Comment choisir entre les Vert-e‑s et les Socialistes?

Pour les électeurs/trices, il est dif­fi­ci­le de choi­sir ent­re deux par­tis idéo­lo­gi­que­ment très pro­ches. Not­re étu­de mont­re que la com­pé­tence des par­tis sur cer­tai­nes thé­ma­ti­ques, tel­le que per­çue par les électeurs/trices, peut faci­li­ter ce choix.

Selon les pré­dic­tions des thé­o­ries clas­si­ques du “vote d’en­jeu”, les électeurs/trices dev­rai­ent voter pour le par­ti le plus pro­che de leur opi­ni­on per­son­nel­le. Par exemp­le, un‑e citoy­en-ne opposé‑e à l’im­mi­gra­ti­on dev­rait se tour­ner vers un par­ti tel que l’UDC, qui mili­te pour une restric­tion de l’im­mi­gra­ti­on. Ce méca­nisme expli­que une gran­de par­tie du choix de vote des indi­vi­dus. Cepen­dant, il n’est pas app­li­ca­ble à la con­cur­rence ent­re le PS et les Vert-e‑s, car ces deux par­tis, tout com­me leurs électeur/trices, par­t­agent des posi­ti­ons très simi­lai­res sur la plu­part des enjeux. Dans ce cas par­ti­cu­lier, il est donc très dif­fi­ci­le pour les électeurs/trices de baser leur vote sur le cri­tè­re de pro­xi­mi­té avec le par­ti. Mais alors, com­ment les per­son­nes qui hési­tent ent­re le PS et les Vert-e‑s font-elles pour choi­sir ent­re les deux?

Not­re hypo­thè­se géné­ra­le est que la com­pé­tence des par­tis sur les grands pro­blè­mes de l’heu­re, tel­le qu’el­le est per­çue par les citoy­en-nes, joue un rôle cru­cial dans ce choix. Plus con­crè­te­ment, nous par­tons de l’i­dée qu’à défaut de pou­voir dépar­ta­ger les deux par­tis sur la base de leur posi­ti­on sur les enjeux, les électeurs/trices vont se tour­ner vers celui qu’ils/elles jugent com­me étant le plus à même de résoud­re un pro­blè­me don­né. Par exemp­le, un‑e votant‑e qui est, com­me le PS ou les Verts, favor­able à une aug­men­ta­ti­on des dépen­ses socia­les, aura ten­dance à voter pour le PS si il/elle con­sidè­re que ce par­ti est le plus com­pé­tent en matiè­re de poli­tique socia­le. On par­le alors d’un vote selon la “pos­ses­si­on de l’en­jeu” (“issue owners­hip voting”). La per­cep­ti­on de com­pé­tence des par­tis sur les princi­paux enjeux dépend évi­dem­ment de la répu­ta­ti­on que ces par­tis sont par­ve­nus – ou non – à con­strui­re au cours du temps sur les enjeux en ques­ti­on. Selon nos hypo­thè­ses plus spé­ci­fi­ques, les Vert-e‑s dev­rai­ent sur­tout pro­fi­ter de leur répu­ta­ti­on de com­pé­tence sur la thé­ma­tique envi­ron­ne­men­ta­le, tan­dis que le PS dev­rait plu­tôt pro­fi­ter de leur répu­ta­ti­on en matiè­re de poli­tique sociale.

Quant aux résul­tats, notons pour com­men­cer que cha­cun des deux par­tis “pos­sè­de” com­me on pou­vait s’y attendre son thè­me de pré­dilec­tion: envi­ron 80% de l’élec­to­rat poten­ti­el de la gau­che per­ço­it le PS com­me le par­ti le plus com­pé­tent sur le social; et 80% per­ço­it les Vert-e‑s com­me le par­ti le plus com­pé­tent sur l’en­vi­ron­ne­ment. A l’in­ver­se, ces deux par­tis souf­frent cha­cun d’u­ne fai­ble répu­ta­ti­on de com­pé­tence sur la thé­ma­tique qui est “pos­sé­dée” par son con­cur­rent direct: seu­le­ment 3% de l’élec­to­rat poten­ti­el de la gau­che per­ço­it les Vert-e‑s com­me le par­ti le plus com­pé­tent sur le social et seu­le­ment 4% tend à pen­ser que le PS déti­ent les mei­lleu­res solu­ti­ons sur l’en­vi­ron­ne­ment. De maniè­re plus sur­pren­an­te, même si les pro­por­ti­ons pré­ci­tées restent rela­ti­ve­ment sta­bles dans les mois qui pré­cè­dent l’élec­tion, au niveau agré­gé, on obser­ve de nombreux chan­ge­ments de per­cep­ti­on au niveau indi­vi­du­el: selon les résul­tats de nos enquê­tes, une pro­por­ti­on non nég­li­ge­ab­le de votant-e‑s potentiel/les de gau­che ont chan­gé d’a­vis sur cet­te ques­ti­on pen­dant la cam­pa­gne de 2019, c’est-à-dire qu’il/elles ont con­sidé­ré le PS le plus com­pé­tent en début de cam­pa­gne et les Vert-e‑s à la fin, ou inversement. 

Pour reve­nir au cœur de not­re ana­ly­se, c’est-à-dire la ques­ti­on du choix de vote pour le PS ou pour les Vert-e‑s, nos résul­tats con­fir­ment lar­ge­ment nos atten­tes. D’un côté, et tou­te cho­se éga­le par ail­leurs, les électeur/trices de gau­che qui, tout au long de la cam­pa­gne élec­to­ra­le, per­çoiv­ent les Vert-e‑s com­me le par­ti le plus com­pé­tent sur l’en­vi­ron­ne­ment ont plus ten­dance à voter pour les Vert-e‑s que pour le PS. A cet effet géné­ral, s’a­jou­tent des effets dyna­mi­ques dus à la cam­pa­gne: les électeurs/trices qui, au cours de la cam­pa­gne, modi­fient leur per­cep­ti­on de com­pé­tence sur l’en­vi­ron­ne­ment en faveur des Vert-e‑s ten­dent à voter pour ce par­ti, alors qu’el­les disai­ent initia­le­ment vou­loir voter pour un aut­re par­ti ou s’ab­stenir. D’un aut­re côté, nous obser­vons des effets simi­lai­res pour le PS en ce qui con­cer­ne la thé­ma­tique socia­le: les per­son­nes qui con­sidè­rent le PS com­me le par­ti le plus com­pé­tent en matiè­re socia­le tout au long de la cam­pa­gne, ou qui acquiè­rent cet­te per­cep­ti­on en cours de cam­pa­gne, ont eu ten­dance à voter pour ce par­ti. Ceci vaut par­mi les per­son­nes qui disai­ent initia­le­ment vou­loir voter pour les Vert-e‑s ou s’ab­stenir, mais pas par­mi les per­son­nes qui avai­ent initia­le­ment expri­mé une inten­ti­on de vote en faveur d’un aut­re par­ti. Autre­ment dit, les Vert-e‑s ont davan­ta­ge pro­fi­té de leur répu­ta­ti­on de com­pé­tence sur l’en­vi­ron­ne­ment que le PS a pro­fi­té de sa répu­ta­ti­on de com­pé­tence sur le social.

Ces résul­tats con­fir­ment l’i­dée selon laquel­le la per­cep­ti­on de com­pé­tence des par­tis sur cer­tains enjeux, ain­si que les dyna­mi­ques de per­cep­ti­on de com­pé­tence durant la cam­pa­gne élec­to­ra­le, aident l’élec­to­rat poten­ti­el de la gau­che à se déci­der. Dans le cas d’e­spè­ce, l’im­por­t­ance con­sidé­ra­ble des enjeux rela­tifs au chan­ge­ment cli­ma­tique durant la cam­pa­gne des élec­tions fédé­ra­les de 2019 a sans con­tes­te con­tri­bué au suc­cès des Vert-e‑s – un suc­cès dont on sait par ail­leurs – et not­re ana­ly­se le con­fir­me – qu’il a été en par­tie acquis au détri­ment du PS.

Cela étant dit, et con­tr­ai­re­ment à not­re intui­ti­on initia­le, les posi­ti­ons des électeurs/trices en matiè­re de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et en matiè­re de poli­tique socia­le ont éga­le­ment joué un rôle dans le choix en faveur de l’un ou l’aut­re par­ti: les poten­tiels électeur/trices de gau­che qui sont très for­te­ment en faveur de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ont davan­ta­ge voté pour les Vert-e‑s que pour le PS, tan­dis que les électeur/trices poten­tiels de gau­che qui sont très for­te­ment en faveur des dépen­ses socia­les ont davan­ta­ge voté pour le PS que pour les Vert-e‑s.

En résu­mé, not­re étu­de con­fir­me que les per­cep­ti­ons de com­pé­tence des par­tis sur cer­tai­nes thé­ma­ti­ques aident les citoy­en-ne‑s à se déci­der ent­re les deux grands par­tis de gau­che, le PS et les Vert-e‑s, mais elle mont­re aus­si que ce n’est pas le seul cri­tè­re con­sidé­ré par les votant/es. Bien que ces deux par­tis soi­ent idéo­lo­gi­que­ment et pro­gram­ma­ti­que­ment très pro­ches l’un de l’aut­re, ces deux par­tis restent – par­ti­el­lement – dif­férents aux yeux des votant-e‑s, qui se ser­vent aus­si de ces dif­fé­ren­ces de posi­ti­on pour les départager.

Don­nées et méthodes
Pour cet­te étu­de, nous avons uti­li­sé les don­nées de son­da­ge Selects (enquê­te élec­to­ra­le suis­se) de 2019. Les mêmes indi­vi­dus ont été inter­ro­gés avant, pen­dant, et après la cam­pa­gne. Ces don­nées dîtes “panel” per­met­tent d’ob­ser­ver les dyna­mi­ques d’o­pi­ni­ons et de choix de vote. Les résul­tats pré­sen­tés dans ce post pro­vi­en­nent d’u­ne ana­ly­se sta­tis­tique qui esti­me la pro­ba­bi­li­té de voter pour le PS ou les Vert-e‑s en fonc­tion des per­cep­ti­ons de com­pé­tence sur dif­fé­ren­tes thé­ma­ti­ques. Com­me nous éti­ons intéres­sés aux élec­teurs qui hési­tent ent­re ces deux par­tis, les ana­ly­ses ont été uni­que­ment con­du­i­tes par­mi l’élec­to­rat poten­ti­el de la gau­che, c’est-à-dire par­mi les per­son­nes qui s’i­ma­gi­nent pou­voir voter pour le PS ou pour les Verts. Il faut aus­si noter que les modè­les sta­tis­ti­ques con­trô­lent les autres expli­ca­ti­ons usu­el­les du choix de vote.

Réfé­rence:

Image: Pixa­by, Gerd Altmann 

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