La crise du bien-être des jeunes est-elle due à la pandémie de COVID-19?

La santé mentale et le bien-être des jeunes pendant la pandémie de COVID-19 ont fait l’objet d’un vaste débat dans le domaine public. Au début de la pandémie, l’état de santé mentale des jeunes était représenté de manière particulièrement négative. Certains chercheurs et praticiens ont émis l’hypothèse que les jeunes faisaient face à une pandémie d’un autre genre, concernant cette fois-ci la santé mentale. Dans notre projet de recherche, nous avons examiné si ces prévisions funestes se sont avérées correctes, maintenant que la pandémie est terminée. Nous avons évalué les tendances en matière de bien-être durant les années précédant la pandémie pour voir si le déclin du bien-être des jeunes pendant la pandémie faisait partie en réalité d’une tendance de plus longue durée. Nous présentons nos résultats à la lumière des tendances récentes concernant divers indicateurs de santé mentale.

Le projet Covid Generation

Dans le cadre du vaste programme de financement «PNR – 80 Covid-19 et société» du Fonds national suisse (FNS), notre groupe de recherche a été chargé de comprendre comment la pandémie de Covid-19 a affecté le bien-être des jeunes. Pour atteindre cet objectif, nous utilisons les données du Panel suisse des ménages, une grande enquête menée auprès des ménages du pays – avec plus de 10 000 participants, dont près de 1500 personnes âgées de 14 à 25 ans.

Dans notre étude publiée récemment, nous avons constaté que les jeunes ont connu une baisse constante du bien-être tout au long de la période 2017-2022, ainsi qu’une augmentation du stress et des symptômes psychosomatiques. Ces tendances ont été plus défavorables chez les jeunes que dans d’autres tranches d’âge, les jeunes femmes ayant été particulièrement touchées. Cependant, elles n’ont pas été universelles sur ces indicateurs.

Par exemple, les baisses de l’affect positif et de la satisfaction dans la vie («En général, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre vie?») ont été relativement faibles, mais constantes, sur toute la période 2017-2022. La tendance était beaucoup plus variable pour l’affect négatif (par exemple, «À quelle fréquence ressentez-vous généralement des inquiétudes?»). Il est intéressant de noter que celui-ci a connu une forte augmentation au cours de la deuxième année de pandémie (entre l’automne 2020 et l’automne 2021), suivie d’une forte baisse à la fin de la pandémie (automne 2022). Cependant, la diminution de l’affect négatif après la pandémie n’a pas entièrement compensé l’augmentation précédente.

Des tendances similaires à celles de l’affect négatif ont été observées pour le sentiment de stress, de faiblesse et d’épuisement. Parmi les autres symptômes psychosomatiques, la proportion de jeunes signalant des problèmes de sommeil a augmenté sur l’ensemble de la période, passant de 35 % en 2017 à 44 % en 2022, la majeure partie de cette augmentation ayant déjà eu lieu avant la pandémie. Une proportion stable de participants a signalé des céphalées avant la pandémie, mais celles-ci ont augmenté par la suite, près de la moitié des personnes interrogées ayant connu ce trouble avant 2022.

Qu’en est-il des demandes de soutien à la santé mentale?

Il est important d’examiner si le déclin du bien-être coïncide avec une demande accrue de soutien à la santé mentale, ce afin de mieux comprendre les implications pour le fonctionnement humain. Cela inclut généralement les soins hospitaliers et ambulatoires, les médicaments et les (télé)consultations, ainsi que d’autres sources d’aide, telles que le développement personnel.

Les informations recueillies par l’Observatoire suisse de la santé montrent que les admissions psychiatriques ont augmenté davantage chez les jeunes que dans d’autres tranches d’âge, passant de 13,5 personnes pour 1000 habitants en 2018 à 15,7 en 2022 pour les 18-35 ans. Pendant la pandémie, nous avons observé une baisse des hospitalisations dans l’ensemble de la population, mais une augmentation drastique chez les femmes de moins de 20 ans. Il y a également eu un passage des consultations ambulatoires aux téléconsultations comparables à tous les âges. Les premières ont diminué de 23% et les deuxièmes ont plus que doublé lors du premier confinement , même si les téléconsultations sont restées relativement rares.

Même après la levée des restrictions, les téléconsultations restent élevées. Il reste donc à savoir, lorsque des données plus récentes seront disponibles, si cette forme de soutien à la santé mentale retrouvera ses niveaux d’avant la pandémie en Suisse. Les constats tirés des États-Unis, un autre pays qui s’appuie sur une assurance maladie privée, suggèrent qu’une demande accrue de téléconsultations en santé mentale pourrait constituer un changement permanent.

Les demandes de médicaments psychotropes ont augmenté pendant la pandémie, en particulier chez les jeunes. Malheureusement, nous n’avons pas connaissance d’éléments probants sur une tendance plus longue avant et après la pandémie en matière de consultations ambulatoires et d’administration de médicaments psychotropes, car ceux-ci ne sont généralement pas enregistrés dans les données de surveillance collectées systématiquement.

Bien-être pendant la pandémie et en période «normale»

Le bien-être des jeunes se dégrade depuis au moins quelques années. Pendant la pandémie, les jeunes ont été confrontés à des turbulences, ressentant initialement une forte augmentation des émotions négatives, du stress et divers symptômes psychosomatiques. Cependant, avec le temps, ils ont également fait preuve d’une certaine adaptation. En revanche, les jeunes femmes semblent avoir été touchées de manière disproportionnée par la pandémie. De plus, la nature des demandes d’aide a changé pendant la pandémie, les téléconsultations devenant de plus en plus fréquentes.

Le bien-être des jeunes était un sujet brûlant pendant la pandémie de COVID-19. Il semble toutefois que la pandémie ait été davantage une lentille grossissante, qui a attiré l’attention du public sur le problème, plutôt qu’un amplificateur d’un bien-être déjà bas. En d’autres termes, si l’on considère la tendance plus longue qui s’étend avant et après la pandémie, il semble y avoir un déclin constant et continu du bien-être. Après le ton initial alarmiste dans les médias, de nombreux rapports scientifiques et médiatiques récents indiquent que l’impact de la pandémie n’a pas été aussi néfaste que prévu, ce qui peut transmettre un message selon lequel «les choses ne vont pas si mal». Cela présente deux risques potentiels. Premièrement, ce message peut sous-estimer les conséquences négatives d’une baisse même à court terme du bien-être pendant la pandémie, qui peut être associée à des pertes sociales et économiques à court et à long terme. Deuxièmement, un tel récit détourne l’attention de la tendance négative plus longue qui indique la nécessité d’une action systémique plus large allant au-delà des interventions réactives à court terme orientées sur la crise.

En résumé, il ne suffit pas de prêter attention au bien-être des jeunes pendant une crise, comme la pandémie de COVID-19. Nous devons élaborer des stratégies systémiques à l’échelle de la population qui aideront les jeunes à s’épanouir et à être mieux préparés pour faire face aux défis actuels et futurs.


Image: unsplash.com

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