Comment les urgences de santé publique précédentes peuvent-elles nous aider à comprendre les restrictions de voyage liées au COVID-19 ?

Avant même le début de la pan­dé­mie de COVID-19, les recher­ches sur les restric­tions à la mobi­li­té dans le con­tex­te des urgen­ces de san­té publi­que avai­ent déjà mis en évi­dence quel­ques infor­ma­ti­ons clés. Nous savons, par exemp­le, que les restric­tions de voya­ge sont moti­vées par des con­sidé­ra­ti­ons épi­dé­mio­lo­gi­ques, diplo­ma­ti­ques et éco­no­mi­ques, qu’elles pro­vo­quent des per­tur­ba­ti­ons majeu­res et que les dif­fé­ren­tes com­mu­n­au­tés met­tent en place des restric­tions simi­lai­res, qui ont par­fois duré plus long­temps que l’ur­gence, laquel­le elles étai­ent cen­sées con­tenir. Il sem­ble donc important de se deman­der com­ment ces con­nais­san­ces pour­rai­ent être uti­li­sées grâce aux nou­vel­les sources de don­nées dans le but de com­prend­re l’im­pact de la pan­dé­mie de COVID-19 sur la gou­ver­nan­ce de la mobi­li­té, de la migra­ti­on et de la citoy­enne­té.

Tous les gou­ver­ne­ments du mon­de ont intro­du­it des restric­tions à la mobi­li­té humai­ne (c’est-à-dire à la cir­cu­la­ti­on des per­son­nes à tra­vers et à l’in­té­ri­eur des fron­tiè­res natio­na­les) en répon­se à la pan­dé­mie de COVID-19. Si ces restric­tions con­sti­tuai­ent un phé­nomè­ne mon­dial, elles n’é­tai­ent en aucun cas uni­for­mes à l’é­chel­le mon­dia­le. Au con­tr­ai­re, ils vari­ai­ent con­sidé­ra­ble­ment ent­re les États et au sein de ceux-ci, ain­si qu’au fil du temps. Dans une note de recher­che publiée dans l’In­ter­na­tio­nal Migra­ti­on Review, nous sou­ten­ons que l’é­chel­le mon­dia­le et la varia­ti­on des restric­tions de mobi­li­té liées au COVID-19 peu­vent ouvrir de nou­vel­les voies pour la recher­che sci­en­ti­fi­que socia­le. Les pre­miè­res étu­des sur les restric­tions se sont con­cen­trées sur leurs effets épi­dé­mio­lo­gi­ques et leur impact sur les sché­mas de dépla­ce­ment humain. En revan­che, nos résul­tats sug­gè­rent que la varia­ti­on mon­dia­le des restric­tions en tant que tel­les et ses impli­ca­ti­ons pour les « régimes de mobi­li­té mon­dia­le » (les cad­res juri­di­ques et poli­ti­ques pro­du­i­sant des oppor­tu­ni­tés iné­ga­les de voya­ger à tra­vers et à l’in­té­ri­eur des fron­tiè­res des États) sont éga­le­ment import­an­tes en elles-mêmes.

Que pouvons-nous apprendre des urgences de santé publique précédentes ?

La recher­che sur les restric­tions de mobi­li­té intro­du­i­tes lors de pré­cé­den­tes urgen­ces de san­té publi­que a géné­ré cinq infor­ma­ti­ons clés.

1. Pen­dant les pan­dé­mies, les pays limi­tent les mou­ve­ments humains non seu­le­ment en répon­se à l’é­vo­lu­ti­on de l’é­pi­dé­mio­lo­gie mon­dia­le, mais éga­le­ment en fonc­tion d’au­tres cri­tè­res, notam­ment des con­sidé­ra­ti­ons diplo­ma­ti­ques et éco­no­mi­ques.

2. Dif­fé­ren­tes com­mu­n­au­tés ont ten­dance à uti­li­ser des mes­u­res glo­ba­le­ment simi­lai­res pour rédu­i­re la mobi­li­té humai­ne pen­dant les urgen­ces de san­té publi­que.

3. Les restric­tions de voya­ge intro­du­i­tes pen­dant les pan­dé­mies pro­vo­quent des per­tur­ba­ti­ons éco­no­mi­ques import­an­tes dans les com­mu­n­au­tés tou­chées.

4. Les restric­tions à la mobi­li­té ont sou­vent été accom­pa­gnées d’excep­ti­ons pour des grou­pes spé­ci­fi­ques d’in­di­vi­dus en fonc­tion de leur sta­tut juri­di­que ou pro­fes­si­onnel.

5. Les restric­tions ont par­fois duré plus long­temps que l’ur­gence, laquel­le elles étai­ent cen­sées con­tenir, créant de nou­vel­les caté­go­ries de voya­geurs dési­ra­bles et indé­si­ra­bles.

Ces résul­tats de recher­che anté­ri­eurs nous ont con­vain­cus d’étu­dier davan­ta­ge les restric­tions de voya­ge intro­du­i­tes pen­dant la pan­dé­mie de COVID-19 afin d’a­mé­lio­rer encore not­re com­pré­hen­si­on de la mobi­li­té, de la migra­ti­on et de la gou­ver­nan­ce de la citoy­enne­té. Nous pro­po­sons donc cinq pis­tes de recher­che pour exami­ner ces restric­tions dans le con­tex­te de la pan­dé­mie de COVID-19. Dans cha­que cas, nous four­nis­sons un exemp­le illus­tra­tif du type d’ana­ly­se qui pour­rait être fait.

Moteurs des restrictions de mobilité

La varia­ti­on mon­dia­le des restric­tions de mobi­li­té sou­lè­ve la ques­ti­on de savoir pour­quoi dif­férents gou­ver­ne­ments ont fait des choix poli­ti­ques dif­férents en répon­se à la pan­dé­mie. Les moteurs de ces choix pour­rai­ent inclu­re, par exemp­le, des préoc­cup­a­ti­ons médi­ca­les et épi­dé­mio­lo­gi­ques (par exemp­le, le nombre de cas dans les pays cibles), l’i­déo­lo­gie du par­ti (par exemp­le, les gou­ver­ne­ments libé­raux peu­vent être plus réti­cents à rest­reind­re la mobi­li­té), des alli­an­ces trans­na­tio­na­les (par exemp­le, le com­mer­ce for­mel et les accords de mobi­li­té ent­re les pays peu­vent limi­ter l’in­tro­duc­tion d’in­ter­dic­tions de voya­ger réci­pro­ques), l’ap­pren­tis­sa­ge des poli­ti­ques (par exemp­le, l’ex­pé­ri­ence d’é­pi­dé­mies pré­cé­den­tes com­me le SRAS, le MERS ou Ebo­la), la struc­tu­re du gou­ver­ne­ment (par exemp­le, les pays fédé­raux peu­vent être plus lents à intro­du­i­re des restric­tions), et la poli­tique éco­no­mi­que (par exemp­le, le recours aux travailleur.se.s migrant.e.s peut obli­ger les États à ne pas rest­reind­re la mobi­li­té fon­dée sur la main-d’œu­vre). En out­re, les règles de mobi­li­té natio­na­les et inter­na­tio­na­les sont sou­vent dic­tées par dif­férents ensem­bles d’at­ten­tes et de dyna­mi­ques poli­ti­ques.

Figu­re 1. Le moment de la pre­miè­re restric­tion de mobi­li­té inter­na­tio­na­le intro­du­i­te, cor­ré­lé à l’i­déo­lo­gie du par­ti et au niveau de démo­cra­tie (pays de l’UE et de l’AELE)

Source : Éla­bo­ra­ti­on per­son­nel­le basée sur Cheng et al. 2020 ; Cop­pedge et al. 2021 ; Lühr­mann et al. 2020 ; Pic­co­li et al. 2020b.

Modèles de convergence et de divergence des politiques

Les chercheur.se.s en poli­tique com­pa­rée peu­vent trou­ver des modè­les de con­ver­gence et de diver­gence des poli­ti­ques en explorant la dif­fu­si­on des poli­ti­ques inter­na­tio­na­les au fil du temps. Par exemp­le, en juin 2020, la plu­part des États ont rest­reint l’en­trée, mais seuls quel­ques-uns ont déployé des mes­u­res de san­té publi­que (tel­les qu’un test ou un dépis­ta­ge) com­me con­di­ti­ons de fran­chis­se­ment des fron­tiè­res. En juin 2021, le nombre d’in­ter­dic­tions de voya­ger a dimi­n­ué, tan­dis que le nombre de mes­u­res de san­té publi­que régle­men­tant l’en­trée a con­sidé­ra­ble­ment aug­men­té.

Figu­re 2. Évo­lu­ti­on des restric­tions sur les voya­ges inter­na­tion­aux par type ent­re mars 2020 et octob­re 2021

Source : Éla­bo­ra­ti­on prop­re basée sur IOM (2021).

La légalité des restrictions de mobilité

La por­tée et la durée des restric­tions de mobi­li­té liées au COVID-19 sou­lè­vent des ques­ti­ons quant à leur com­pa­ti­bi­li­té avec les nor­mes juri­di­ques prée­xi­s­tan­tes auto­ri­sant les dépla­ce­ments humains. L’ar­ti­cle 12(4) du Pac­te inter­na­tio­nal rela­tif aux droits civils et poli­ti­ques, par exemp­le, sti­pu­le que “nul ne sera arbi­tr­ai­re­ment pri­vé du droit d’en­trer dans [son] prop­re pays”. Cepen­dant, cer­tains pays, dont l’Aus­tra­lie et le Maroc, ont empê­ché leurs pro­p­res citoy­ens d’en­trer sur leur ter­ri­toire, agis­sant ain­si poten­ti­el­lement en vio­la­ti­on de leurs obli­ga­ti­ons inter­na­tio­na­les en matiè­re de droits humains. La recher­che juri­di­que pour­rait éga­le­ment éva­lu­er si la mise en œuvre des restric­tions à la mobi­li­té inter­ne est con­sti­tu­ti­on­nel­le, c’est-à-dire dans quel­le mes­u­re un tel acte serait com­pa­ti­ble avec les nor­mes con­sti­tu­ti­on­nel­les natio­na­les limitant la por­tée des pou­voirs du gou­ver­ne­ment et pro­té­ge­ant les droits fon­da­men­taux, tels que les liber­tés d’as­so­cia­ti­on et de réuni­on.

Continuité et changement dans la politique migratoire mondiale

Les restric­tions de mobi­li­té liées au COVID-19 ne visai­ent pas tous les indi­vi­dus de maniè­re uni­for­me, mais leur effet était res­sen­ti assez dif­fé­rem­ment selon les pays d’o­ri­gi­ne et les sta­tuts juri­di­ques des indi­vi­dus (citoyen.ne, résident.e tem­por­ai­re, demandeur.se d’a­si­le, etc.). De cet­te maniè­re, les restric­tions illus­trent une ten­dance plus lar­ge dans les poli­ti­ques migra­toires con­tem­porai­nes, qui fonc­tion­nent com­me un méca­nisme de sélec­tion basé sur des carac­té­ris­ti­ques simi­lai­res. Par exemp­le, une éva­lua­ti­on des travailleur.se.s migrant.e.s exempté.e.s des fer­me­tures de fron­tiè­res inter­na­tio­na­les — com­me le per­son­nel médi­cal, le per­son­nel des trans­ports ou les travailleur.se.s agri­co­les — pour­rait explo­rer les ten­dan­ces dans la com­pré­hen­si­on de la migra­ti­on de main-d’œu­vre «essen­ti­el­le» pen­dant la pan­dé­mie.

Figu­re 3. Évo­lu­ti­on des excep­ti­ons aux restric­tions de voya­ge inter­na­tio­nal ent­re novembre 2020 et novembre 2021

Source : Éla­bo­ra­ti­on prop­re basée sur IOM (2021).

Citoyenneté et droits de mobilité internationale

Avant la pan­dé­mie, le droit de fran­chir les fron­tiè­res des États était étroi­te­ment lié à la citoy­enne­té d’u­ne per­son­ne, avec des droits de mobi­li­té inter­na­tio­na­le beau­coup plus grands tra­di­ti­on­nel­lement accor­dés aux citoyen.ne.s des États du Nord. Les restric­tions de mobi­li­té liées au COVID-19 sou­lè­vent des ques­ti­ons con­cer­nant l’im­por­t­ance con­ti­nue de la citoy­enne­té pour les droits de mobi­li­té inter­na­tio­na­le pen­dant la pan­dé­mie, par exemp­le, si les citoyen.ne.s étai­ent tou­jours autorisé.e.s à retour­ner dans leur pays d’o­ri­gi­ne et si la citoy­enne­té des États du Nord glo­bal con­ti­nu­ait de garan­tir les droits de mobi­li­té inter­na­tio­na­le de gran­de enver­gu­re.

Figu­re 4. Le déclin rela­tif du nombre de pays aux­quels les titu­lai­res de pas­se­ports sélec­tion­nés pou­vai­ent accé­der sans visa

Source : Éla­bo­ra­ti­on prop­re basée sur Rec­chi et al. 2020 et Pic­co­li et al. 2020a.

Que pouvons-nous apprendre de cette recherche ?

Ensem­ble, ces cinq pis­tes de recher­che peu­vent fai­re pro­gres­ser not­re com­pré­hen­si­on des effets d’u­ne urgence de san­té publi­que sur les régimes de mobi­li­té mon­dia­le. Nous encou­ra­ge­ons donc for­te­ment les chercheur.se.s à étu­dier davan­ta­ge les restric­tions de mobi­li­té intro­du­i­tes lors de la pan­dé­mie de COVID-19 et à expli­quer leurs motifs, leur évo­lu­ti­on dans le temps, leur léga­li­té, leur rela­ti­on avec les con­trô­les de mobi­li­té prée­xi­s­tants, ain­si que les effets iné­gaux qu’ils ont eu sur dif­férents grou­pes de voyageur.se.s. Cet­te urgence de san­té publi­que off­re une occa­si­on sans pré­cé­dent d’ex­ami­ner ces restric­tions à la mobi­li­té, comp­te tenu à la fois de la por­tée et de la varia­ti­on mon­dia­les des restric­tions impo­sées et de la rich­es­se des don­nées dis­po­nibles les cap­turant.

Cet­te recher­che est une col­la­bo­ra­ti­on ent­re GLOBALCIT, le Migra­ti­on Poli­cy Cent­re et le nccr – on the move et est simul­ta­né­ment publiée sur ces pla­te­for­mes. Ce blog a été tra­du­it de l’ang­lais en français.

Loren­zo Pic­co­li est cher­cheur au Migra­ti­on Poli­cy Cent­re, Euro­pean Uni­ver­si­ty Insti­tu­te.

Jele­na Dzan­kic est pro­fes­seur à temps par­ti­el à GLOBALCIT, Insti­tut uni­ver­si­taire euro­péen.

Didier Rue­din est maît­re d’enseignement et de recher­che à l’Uni­ver­si­té de Neu­châ­tel et chef de pro­jet au nccr – on the move.

Timo­thy Jacob-Owens est cher­cheur en début de car­ri­è­re à la facul­té de droit d’Éd­im­bourg de l’Uni­ver­si­té d’Éd­im­bourg.

Source: Unsplash.com

 

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