L’abondance d’information politique en lien avec la digitalisation des médias affecte la manière dont les votant·e·s s’informent sur la politique. D’un côté, la nature algorithmique de la distribution de l’information digitale génère une forme d’exposition sélective à l’information politique. En effet, les individus sont exposés à des environnements informationnels différents selon leurs historiques de recherches et leurs intérêts. De l’autre, l’abondance d’informations signifie davantage d’opportunités pour les individus de sélectionner une information congruente avec leurs prédispositions politiques. Ce biais de confirmation mène à une attention sélective à l’information conduisant les individus à porter davantage d’attention aux informations qui tendent à confirmer leurs opinions et moins à celles qui tendent à les questionner. Ensemble, l’exposition sélective et l’attention sélective créent un environnement informationnel qui amène les individus à être exposés et à porter leur attention sur des informations qui confirment leurs a priori, et à ne pas être exposés ou à éviter des celles qui les questionnent.
Dans cet article, nous étudions comment le biais de confirmation des individus impacte la recherche d’information et la perception de désinformation. Pour ce faire, nous nous basons sur les enquêtes d’opinion post votations du projet SDD21 dans lesquelles nous avons exposé les répondant·es à trois titres d’articles en rapport avec un objet de démocratie directe sur lequel ils et elles ont récemment pris une décision de vote. Les titres des articles sont choisis pour refléter une position par rapport à la votation – un article est favorable, un est défavorable et le dernier est neutre sur le sujet. Pour choisir ces titres, nous nous sommes inspirés d’articles qui ont été publiés pendant la campagne politique des différentes votations dans plusieurs quotidiens suisses et qui reflètent les arguments des camps favorables et défavorables sur les objets soumis au vote. Nous avons répété ce processus pour l’initiative sur la 13e rente AVS, l’initiative sur l’allégement des primes et l’initiative sur la biodiversité. Le Tableau 1 présente les différents titres d’articles auxquels les répondant·es ont été exposé·es pour ces trois objets.
Tableau 1: Titre des articles présentés dans les enquêtes d’opinion.
Après avoir présenté ces titres d’article aux répondant·e·s, nous leur avons demandé d’indiquer 1) quel est l’article qu’ils souhaiteraient le plus lire et 2) quel est, à leur avis, l’article qui contient le plus de désinformation.
La Figure 1 montre comment la sélection d’information par les individus est influencée par leur positions politiques. Pour les trois initiatives, les votant·es ayant soutenu l’initiative ont davantage tendance à sélectionner l’article contenant le titre qui y est favorable. Au contraire, les votant·es ayant voté contre le projet ont davantage tendance à sélectionner l’article avec un titre défavorable. Finalement, la part d’individus favorables et défavorables ayant choisi l’article neutre est entre la part ayant choisi l’article favorable et défavorable. En contrôlant pour l’objet et le choix de vote, nous calculons que les individus interrogés ont 74% de probabilité de sélectionner l’article qui contient des éléments soutenants leur décisions de vote, contre 26% de probabilité de choisir l’article qui va à l’encontre de leur décision. En tout, cela signifie que les individus interrogés ont 2.8 fois plus de chance de sélectionner l’article qui va dans la direction de leur décision de vote. En résumé, on voit que seulement une minorité sélectionne une information divergente de leurs prédispositions.
Figure 1: Préférence d’article selon la décision de vote pour les initiatives sur la 13e rente AVS, l’allègement des primes d’assurance maladie et la biodiversité.
La Figure 1 montre qu’il y a un lien entre le choix de vote et la sélection d’information, ce qui suggère que le biais de confirmation influence la sélection d’information des individus menant au phénomène d’attention sélective. L’attention sélective peut avoir des conséquences sur la manière dont les votant·es perçoivent la véracité des informations présentées dans des articles incongruents avec leurs prédispositions.
Pour évaluer les conséquences substantielles qu’entraîne l’attention sélective à l’information pour l’évaluation de la véracité des information présentées, nous avons demandé aux votant·es d’indiquer quel est, selon elles et eux, l’article qui contient le plus de désinformation.
Figure 2: Article contenant le plus de désinformation selon le choix de vote des individus pour les initiatives sur la 13erente AVS, l’allègement des primes d’assurance maladie et la biodiversité.
La Figure 2 montre que le choix de vote des individus est associé avec différentes perceptions de la désinformation d’articles congruents et incongruents avec leurs prédispositions. En effet, on voit que les votant·es ayant soutenu les initiatives représentent une large part des votant·es indiquant que l’article défavorable contient le plus de désinformation. À l’opposé, la Figure 2 indique qu’une majorité des individus indiquant que l’article favorable contient plus de désinformation ont voté contre les objets de votations. À l’aide d’un modèle statistique, nous trouvons que les individus interrogés on 2.45 fois plus de chance d’indiquer que l’article dont le titre ne concorde pas avec leur choix de vote contient de la désinformation. Au total, la probabilité d’indiquer que l’article congruent avec le choix de vote contient de la désinformation est de 29% contre 71% pour l’article incongruent avec le choix de vote.
Nos analyses montrent que l’attention des individus à l’information politique dépend de leur propre positionnement politique. Les votant·es ayant soutenu les initiatives ont davantage tendance à sélectionner des articles favorables, et les opposant·es aux initiatives sélectionnent davantage des articles qui s’opposent à l’initiative. Nos analyses montrent également que cela affecte aussi la perception de la véracité des informations présentées. En effet, les votant·es perçoivent les articles incongruents comme ayant davantage de désinformations que les articles congruents. L’alignement des comportements de vote avec la consommation d’information amène donc les individus à développer des environnements informationnels très différents. L’abondance du contenu médiatique disponible à l’ère numérique permet davantage de sélection d’information, ce qui amplifie le phénomène.
À l’attention sélective s’ajoute l’exposition sélective grandissante des individus, associée à la nature algorithmique de la diffusion d’information digitale. Ainsi, la transformation digitale de l’information politique amène des défis pour les démocraties. Non seulement les individus de différentes idéologies sélectionnent les informations selon leurs prédispositions, mais en plus, ils et elles sont davantage exposé·es à des informations congruentes, diminuant donc les questionnements idéologiques qu’une information incongruente pourrait générer. Ce contexte informationnel crée un environnement propice à la polarisation politique, notamment avec des électeurs et électrices constamment exposé·es et sélectionnant les informations qui confirment leurs a priori, et augmente la perception de désinformation des contenus qui entrent en contradiction avec leur positionnement politique. Cependant, les éléments constitutifs du biais de sélection sont liés à un positionnement politique claire sur les problématiques abordées. L’ambivalence des individus au début des campagnes politique pour les objets de votations populaire amène moins d’attention sélective. C’est lorsque l’opinion se cristallise que nos analyses indiquent que les individus ont entre 2 et 3 fois plus de chance de porter leur attention sur les informations politique qui tendent à confirmer leur position.
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