Monsieur Sciarini, pourquoi Beat Jans a gagné l’élection au Conseil fédéral?

L’Assemblée fédé­ral a élu le Con­seil fédé­ral pour les quat­re pro­chai­nes années. Les six Con­seil­lè­res fédé­ra­les et Con­seil­lers fédé­raux sortant-es ont assu­ré leur réélec­tion. Beat Jans suc­cé­de­ra à Alain Berset.

Pour­quoi Jon Pult a‑t-il récol­té si peu de voix?

Pas­cal Scia­ri­ni: Le fai­ble nombre de voix de Jon Pult s’explique, méca­ni­que­ment, par le nombre éle­vé de votes en faveur de Dani­el Jositsch. En effet, une par­tie de la droi­te – vrai­sem­bla­ble­ment UDC – n’a pas respec­té ce qu’elle a annon­cé fai­re, c’est-à-dire voter pour l’un des deux can­di­dats offi­ciels. Alors que Jon Pult a pu être jugé trop à gau­che ou trop pro-euro­péen, le pro­fil de socio-démo­cra­te plus cen­tris­te de Jositsch était plus accep­ta­ble pour la droi­te. De sur­croît, l’absence de réac­tion de sa part à l’issu du pre­mier tour lui a per­mis de con­ti­nu­er à engran­ger des voix aux deu­xiè­me et troi­siè­me tour.

À quel point le fait que Beat Jans vien­ne de Bâle, can­ton non repré­sen­té au Con­seil fédé­ral depuis long­temps, a‑t-il joué en sa faveur ?

Le fait que Bâle, troi­siè­me pôle éco­no­mi­que suis­se avec Zürich et l’arc léma­ni­que, n’ait pas été repré­sen­té depuis des décen­nies au Con­seil fédé­ral a joué dans l’élection de Beat Jans, tout com­me le fait qu’il s’agissait aus­si d’un can­di­dat urbain, pou­vant repré­sen­ter les vil­les suis­ses à l’Exécutif. Ces aspects font par­tie des paramè­tres pris en comp­te par les par­le­men­taires lors de l’élection, même s’il s’agit avant tout d’aspects sym­bo­li­ques : sur le plan pra­tique, Beat Jans ne pour­ra pas fai­re une poli­tique pour les régi­ons urbai­nes ou pour un can­ton en par­ti­cu­lier. En out­re, les règles de la col­lé­gia­li­té et le fait qu’il a été élu par d’autres par­tis que le sien le pla­cent au-des­sus de la mêlée, ce qui veut dire qu’il dev­ra se déta­cher en par­tie, une fois au Con­seil fédé­ral, de son éti­quet­te socia­lis­te tout com­me de son « ori­gi­ne » bâloise/urbaine.

Com­ment expli­quer la ten­dance récen­te de voir les par­tis bour­geois s’écarter des can­di­dats offi­ciels pré­sen­tés par le Par­ti socialiste ? 

Les « gesti­cu­la­ti­ons » d’hier relè­vent, selon moi, d’une démons­tra­ti­on de for­ce d’une par­tie de l’UDC. Cela n’est en revan­che pas nou­veau : en 1983, Otto Stich est pré­fé­ré à Lili­an Uch­ten­ha­gen et en 1993, la can­di­da­tu­re de Chris­tia­ne Brun­ner est refu­sée par la droi­te. C’est à la suite de ces deux évé­ne­ments que la pra­tique (infor­mel­le) du ticket s’est imposée.

Pen­sez-vous qu’à l’avenir cet­te ten­dance à sou­ten­ir des can­di­dat-es « out­si­ders » va se ren­forcer ? Y com­pris pour les par­tis de gau­che qui ne s’en tien­dront pas aux tickets des par­tis bourgeois ?

Néan­moins, il n’est pas exclu qu’à l’avenir, cet­te pra­tique soit plus sou­vent mal­me­née – qu’il s’agisse de can­di­dats pré­sen­tés par la gau­che ou la droi­te. Je pen­se que les gesti­cu­la­ti­ons poli­ti­ci­en­nes et l’agitation média­tique qui les accom­pagn­ent ont un carac­tè­re un peu exa­gé­ré et arti­fi­ciel : on ne par­le fina­le­ment que de l’attribution d’un seul siè­ge sur les sept que comp­te le Con­seil fédé­ral, sans abor­der des ques­ti­ons de fonds sur la mort de la con­cordance poli­tique et la frus­tra­ti­on que sus­ci­te la con­cordance arith­mé­tique. Est-ce que le sys­tème actu­el est ten­ab­le encore long­temps ? À quel moment le niveau de cris­pa­ti­ons – en par­ti­cu­lier ent­re l’UDC et le PS – devi­en­dra à tel point insur­mon­ta­ble qu’il sera impos­si­ble pour ces par­tis de gou­ver­ner ensem­ble ? La volon­té de ces par­tis « d’imposer » d’autres can­di­dats plus modé­rés que ceux pré­sen­tés par le camp adver­se illus­tre, selon moi, le besoin plus fon­da­men­tal de réflé­chir, à ter­me, à un Con­seil fédé­ral « cohé­rent », soit à majo­ri­té de cent­re-droi­te sans le PS ou bien, éven­tu­el­lement dans le futur, un gou­ver­ne­ment sans l’UDC. Mais il ne s’agit pour l’instant que d’une vue de l’esprit.

Alors que le siè­ge d’Ignazio Cas­sis allait être néces­saire­ment dis­pu­té par les Vert-es, le score très légè­re­ment supé­ri­eur obte­nu par sa col­lè­gue de par­ti Karin Kel­ler-Sut­ter lais­se pen­ser que son siè­ge n’était pas aus­si « sécu­ri­sé » que pré­vu. Quel­le est vot­re per­spec­ti­ve là-dessus ?

Les Verts avai­ent annon­cé qu’ils atta­quer­ai­ent le siè­ge d’Ignazio Cas­sis. Frus­trés d’avoir fait un pièt­re score avec la can­di­da­tu­re de Ger­hard And­rey, ils se sont visi­ble­ment repor­tés sur celui de Karin Kel­ler-Sut­ter, sans avoir aucu­ne chan­ce de l’obtenir. C’est assez usu­el dans ce type d’élection : si un‑e candidat‑e est mal élu‑e, son par­ti « lésés » bou­de les can­di­dat-es pré­sen­tés par les for­ma­ti­ons adver­ses, et ain­si de suite. Au final, tant que ces dyna­mi­ques ne remet­tent pas en cau­se l’élection du can­di­dat puis sa légiti­mi­té devant le Par­le­ment, ce sont des cho­ses que l’on oublie assez rapi­de­ment. Mal­gré tout, les manœu­vres obser­vées hier mon­t­rent que même une simp­le défi­ni­ti­on arith­mé­tique de la con­cordance devi­ent dif­fi­ci­le à respec­ter pour les par­tis gouvernementaux.

Con­sidé­rez-vous la nomi­na­ti­on de Vik­tor Ros­si, issu des rangs des Verts Libé­raux, au pos­te de Chan­ce­lier de la Con­fé­dé­ra­ti­on com­me la volon­té de l’Assemblée fédé­ra­le de contreb­a­lan­cer le carac­tè­re pola­ri­sé du Con­seil fédéral ?

Je ne crois pas qu’il s’a­gis­sait de contreb­a­lan­cer la pola­ri­sa­ti­on du Con­seil fédé­ral, mais plu­tôt de bar­rer la rou­te aux deux can­di­da­tures pré­sen­tées par l’UDC, qui comp­te déjà deux siè­ges au Con­seil fédé­ral. Une aut­re hypo­thè­se serait qu’on a con­so­lé le camp éco­lo­gis­te au sens lar­ge en leur octroyant la Chan­cel­le­rie. Il faut dans tous les cas rele­ver que la cou­leur poli­tique du Chan­ce­lier n’a fina­le­ment peu de por­tée sur les affai­res du Gou­ver­ne­ment, son devoir de réser­ve étant extrê­me­ment marqué.


Pas­cal Sciarini

Pas­cal Scia­ri­ni est Pro­fes­seur en poli­tique suis­se et poli­tique com­pa­rée au Dépar­te­ment de sci­ence poli­tique et rela­ti­ons inter­na­tio­na­les à l’Université de Genè­ve et Doy­en de la Facul­té des Sci­en­ces de la Socié­té. Ses recher­ches por­tent sur les pro­ces­sus légis­la­tifs, la démo­cra­tie direc­te, l’eu­ro­péa­ni­sa­ti­on de la Suis­se ain­si que la con­struc­tion de l’opinion et le com­por­te­ment élec­to­ral lors des vota­ti­ons et élec­tions. Il est l’au­teur du liv­re “Poli­tique suis­se. Insti­tu­ti­ons, acteurs pro­ces­sus.”, EPFL Press (2023), télé­char­ge­ab­le gratuitement.

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Source de l’image: www.parlament.ch

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