Une décennie couronnée de succès pour le parti de droite populiste en Allemagne

L’Alternative pour l’Allemagne (AfD), fondée en février 2013, a débuté comme un mouvement eurosceptique et a élargi sa base pour contester plus globalement la politique migratoire. En l’espace d’une décennie, l’AfD a gagné en popularité dans tous les États fédéraux en obtenant un nombre important de voix aux élections régionales, nationales et européennes parmi tous les groupes d’âge. D’abord considéré comme un vote de protestation contre les partis établis, de plus en plus de sympathisant-es affirment aujourd’hui qu’ils et elles votent pour l’AfD par conviction. L’attrait exercé par ce parti sur les jeunes électeurs lors des dernières élections européennes a contraint les partis démocratiques à se poser une question délicate : Comment le populisme est-il devenu si populaire ?

Les partis de droite populiste progressent dans toute l’Europe, et l’Allemagne n’y fait pas exception. L’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le principal parti d’extrême droite du pays, a réalisé une percée lors des élections européennes de juin 2024, en obtenant 15,9 % des voix, soit environ un bulletin sur six. Ce succès a ébranlé l’establishment politique allemand. Les élections régionales en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg, où l’AfD a remporté respectivement 30.6 %, 32.8 % et 29.2 % des voix, ont été particulièrement surprenantes, signalant un changement d’attitudes des électeur-rices en faveur de l’extrême droite.  En 2025, le parti a réalisé un très bon score aux élections fédérales, atteignant la deuxième place juste derrière la CDU/CSU.

Ces chiffres remettent en question le stéréotype de l’électeur type de l’AfD, un homme blanc d’âge moyen. Le parti a désormais atteint le coeur de la société. Les résultats parmi les jeunes électeurs-rices sont particulièrement inquiétants : 16 % des électeurs-rices âgé-es de 16 à 24 ans ont soutenu l’extrême droite lors des dernières élections européennes. Les électeurs-rices, jeunes et moins jeunes, sont de plus en plus nombreux et nombreuses à déclarer soutenir l’AfD par conviction, ce qui reflète une évolution plus large de la société vers des opinions radicales. Pays longtemps considéré protégé du populisme de droite en raison de son passé particulier, la montée rapide de l’AfD en Allemagne prouve le contraire. Au-delà des implications pour le pays et l’Union européenne, il est essentiel de réfléchir aux raisons pour lesquelles des tranches importantes de la société se sentent représentées par un parti de droite populiste.

Rencontrer l’électorat jeune là où il se trouve

Depuis 2024, les jeunes Allemand-es de 16 et 17 ans peuvent voter aux élections européennes. Plus tôt dans l’année, la présidente du parlement fédéral allemand de l’époque, Bärbel Bas (Parti social-démocrate d’Allemagne), a déclaré que les écoles assumaient une responsabilité prépondérante de la transmission des valeurs démocratiques, en veillant à ce que « les élèves apprennent à ne pas se fier uniquement à TikTok ou YouTube pour s’informer et à faire la distinction entre l’information et les fake news ». Je soutiens que cette approche est problématique à deux égards.

Tout d’abord, Mme Bas ne reconnaît pas l’importance d’atteindre les jeunes là où ils et elles se trouvent. À l’ère du numérique, aucun parti démocratique ne peut se permettre d’être absent des médias sociaux, qui représentent aujourd’hui le principal moyen de communication, en particulier chez les jeunes. L’Alternative pour l’Allemagne exploite efficacement la nature rapide et polarisante du contenu en ligne, en créant une forte « offre de communication orientée vers les jeunes » par le biais de campagnes numériques (David Begrich, NDR, 2024).

Deuxièmement, dès l’école primaire, le système scolaire allemand divise les enfants en filières d’enseignement secondaire avec différentes spécialisations. Cette fragmentation se traduit par l’absence d’une stratégie cohérente pour éduquer les élèves à la politique et à la démocratie, ce qui empêche de supposer que tous les jeunes possèdent la même compréhension des systèmes politiques ou des contextes historiques nécessaires pour voter en connaissance de cause.

L’abaissement de l’âge du vote ne peut être bénéfique à la démocratie que s’il s’accompagne d’une réforme globale de l’éducation politique dans les écoles, et si les partis démocratiques réalisent que l’investissement dans une stratégie solide en matière de médias sociaux est essentiel pour mobiliser les jeunes électeurs et électrices.

Reconnaître l’influence persistante de l’héritage de la République démocratique allemande

L’expérience allemande de la Seconde Guerre mondiale a longtemps été considérée comme un facteur de dissuasion contre la résurgence des partis populistes de droite radicale ; cependant, l’impact de la dictature du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) n’a jamais été examiné comme un facteur potentiel de cette résurgence. Les récents résultats électoraux dans les États fédéraux de l’Est suggèrent qu’il est nécessaire d’explorer un lien entre le succès de l’AfD dans ces régions et l’héritage historique des anciens citoyens de la République démocratique allemande (RDA).

Des études établissent un lien entre la montée du populisme dans l’ancienne République démocratique allemande (RDA) et des problèmes socio-économiques tels que l’émigration des jeunes, la faible représentation des Allemands de l’Est dans les fonctions dirigeantes et les disparités de revenus qui persistent 35 ans après la réunification, tandis que les effets à long terme de la socialisation des citoyen-nes de l’ancienne RDA sur leurs attitudes politiques restent largement méconnus. Un récent policy paper de l’Institut Else-Frenkel-Brunswik fait état d’un mécontentement généralisé à l’égard de la démocratie, d’un sentiment d’impuissance politique et d’un désir de leadership autoritaire fort en Allemagne de l’Est. Je soutiens que les normes de l’ère socialiste continuent de façonner les convictions des Allemand-es de l’Est. L’héritage de la participation démocratique restreinte et de la censure sous le régime de la RDA a profondément affecté la perception de la liberté personnelle des Allemand-es de l’Est.

Toutefois, cette aspiration à la liberté n’a pas nécessairement favorisé le soutien à la démocratie libérale. Au contraire, elle a paradoxalement contribué à l’attraction de la rhétorique de droite populiste . Cette méfiance à l’égard des institutions et la nostalgie d’un système répressif mais fiable contribuent à rendre les Allemand-es de l’Est plus réceptif-ves aux messages populistes efficacement exploités par l’AfD. Il est essentiel que les dirigeant-es politiques reconnaissent ce désir d’autonomie ancré dans l’histoire pour favoriser une politique plus inclusive.

Une communication politique efficace, c’est accomplir la moitié de ce qu’il reste à faire

Au cours de la dernière décennie, la stratégie de communication de l’Alternative pour l’Allemagne a permis de mobiliser efficacement son électorat alors que d’autres partis luttent pour récupérer les électeur-rices d’extrême droite. Des déclarations comme celle de Lars Klingbeil, du parti social-démocrate, qui a exhorté « toutes les personnes raisonnables […] à s’exprimer [contre l’AfD] », mettent en lumière un problème clé de la communication politique moderne. Il est devenu courant de qualifier les partisan-nes des partis d’extrême droite de « déraisonnables », de traiter leurs choix politiques avec condescendance et de renforcer la dichotomie « nous contre eux » qui établit une distinction entre les « vrais démocrates » et celles et ceux qui sont jugés irrationnel-les.

Bien que l’AfD, classée comme parti d’extrême droite présumé, représente une menace évidente, il est important de ne pas l’assimiler à son électorat. Le véritable défi pour la démocratie libérale est de réengager les électeur-rices de droite populiste et de les encourager à adopter une perspective politique plus modérée. Malgré l’urgence, les stratégies visant à mobiliser et à « déradicaliser » ces électorats restent largement sous-explorées. Une étude réalisée en 2023 par l’Institut de recherche pour la cohésion sociale (FGZ) révèle que les partis établis se concentrent souvent sur la formation d’alliances contre l’AfD plutôt que sur la compréhension des motivations des électeur-rices.

Alors que les partis populistes exploitent les bouleversements sociaux et le mécontentement, il est essentiel de développer des stratégies de communication efficaces qui répondent aux préoccupations des électeur-rices d’extrême droite, regagnent leur confiance et leur permettent de se rapprocher du centre du spectre politique, à l’abri de tout reproche. La tolérance est une valeur qui s’opère dans les deux sens et les politicien-nes allemand-es doivent s’engager auprès de l’électorat d’extrême droite s’ils-elles veulent sauvegarder la démocratie. Faute de quoi, ils et elles risquent de s’aliéner complètement des pans entiers de la société.


Remarque : Cette contribution est tirée d’une note de blog faisant partie d’une série sur l’essor du populisme de droite radicale. Elle a été éditée par Robin Stähli.

Références

Image: unsplash.com

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