « Oui à l’aide à la natalité, non au remplacement ethnique ». Cette déclaration fait écho à la théorie suprématiste blanche du Grand Remplacement, qui prétend à tort l’existence d’un plan secret visant à remplacer les Blancs par l’immigration, un récit qui a été utilisé pour commettre des horreurs contre les personnes racialisées et discriminées tout au long de l’Histoire.

La rhétorique de Fratelli D’Italia fait clairement écho à celle de l’Italie fasciste et, de la même manière, son idéologie craint la diversité et le changement, symbolisés par la figure de la personne en déplacement, de l’étranger. Elle révèle une profonde nostalgie pour un passé imaginé où la diversité était absente. Cette fixation sur l’étranger en tant que menace pour la nation a des conséquences évidentes : elle provoque l’hostilité du public à l’égard de l’immigration, qui se traduit ensuite par des politiques de plus en plus répressives.

Parmi les autres violations des droits de l’Homme commises à l’encontre des migrant-es et des ressortissant-es italien-nes, le gouvernement de Fratelli D’Italia a introduit le décret “Cutro”, une politique qui annule le droit à une protection spéciale pour les migrant-es. Ce droit s’applique aux personnes gravement malades, vulnérables ou risquant d’être exposées à la violence et à la torture dans leur pays d’origine.

Le culte du Dieu de la sécurité et de ses apôtres, les forces de police

Le parti Fratelli D’Italia met l’accent sur la sécurité dans son discours et ses actions. Lors de l’adoption d’un de ses décrets sur la sécurité, Giorgia Meloni a remercié le gouvernement « pour le travail que vous faites chaque jour pour défendre (…) la sécurité, la liberté et, à mon avis, sans sécurité il n’y a pas de liberté, il n’y a pas de croissance économique, il n’y a pas de protection sociale ». La sécurité est présentée comme une solution à tous les défis contemporains : dans un monde de volatilité et d’instabilité, une promesse de sécurité et de protection peut sembler particulièrement attrayante.

Le gouvernement de Meloni crée la tendance en utilisant la rhétorique de la crise pour légitimer des mesures exceptionnelles au nom de la sécurité. Le décret sur la sécurité mentionné plus haut a été considéré comme problématique par de nombreux-ses analystes politiques. Dans la législation italienne, un décret législatif permet au gouvernement d’utiliser le pouvoir législatif en cas de crise et d’urgence, un pouvoir généralement réservé au Parlement dans les démocraties.

Au nom de la sécurité, le gouvernement de Meloni a alourdi les peines pour certains délits et en a créé de nouveaux, comme la criminalisation de l’organisation et de la participation à des barrages routiers, une mesure clairement destinée à lutter contre les actions de protestation des groupes de défense du climat. Parallèlement, il a alloué 1,5 milliard d’euros aux forces armées, à la police et aux pompiers, tout en réduisant le financement des universités dans un pays où la recherche, et plus généralement l’éducation, sont déjà gravement sous-financées.

Des réactionnaires fiers: Un modèle en Europe et au-delà

Fratelli D’Italia et ses membres ont réussi à présenter le réactionnisme et l’extrémisme de droite comme une source de fierté. Leur discours a contribué à légitimer davantage la rhétorique réactionnaire basée sur des croyances racistes et sexistes au nom de la « tradition » et de la préservation des « vraies valeurs nationales ».

Le populisme du FdI a été salué comme modèle par certains dirigeants de partis PDR, comme Andrè Ventura de Chega, et des dirigeants populistes d’extrême-droite du monde entier, comme le président argentin Javier Milei et le premier ministre indien Narendra Modi, ont également exprimé leur soutien à la Première ministre Meloni.

Au niveau de l’UE, la dirigeante de Fratelli D’Italia, Mme Meloni, s’est efforcée de créer des alliances, malgré son scepticisme à l’égard du projet européen, en s’engageant auprès des gouvernements les plus autoritaires, comme celui de Viktor Orbán. Cela a effectivement légitimé l’approbation de ces régimes au sein de l’Union européenne. Ces pratiques pourraient créer des précédents que les institutions de l’UE pourraient regretter dans un avenir proche.


Références:

  • Donà, A. (2022). The rise of the Radical Right in Italy: the case of Fratelli d’Italia. Journal of Modern Italian Studies27(5), 775-794.
  • Linz, J. J. (1990). The perils of presidentialism. Journal of democracy1(1), 51-69.
  • Marino A. & de Athouguia Filipe S. (2024, April 25). The Security Obsession of Southern European Radical Right Populism and its Implications at the European Union level. We Challenge.
  • Puleo, L., Carteny, G., & Piccolino, G. (2024). Giorgia on their minds: Vote switching to Fratelli d’Italia in the Italian general election of 2022. Party Politics, 0(0).
  • Samaras, G. (2024, May 20). ‘The new Ursula’: How von der Leyen learned to stop worrying and love Meloni. Euronews.

Remarque: cette contribution est tirée d’une note de blog faisant partie d’une série sur l’essor du populisme de droit radicale. Elle a été éditée par Robin Stähli.

Image: unsplash.com

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