1

Comment choisir entre les Vert-e‑s et les Socialistes?

Adrien Petitpas, Pascal Sciarini
30th August 2022

Pour les électeurs/trices, il est difficile de choisir entre deux partis idéologiquement très proches. Notre étude montre que la compétence des partis sur certaines thématiques, telle que perçue par les électeurs/trices, peut faciliter ce choix.

Selon les prédictions des théories classiques du "vote d'enjeu", les électeurs/trices devraient voter pour le parti le plus proche de leur opinion personnelle. Par exemple, un-e citoyen-ne opposé-e à l'immigration devrait se tourner vers un parti tel que l'UDC, qui milite pour une restriction de l'immigration. Ce mécanisme explique une grande partie du choix de vote des individus. Cependant, il n'est pas applicable à la concurrence entre le PS et les Vert-e-s, car ces deux partis, tout comme leurs électeur/trices, partagent des positions très similaires sur la plupart des enjeux. Dans ce cas particulier, il est donc très difficile pour les électeurs/trices de baser leur vote sur le critère de proximité avec le parti. Mais alors, comment les personnes qui hésitent entre le PS et les Vert-e-s font-elles pour choisir entre les deux?

Notre hypothèse générale est que la compétence des partis sur les grands problèmes de l'heure, telle qu'elle est perçue par les citoyen-nes, joue un rôle crucial dans ce choix. Plus concrètement, nous partons de l'idée qu'à défaut de pouvoir départager les deux partis sur la base de leur position sur les enjeux, les électeurs/trices vont se tourner vers celui qu'ils/elles jugent comme étant le plus à même de résoudre un problème donné. Par exemple, un-e votant-e qui est, comme le PS ou les Verts, favorable à une augmentation des dépenses sociales, aura tendance à voter pour le PS si il/elle considère que ce parti est le plus compétent en matière de politique sociale. On parle alors d'un vote selon la "possession de l'enjeu" ("issue ownership voting"). La perception de compétence des partis sur les principaux enjeux dépend évidemment de la réputation que ces partis sont parvenus – ou non – à construire au cours du temps sur les enjeux en question. Selon nos hypothèses plus spécifiques, les Vert-e-s devraient surtout profiter de leur réputation de compétence sur la thématique environnementale, tandis que le PS devrait plutôt profiter de leur réputation en matière de politique sociale.

Quant aux résultats, notons pour commencer que chacun des deux partis "possède" comme on pouvait s'y attendre son thème de prédilection: environ 80% de l'électorat potentiel de la gauche perçoit le PS comme le parti le plus compétent sur le social; et 80% perçoit les Vert-e-s comme le parti le plus compétent sur l'environnement. A l'inverse, ces deux partis souffrent chacun d'une faible réputation de compétence sur la thématique qui est "possédée" par son concurrent direct: seulement 3% de l'électorat potentiel de la gauche perçoit les Vert-e-s comme le parti le plus compétent sur le social et seulement 4% tend à penser que le PS détient les meilleures solutions sur l'environnement. De manière plus surprenante, même si les proportions précitées restent relativement stables dans les mois qui précèdent l'élection, au niveau agrégé, on observe de nombreux changements de perception au niveau individuel: selon les résultats de nos enquêtes, une proportion non négligeable de votant-e-s potentiel/les de gauche ont changé d'avis sur cette question pendant la campagne de 2019, c'est-à-dire qu'il/elles ont considéré le PS le plus compétent en début de campagne et les Vert-e-s à la fin, ou inversement.     

Pour revenir au cœur de notre analyse, c'est-à-dire la question du choix de vote pour le PS ou pour les Vert-e-s, nos résultats confirment largement nos attentes. D'un côté, et toute chose égale par ailleurs, les électeur/trices de gauche qui, tout au long de la campagne électorale, perçoivent les Vert-e-s comme le parti le plus compétent sur l'environnement ont plus tendance à voter pour les Vert-e-s que pour le PS. A cet effet général, s'ajoutent des effets dynamiques dus à la campagne: les électeurs/trices qui, au cours de la campagne, modifient leur perception de compétence sur l'environnement en faveur des Vert-e-s tendent à voter pour ce parti, alors qu'elles disaient initialement vouloir voter pour un autre parti ou s'abstenir. D'un autre côté, nous observons des effets similaires pour le PS en ce qui concerne la thématique sociale: les personnes qui considèrent le PS comme le parti le plus compétent en matière sociale tout au long de la campagne, ou qui acquièrent cette perception en cours de campagne, ont eu tendance à voter pour ce parti. Ceci vaut parmi les personnes qui disaient initialement vouloir voter pour les Vert-e-s ou s'abstenir, mais pas parmi les personnes qui avaient initialement exprimé une intention de vote en faveur d'un autre parti. Autrement dit, les Vert-e-s ont davantage profité de leur réputation de compétence sur l'environnement que le PS a profité de sa réputation de compétence sur le social.

Ces résultats confirment l'idée selon laquelle la perception de compétence des partis sur certains enjeux, ainsi que les dynamiques de perception de compétence durant la campagne électorale, aident l'électorat potentiel de la gauche à se décider. Dans le cas d'espèce, l'importance considérable des enjeux relatifs au changement climatique durant la campagne des élections fédérales de 2019 a sans conteste contribué au succès des Vert-e-s – un succès dont on sait par ailleurs – et notre analyse le confirme – qu'il a été en partie acquis au détriment du PS.

Cela étant dit, et contrairement à notre intuition initiale, les positions des électeurs/trices en matière de protection de l'environnement et en matière de politique sociale ont également joué un rôle dans le choix en faveur de l'un ou l'autre parti: les potentiels électeur/trices de gauche qui sont très fortement en faveur de la protection de l'environnement ont davantage voté pour les Vert-e-s que pour le PS, tandis que les électeur/trices potentiels de gauche qui sont très fortement en faveur des dépenses sociales ont davantage voté pour le PS que pour les Vert-e-s.

En résumé, notre étude confirme que les perceptions de compétence des partis sur certaines thématiques aident les citoyen-ne-s à se décider entre les deux grands partis de gauche, le PS et les Vert-e-s, mais elle montre aussi que ce n'est pas le seul critère considéré par les votant/es. Bien que ces deux partis soient idéologiquement et programmatiquement très proches l'un de l'autre, ces deux partis restent – partiellement – différents aux yeux des votant-e-s, qui se servent aussi de ces différences de position pour les départager.

Données et méthodes
Pour cette étude, nous avons utilisé les données de sondage Selects (enquête électorale suisse) de 2019. Les mêmes individus ont été interrogés avant, pendant, et après la campagne. Ces données dîtes "panel" permettent d'observer les dynamiques d'opinions et de choix de vote. Les résultats présentés dans ce post proviennent d'une analyse statistique qui estime la probabilité de voter pour le PS ou les Vert-e-s en fonction des perceptions de compétence sur différentes thématiques. Comme nous étions intéressés aux électeurs qui hésitent entre ces deux partis, les analyses ont été uniquement conduites parmi l'électorat potentiel de la gauche, c'est-à-dire parmi les personnes qui s'imaginent pouvoir voter pour le PS ou pour les Verts. Il faut aussi noter que les modèles statistiques contrôlent les autres explications usuelles du choix de vote.


Référence:

Image: Pixaby, Gerd Altmann