Accorder le statut de pays candidate à l’Ukraine: plus qu’un geste symbolique

De nombreux obser­va­teurs ont qua­li­fié la décisi­on d’ac­cor­der à l’U­krai­ne le sta­tut de can­di­dat à l’UE de sym­bo­li­que, signi­fi­ca­ti­ve uni­que­ment dans la mes­u­re où elle réi­tè­re le sou­ti­en de l’UE à l’U­krai­ne. D’au­tres ont noté qu’au-delà de cet­te val­eur sym­bo­li­que, cet­te décisi­on n’au­ra aucu­ne con­sé­quence immé­dia­te pour le pays.

L’an­non­ce fai­te lors du Con­seil Euro­péen du 23 juin était effec­ti­ve­ment très sym­bo­li­que pour l’U­krai­ne en cet­te péri­ode de guer­re. Mais ce n’est qu’u­ne par­tie de l’his­toire. L’i­dée erro­née que le sta­tut de can­di­dat à l’ad­hé­si­on n’a qu’u­ne val­eur pure­ment sym­bo­li­que peut s’ex­pli­quer en par­tie par le ton des décla­ra­ti­ons euro­péen­nes sur l’é­lar­gis­se­ment, et en par­tie par la rapi­di­té inha­bi­tu­el­le du pro­ces­sus de can­di­da­tu­re initi­al. Pour­tant, la réa­li­té est qu’il y a d’im­port­ants effets finan­ciers, stra­té­giques et logis­ti­ques pour un pays voi­sin d’êt­re éle­vé au sta­tut d’É­tat candidat.

L’in­ter­pré­ta­ti­on symbolique

Sur le plan rhé­to­ri­que, les décla­ra­ti­ons de l’UE sur l’é­lar­gis­se­ment a évo­lué ces der­niè­res années vers un dis­cours de plus en plus iden­ti­taire, et fon­dé sur les val­eurs Euro­péen­nes, en pré­sen­tant l’ad­hé­si­on com­me une réa­li­sa­ti­on des idéaux euro­péens et une réuni­on des peu­ples euro­péens. Les récen­tes com­mu­ni­ca­ti­ons des respons­ables de l’UE sur la deman­de d’ad­hé­si­on de l’U­krai­ne ont été lour­des en lan­ga­ge sym­bo­li­que, souli­gnant que les Ukrai­ni­ens appar­ti­en­nent à la famil­le euro­péen­ne, qu’ils défen­dent les val­eurs euro­péen­nes et qu’ils nous rap­pel­lent l’im­por­t­ance de l’UE en tant que pro­jet de paix.

La pré­si­den­te de la Com­mis­si­on euro­péen­ne, Ursu­la von der Ley­en, a par exemp­le décla­ré que “les Ukrai­ni­ens sont prêts à mour­ir pour la per­spec­ti­ve euro­péen­ne” et “nous vou­lons qu’ils vivent avec nous le rêve euro­péen”. Ce sont des mots forts et per­cu­tants de sou­ti­en à l’U­krai­ne, mais ils n’en­ga­gent pas l’UE dans l’é­lar­gis­se­ment, ce qui est la défi­ni­ti­on même d’un ges­te symbolique.

S’ap­pu­yant sur ces dis­cours iden­ti­taires fon­dés sur les val­eurs euro­péen­nes, le pro­ces­sus d’oc­troi du sta­tut de can­di­dat à l’U­krai­ne a été con­clu en un peu plus de trois mois, ce qui est extrê­me­ment rapi­de et auda­cieux par rap­port au pro­ces­sus par lequel sont pas­sés les autres États can­di­dats actu­els. Pour les pays des Bal­kans, il a fal­lu de deux ans (Ser­bie, Macé­doi­ne du Nord et Mon­té­né­gro) à plus de cinq ans (Alba­nie) et de mul­ti­ples séries de nou­vel­les ques­ti­ons pour obtenir la recom­man­da­ti­on de la Com­mis­si­on pour le sta­tut de candidat.

Ce long man­que d’en­ga­ge­ment envers les pays des Bal­kans a été expli­qué par un rai­son­ne­ment fon­dé sur le méri­te : ces pays n’é­tai­ent tout sim­ple­ment pas prêts à com­men­cer à négo­cier avec l’UE. La gran­de accé­lé­ra­ti­on du pro­ces­sus de can­di­da­tu­re initia­le par l’U­krai­ne fait paraît­re la recom­man­da­ti­on sym­bo­li­que en com­pa­rai­son, car l’U­krai­ne, de tou­te évi­dence, n’est pas plus avan­cée en ter­mes de réfor­mes inter­nes et de con­ver­gence avec les nor­mes de l’UE qu’el­le ne l’é­tait il y a six mois, alors qu’au­cu­ne dis­cus­sion sur l’ad­hé­si­on n’é­tait sur la table.

Mais alors que l’i­den­ti­té et les val­eurs euro­péen­nes sont en jeu, l’UE doit tenir sa pro­mes­se de pro­té­ger ses pro­p­res idéaux en inté­grant l’U­krai­ne dans ce com­bat, sachant très bien que la rapi­di­té avec laquel­le la recom­man­da­ti­on de can­di­da­tu­re a été accor­dée n’é­quivaut pas à une accé­lé­ra­ti­on du pro­ces­sus d’ad­hé­si­on pro­pre­ment dit. Une fois de plus, il s’a­git là seu­le­ment d’in­ten­ti­ons, sans enga­ge­ment réel en faveur de l’ad­hé­si­on de l’U­krai­ne à court terme.

Davan­ta­ge d’ai­de finan­ciè­re et structurelle

Cepen­dant, et sans dimi­nu­er l’im­por­t­ance fon­da­men­ta­le des décla­ra­ti­ons sym­bo­li­ques en diplo­ma­tie, ce serait une err­eur de limi­ter la por­tée de cet­te annon­ce au seul aspect sym­bo­li­que. Main­ten­ant que l’U­krai­ne a obte­nu le sta­tut de can­di­dat, beau­coup de cho­ses vont réel­lement chan­ger pour le pays en ter­mes d’as­si­s­tance finan­ciè­re et insti­tu­ti­on­nel­le.

Tout d’a­bord, l’U­krai­ne se ver­ra garan­tir une aug­men­ta­ti­on importan­te des trans­ferts de fonds annu­els de l’UE. Depuis sep­tembre 2017, l’Ac­cord d’As­so­cia­ti­on de l’U­krai­ne con­sti­tue la base des rela­ti­ons bila­té­ra­les du pays avec l’UE. Celui-ci four­nit une aide à la fois finan­ciè­re et insti­tu­ti­on­nel­le en vue de la moder­ni­sa­ti­on et de la réfor­me de la struc­tu­re juri­di­que et régle­men­taire de l’U­krai­ne dans les domai­nes cou­verts par l’acquis.

Dans le cad­re de l’ac­cord d’as­so­cia­ti­on, l’Ukrai­ne a reçu une aide de 141 mil­li­ons d’eu­ros pour 2021. À tit­re de com­pa­rai­son, la même année, la Ser­bie, un État can­di­dat beau­coup moins peu­plé, a reçu un peu plus de 122 mil­li­ons d’eu­ros par le biais de l’in­stru­ment d’ai­de de préad­hé­si­on (IAP). Si l’U­krai­ne devait rece­voir un niveau de finan­ce­ment simi­lai­re pro­por­ti­on­nel­lement à sa popu­la­ti­on, cela cor­re­spondrait à envi­ron six fois le mon­tant de l’ai­de par an.

Deu­xiè­me­ment, l’U­krai­ne béné­fi­cie­ra désor­mais d’u­ne coo­pé­ra­ti­on inter­in­sti­tu­ti­on­nel­le et trans­fron­ta­liè­re plus étroi­te pour cibler les cinq princi­paux objec­tifs et fenê­tres thé­ma­ti­ques de l’IAP (État de droit, bon­ne gou­ver­nan­ce, dura­bi­li­té, com­pé­ti­ti­vi­té et coo­pé­ra­ti­on régio­na­le). Ces objec­tifs repré­sen­tent les princi­pa­les cibles du pro­ces­sus de con­di­ti­onnali­té, qui vise à assu­rer la con­ver­gence des États can­di­dats avec les nor­mes de l’UE.

En d’au­tres ter­mes, les pays can­di­dats peu­vent comp­ter sur les con­seils et la struc­tu­re des insti­tu­ti­ons euro­péen­nes pour iden­ti­fier les domai­nes qui doiv­ent être amé­lio­rés avant l’ad­hé­si­on et pro­gres­ses dans l’ap­p­li­ca­ti­on des cri­tè­res. Ain­si, un pro­gram­me de réfor­me plus effi­cace peut être con­çu et mis en œuvre, avec pour résul­tat une véri­ta­ble per­spec­ti­ve européenne.

Rien ne chan­ge mais tout est différent

La décisi­on rapi­de d’ac­cor­der à l’U­krai­ne le sta­tut de can­di­dat repré­sen­te un chan­ge­ment dans la maniè­re dont l’UE a mené le pro­ces­sus d’é­lar­gis­se­ment depuis la chu­te du mur de Ber­lin. Le con­flit en Ukrai­ne n’est pas la pre­miè­re guer­re à fai­re rage aux fron­tiè­res de l’UE. Tout au long des années 1990, les États des Bal­kans occi­den­taux étai­ent éga­le­ment en guer­re et sol­li­ci­tai­ent l’ai­de et la soli­da­ri­té de l’UE. Mais cela n’a pas inci­té l’UE à prend­re des mes­u­res accé­lé­rées pour inté­grer ces pays. Plus de 20 ans plus tard, ces pays ne font tou­jours pas par­tie de l’UE, et leur pro­ces­sus d’ad­hé­si­on pei­ne à avancer.

Cet­te fois, l’UE a choi­si de fai­re les cho­ses dif­fé­rem­ment. En accordant le sta­tut de can­di­dat à l’U­krai­ne au début de la cri­se, les diri­ge­ants euro­péens ont envoyé un signal aux impli­ca­ti­ons réel­les et pro­fon­des. Ce n’est pas une pro­mes­se d’ad­hé­si­on accé­lé­rée. Mais c’est un ges­te sym­bo­li­que à un moment où l’U­krai­ne a besoin que l’Eur­o­pe pren­ne posi­ti­on en son nom, et qui lui appor­te­ra en plus un sou­ti­en finan­cier et struc­tu­rel réel et dura­ble dans sa quê­te vers l’ad­hé­si­on. C’est l’en­ga­ge­ment pré­cis dont l’U­krai­ne a besoin en ce moment.


Source:

Bélan­ger, Marie-Eve (2022). What pro­spect is the­re of Ukrai­ne joi­ning the EU? LSE Euro­pe Blog Series.

Image: unsplash.com

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