Mis sur pied dans le but de maintenir la diversité médiatique dans tout le pays, le paquet d’aide aux médias a été refusé dans les urnes le 13 février 2022. Cet article résume l’historique et le contenu du projet ainsi que la campagne et le résultat de la votation.
Historique
Depuis plusieurs années, le secteur médiatique vit une baisse constante des recettes publicitaires et une diminution des abonnements, ce qui aurait provoqué, depuis 2003, la disparition de plus de 70 journaux dans le pays. Pour faire face à ces difficultés, le Conseil fédéral présente en avril 2020 un projet en trois volets pour venir en aide aux médias. L’objectif principal du paquet est de garantir la survie des médias locaux, essentiels pour que la population soit au courant de ce qui se passe dans tout le pays, selon le Conseil fédéral.
Le paquet de mesures d’aide aux médias passe devant les chambres fédérales durant la pandémie de Covid-19, qui a mis en exergue le rôle essentiel des médias en termes d’information. Dans ce contexte, les élus augmentent de manière conséquente les aides prévues initialement. CHF 151 millions d’aide supplémentaire sont prévus chaque année par rapport à la situation qui prévalait auparavant. Alors que la gauche se range derrière le projet lors de chaque étape, les élu.e.s du Centre, des Vert’libéraux et du PLR se montrent plus indécis, oscillant entre les deux camps au fur et à mesure des discussions. L’aide directe aux médias en ligne les divise particulièrement. De son côté, la gauche souhaite l’augmenter, et l’UDC désire purement et simplement la rayer des mesures prévues. De manière générale, le parti ne soutient à aucun moment les propositions d’aide à la branche médiatique. Finalement, après de longs débats et de nombreuses modifications, le projet est validé par les deux conseils en juin 2021, à la suite d’une conférence de conciliation. Le Conseil national l’accepte par 115 voix contre 76 (6 abstentions) et le Conseil des États par 28 voix contre 10 (6 abstentions). Lors du vote final, les parlementaires UDC sont rejoints par une minorité de réfractaires issue du centre-droit.
Dans la foulée, un référendum est lancé par un comité formé d’éditeurs et de parlementaires de l’UDC, du PLR et du Centre, principalement alémaniques. Le comité bénéficie du soutien des « Amis de la Constitution », connus en raison de leur opposition aux mesures sanitaires durant la pandémie de Covid-19.
Contenu
Le premier volet du paquet prévoit d’augmenter les aides à la distribution, qui permettent aux journaux d’obtenir un rabais sur leurs frais de transport. Le montant alloué à la distribution des journaux en abonnement passe de CHF 30 à CHF 50 millions, et l’aide est étendue aux journaux à plus grand tirage. Une aide de CHF 40 millions est créée pour la distribution dominicale des journaux en abonnement. De plus, CHF 30 millions sont prévus pour la distribution de la presse associative, contre 10 auparavant. En outre, CHF 109 millions reviennent aux radios locales et télévisions régionales au bénéfice d’une concession (CHF 28 millions supplémentaires).
Pour ce qui est du second volet, CHF 28 millions sont alloués aux agences de presse, à la formation, aux organismes d’autorégulation et aux projets numériques, contre 5 auparavant.
Enfin, le troisième volet prévoit une enveloppe de CHF 30 millions pour les médias en ligne. Cette dernière ne s’adresse qu’aux médias en partie financés par le lectorat, et non aux offres gratuites.
Campagne
L’opposition au paquet d’aide aux médias provient principalement des milieux alémaniques de droite. Le comité référendaire fait valoir deux arguments principaux. D’une part, il brandit le spectre de médias contrôlés par l’État car dépendants de l’aide de ce dernier. Dans ce contexte, la parution d’une vidéo du CEO de Ringier déclarant vouloir soutenir le gouvernement pendant la crise du Covid-19 donne de l’eau au moulin des opposant.e.s. D’autre part, le camp du non se montre critique envers la décision d’étendre les aides à la distribution aux journaux à grand tirage. Les grands groupes de presse comme CH Media, Ringier et TX Group, qui possèdent plusieurs titres, n’ont nullement besoin d’aide supplémentaire, selon les opposant.e.s du paquet, dont le slogan est « non aux milliards des contribuables pour les millionnaires des médias ».
Face à cet argument, les partisan.e.s du paquet défendent la nécessité pour les médias locaux et indépendants de recevoir du soutien. La pluralité médiatique est une condition indispensable pour le fonctionnement de la démocratie, martèlent-ils. En outre, le Conseil fédéral souligne que les aides sont conçues de manière dégressive, afin que ce soient les médias de petite et moyenne taille qui en profitent le plus, et non les journaux à grand tirage. Le paquet d’aide aux médias est soutenu par les partis de la gauche et du centre (représentant 55% du poids électoral), à savoir le PS, les Vert.e.s, les Vert’libéraux et le Centre. En revanche, le PLR et l’UDC se prononcent contre l’objet, tout comme economiesuisse et l’USAM. Alors que les syndicats apportent leur soutien à l’objet, les associations de médias sont divisées. Par exemple, les associations principales des éditeurs de presse («Médias Suisses», «Schweizer Medien» et «Stampa Svizzera») sont en faveur du paquet, tandis que l’association suisse des médias régionaux s’y oppose. Cette dernière représente les journaux gratuits, qui ne font pas partie des bénéficiaires des aides prévues. Enfin, les gouvernements des cantons de Fribourg, des Grisons, du Tessin, de Neuchâtel et du Jura se prononcent en faveur de la loi sur les médias. C’est dans ces régions périphériques, où se trouvent des minorités linguistiques, qu’un soutien aux médias est le plus vital, plaident les partisan.e.s de l’objet durant la campagne.
Figure 1. Train de mesures en faveur des médias : Recommandations et résultats de la votation
Source: Swissvotes
L’analyse des annonces d’APS (Heidelberger/Bühlmann 2022) dépeint une longue campagne, dominée principalement par les annonces des partisan.e.s du paquet. Sans surprise, les opposant.e.s ont probablement misé sur d’autres canaux que les annonces dans la presse pour leur campagne. En outre, l’analyse médiatique du fög (2022) montre que le traitement de l’objet a penché en faveur du oui dans les médias (de manière plus prononcée en Romandie qu’en Suisse alémanique), mais dans une ampleur habituelle lorsqu’il s’agit d’un projet des autorités. Le nombre d’articles consacrés au paquet dans la presse se situe également dans la moyenne. Bien qu’ils soient directement concernés, les médias ne traitent donc pas le paquet de manière différente que d’autres objets soumis à votation.
Résultat
Le 13 février 2022, le paquet d’aide aux médias est refusé par 54.6 pour cent des votant.e.s. La participation s’élève à 44.1 pour cent. De manière générale, presque tous les cantons alémaniques rejettent l’objet, tout comme le Tessin et la partie romanche des Grisons. Le refus est particulièrement marqué dans les cantons de Schwyz, Thurgovie, Saint-Gall et les deux Appenzell (moins de 40 pour cent de oui). À l’inverse, la Suisse romande se prononce en faveur du paquet d’aide. Le soutien le plus fort se trouve dans les cantons du Jura et de Neuchâtel, qui acceptent le paquet à plus de 63 pour cent.
Figure 2. Votation du 13.02.2022 sur un train de mesures en faveur des médias, résultat par district
Source: Office fédérale de la statistique
L’analyse VOX (gfs.bern 2022) montre que les arguments de la répartition des subventions, de la perte d’indépendance des médias vis-à-vis de l’État ainsi que du bon fonctionnement du marché sans intervention publique ont été particulièrement efficaces. Sans surprise, ce sont les milieux conservateurs et favorables au libéralisme économique qui se sont le plus fortement opposé à l’objet.
Remarque : cet article a été rédigé pour la base de données Swissvotes. L’original ainsi que de nombreuses informations complémentaires sur l’objet de la votation peuvent être téléchargés sur https://swissvotes.ch/vote/654.
Citation recommandée : Mathias Buchwalder (2023) : Pas de bouée de sauvetage pour les médias : le parlement désavoué dans les urnes. Swissvotes – la base de données des votations fédérales. En ligne : www.swissvotes.ch. Téléchargé le [date].
Références:
- Buchwalder, Mathias, Marlène Gerber et Christian Gsteiger (2023). Sélection d’articles sur la politique suisse : Massnahmenpaket zur Förderung der Medien (BRG 20.038), 2020–2022. Berne : Année Politique Suisse, Institut de science politique, Université de Berne. www.anneepolitique.swiss, téléchargé le 17.1.2023.
- fög (2022). Abstimmungsmonitor zu den Vorlagen vom 13. Februar 2022, Schlussbericht vom 11. Februar 2022. Zurich : Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft der Universität Zürich.
- gfs.bern (2022). Analyse VOX février 2022. Complément d’enquête et analyse sur les votations populaires du 13 février 2022. Berne : gfs.bern.
- Heidelberger, Anja, et Marc Bühlmann (2022). APS-Zeitungs- und Inserateanalyse zu den Abstimmungen vom 13. Februar 2022. Zwischenstand vom 3.2.2022. Berne : Année Politique Suisse, Institut für Politikwissenschaft der Universität Bern.
- Explications du Conseil fédéral sur la votation du 13.2.2022 (brochure explicative). Publiées par la Chancellerie fédérale.
- Bulletins officiels du Conseil national et du Conseil des Etats (objet 20.038).
- Feuille fédérale : FF 2020 4385. FF 2021 2795. FF 2022 895.
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