Télétravail en temps de pandémie Covid-19: résultats d’un sondage LinkedIn avant et pendant le semi-confinement

Le télé­tra­vail ou tra­vail à distance ren­dus néces­saires par la pre­miè­re vague de la pan­dé­mie Covid-19 de mars-avril 2020 ont eu des effets sur les con­di­ti­ons ain­si que les carac­té­ris­ti­ques du tra­vail des salarié·e·s suis­ses. Pro­fi­tant du réseau social à carac­tè­re pro­fes­si­onnel, Lin­kedIn, une équi­pe de recher­che de l’Université de Lau­sanne a invi­té son réseau à répond­re à un son­da­ge en ligne com­parant les situa­tions de tra­vail avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment. 197 per­son­nes ont pris le temps d’y répond­re. Leurs retours mon­t­rent que leur moti­va­ti­on et fati­gue pro­fes­si­onnel­le ont peu été impac­tées. Par cont­re, la diver­si­té des tâches à réa­li­ser, la per­cep­ti­on indi­vi­du­el­le en matiè­re d’efficacité au tra­vail, le cli­mat de col­la­bo­ra­ti­on avec les col­lè­gues et la con­ci­lia­ti­on vie pri­vée-vie pro­fes­si­onnel­le sont des dimen­si­ons par­ti­cu­liè­re­ment affec­tées par les spé­ci­fi­ci­tés du tra­vail en péri­ode de semi-confinement.

Retour sur le questionnement à la base de notre sondage/questionnaire LinkedIn

Par not­re ques­ti­onn­aire, nous sou­hai­ti­ons savoir quel­les pou­vai­ent être les con­sé­quen­ces du télé­tra­vail et du tra­vail à distance, notam­ment en rela­ti­on à leurs moda­li­tés bien par­ti­cu­liè­res, sur les per­cep­ti­ons rela­ti­ves aux carac­té­ris­ti­ques du tra­vail, au cli­mat et à la col­la­bo­ra­ti­on dans le tra­vail, et à la moti­va­ti­on, au bien-être, voi­re à l’épuisement professionnel.

Quelques données sur l’échantillon LinkedIn récolté

Nous avons récol­té, en tout, 197 ques­ti­onn­aires. L’échantillon est com­po­sé majo­ri­taire­ment de femmes (133 répondan­tes, soit 68.5 % du total des sondé·e·s, ain­si que 61 hom­mes, soit 31.5 %). 46.2 % décla­rent avoir un ou des enfant(s) à la mai­son dont elle·il·s doiv­ent s’oc­cup­er. Le niveau de for­ma­ti­on de l’échantillon est très éle­vé dans la mes­u­re où 81.7 % des répondant·e·s ont un diplô­me du degré ter­ti­ai­re (uni­ver­si­té ; EPF ; HES ; HEP), 7.6 % décla­rent être en pos­ses­si­on d’un bre­vet fédé­ral, d’un diplô­me fédé­ral ou d’une éco­le supé­ri­eu­re, 3.1 % pos­sè­dent un niveau gym­na­si­al, 1 % une matu­ri­té pro­fes­si­onnel­le, 2.5 % ont réa­li­sé un appren­tis­sa­ge et 0.5 % ont stop­pé leur sco­la­ri­té après l’école obli­ga­toire (3.6 % de non-répon­ses sur cet­te ques­ti­on). C’est dire que not­re échan­til­lon est désé­qui­li­bré par­ce qu’il est com­po­sé majo­ri­taire­ment de répondant·e·s ayant choi­si une voie de for­ma­ti­on ter­ti­ai­re longue.

Par cont­re, not­re échan­til­lon est plus diver­si­fié si l’on con­sidè­re les types de pro­fes­si­ons repré­sen­tés, ou encore les sec­teurs éco­no­mi­ques aux­quels les répondant·e·s disent appar­ten­ir. Elles·ils sont 24.8 % à occup­er des fonc­tions de direc­teurs, cad­res de direc­tion et ou gérants. 35.2 % se défi­nis­sent com­me faisant par­tie des pro­fes­si­ons intel­lec­tu­el­les et sci­en­ti­fi­ques. 20.2 % se clas­sent dans la caté­go­rie pro­fes­si­ons inter­mé­di­ai­res, 18.1 % se disent employé·e·s de type admi­nis­tra­tif et fina­le­ment, 1.7 % esti­ment appar­ten­ir à la caté­go­rie des employé·e·s des ser­vices, commerçant·e·s, vendeur·euse·s. A la ques­ti­on de savoir dans quel sec­teur éco­no­mi­que leur orga­ni­sa­ti­on est acti­ve, les répon­ses sont éga­le­ment assez diver­ses com­me on peut le con­sta­ter dans la figu­re suivante :

Figure 1: Réponses à la question « Dans quel secteur économique votre organisation est-elle active? »

Par ail­leurs, l’échantillon com­por­te 63.9 % de répondant·e·s qui décla­rent ne pas occup­er une fonc­tion de cad­re hié­rar­chi­que (avec subordonné·e·s), cont­re 36.1 % qui décla­rent occup­er une tel­le fonc­tion. 23.9 % d’entre elles·eux esti­ment tra­vail­ler dans le sec­teur pri­vé, cont­re 57.3 % dans le sec­teur public et 18.8 % dans la caté­go­rie autres (par exemp­le des orga­ni­sa­ti­ons inter­na­tio­na­les ou des ONG). 56.8 % de nos répondant·e·s tra­vail­lent à temps plein, cont­re 43.2 % à temps par­ti­el. Elles·ils sont 41.6 % à tra­vail­ler depuis 5 ans et plus dans leur orga­ni­sa­ti­on et 58.4 % avec une anci­en­ne­té de moins de 5 ans. Ces carac­té­ris­ti­ques de not­re échan­til­lon de répondant·e·s sont à gar­der en mémoi­re en pren­ant con­nais­sance des résul­tats pré­sen­tés ci-après.

Quel­ques expli­ca­ti­ons métho­do­lo­gi­ques sur les trai­te­ments statistiques

Les résul­tats pré­sen­tés plus avant dans cet­te syn­thè­se ont été obte­nus à l’aide du logi­ciel sta­tis­tique Sta­ta 16. Dans un pre­mier temps, nous avons pro­cé­dé à des ana­ly­ses fac­to­ri­el­les afin de créer des varia­bles fia­bles sur la base des dif­férents items figu­rant dans not­re ques­ti­onn­aire. Tou­tes nos mes­u­res ain­si recom­po­sées sont fia­bles car elles pré­sen­tent un Alpha de Cron­bach sys­té­ma­ti­que­ment plus éle­vé que 0.70, seuil admis en la matière.

Suite à ces véri­fi­ca­ti­ons sur la fia­bi­li­té des varia­bles mes­u­rées, nous avons pro­cé­dé à un test des moy­ennes (test‑t ou test de Stu­dent) ent­re les varia­bles mes­u­rées avant le con­fi­ne­ment et cel­les con­cer­nant la péri­ode du semi-con­fi­ne­ment (pen­dant le semi-con­fi­ne­ment). Rap­pe­lons qu’il s’agit de mes­u­res cor­re­spondant à l’opinion des répondant·e·s aux ques­ti­ons posées, et non d’indicateurs objec­tifs. Vous l’aurez com­pris, l’idée était de savoir si le point de vue de nos répondant·e·s diver­ge en fonc­tion du con­tex­te, soit :

  • une situa­ti­on nor­ma­le de tra­vail avant le semi-con­fi­ne­ment com­pa­ra­ti­ve­ment à
  • une situa­ti­on de tra­vail (sou­vent de télé­tra­vail) pen­dant le semi-confinement.
Une communication interne peu affectée

Éton­nam­ment, nous n’avons pas pu obser­ver de dif­fé­ren­ces sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ves quant aux répon­ses en lien avec la capa­ci­té de nos répondant·e·s de com­mu­ni­quer rapi­de­ment et effi­cace­ment avec leurs col­lè­gues et leurs supé­ri­eurs hié­rar­chi­ques avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment. Autre­ment dit, la situa­ti­on de semi-con­fi­ne­ment ne sem­ble pas avoir affec­té beau­coup les capa­ci­tés de com­mu­ni­ca­ti­on inter­ne des orga­ni­sa­ti­ons, selon le point de vue des participant·e·s à not­re sondage.

Des caractéristiques du travail différemment impactées

En ce qui a trait aux carac­té­ris­ti­ques du tra­vail, au niveau des tâches effec­tuées avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment, des dif­fé­ren­ces peu­vent être con­sta­tées. Ain­si, les sondé·e·s esti­ment que durant le semi-con­fi­ne­ment la diver­si­té de leurs tâches pro­fes­si­onnel­les, mais aus­si la varié­té des com­pé­ten­ces indu­i­tes par le tra­vail, dimi­nu­ent. Lors du semi-con­fi­ne­ment, nos répondant·e·s obser­vent une dimi­nu­ti­on de la varié­té des tâches à effec­tu­er et par voie de con­sé­quence, une dimi­nu­ti­on du nombre de com­pé­ten­ces qu’ils ou elles doiv­ent mobi­li­ser pour y fai­re face. Les situa­tions de télé­tra­vail sem­blent donc rédu­i­re le degré de diver­si­té des tâches ain­si que la com­ple­xi­té des acti­vi­tés pro­fes­si­onnel­les. Cet­te dif­fé­rence de moy­enne ent­re les deux con­tex­tes – avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment – est sta­tis­ti­que­ment significative.

Par cont­re, nous ne trou­vons pas de dif­fé­ren­ces signi­fi­ca­ti­ves ent­re les deux situa­tions rela­ti­ve­ment à la per­cep­ti­on des répondant·e·s en lien avec leur auto­no­mie et indé­pen­dance au tra­vail. Les don­nées que nous avons récol­tées mon­t­rent que le semi-con­fi­ne­ment ne sem­ble donc pas avoir affec­té cet­te dimension.

Le climat et la collaboration au travail sont particulièrement touchés

Con­cer­nant le cli­mat de col­la­bo­ra­ti­on avec les col­lè­gues,  not­re son­da­ge per­met de rele­ver une dégra­dati­on importan­te. Lors du semi-con­fi­ne­ment, la per­cep­ti­on en matiè­re de cli­mat de col­la­bo­ra­ti­on, ent­re les col­lè­gues, s’est dété­rio­rée. Il sem­ble être clai­re­ment plus dif­fi­ci­le de main­tenir des rela­ti­ons de col­la­bo­ra­ti­on ent­re par­ten­aires de tra­vail lors­que le télé­tra­vail prend de l’ampleur. Ce résul­tat, sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tif, n’est pro­ba­ble­ment pas une gran­de sur­pri­se mais con­fir­me néan­moins qu’un  cli­mat de col­la­bo­ra­ti­on se crée avant tout dans le cad­re de rela­ti­ons socia­les directes.

Par cont­re, en ce qui con­cer­ne la con­ci­lia­ti­on ent­re vie pro­fes­si­onnel­le et vie pri­vée, nos don­nées sont por­teu­ses d’une bon­ne nou­vel­le. Nos sondé·e·s esti­ment que le semi-con­fi­ne­ment a con­tri­bué à créer les con­di­ti­ons mana­gé­ria­les favor­ables en vue d’une mei­lleu­re pri­se en comp­te des impé­ra­tifs de con­ci­lia­ti­on ent­re vie pro­fes­si­onnel­le et vie pri­vée. Les supérieur·e·s hié­rar­chi­ques étai­ent plus sus­cep­ti­bles, en péri­ode de semi-con­fi­ne­ment, de prend­re en comp­te ces pro­b­lé­ma­ti­ques de con­ci­lia­ti­on qu’avant le con­fi­ne­ment. De plus, les répondant·e·s expri­ment éga­le­ment une per­cep­ti­on posi­ti­ve de cet­te péri­ode de semi-con­fi­ne­ment, notam­ment à l’aune de la plus gran­de faci­li­té à con­ci­lier vie pri­vée et vie pro­fes­si­onnel­le. En d’autres ter­mes, en matiè­re de cli­mat orga­ni­sa­ti­on­nel, le semi-con­fi­ne­ment a per­mis une mei­lleu­re pri­se en comp­te de cet­te pro­b­lé­ma­tique de con­ci­lia­ti­on par les supérieur·e·s hié­rar­chi­ques, de même qu’il a per­mis glo­ba­le­ment à nos répondant·e·s de gagner en sou­ples­se en matiè­re de con­ci­lia­ti­on vie pri­vée et professionnelle.

Une perception des résultats du travail réalisé à l’épreuve du semi-confinement

Le semi-con­fi­ne­ment a eu un impact éga­le­ment important sur la per­cep­ti­on des sondé·e·s quant aux résul­tats obte­nus. Aus­si, si l’on com­pa­re les points de vue expri­més en lien avec l’efficacité avec laquel­le les tâches sont réa­li­sées, ain­si que le degré de satis­fac­tion par rap­port aux objec­tifs à rem­plir, ou encore l’auto-évaluation de la qua­li­té du tra­vail, il est alors pos­si­ble de con­sta­ter que le semi-con­fi­ne­ment impac­te for­te­ment ces dimen­si­ons. Pour résu­mer, il exis­te une dif­fé­rence sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve ent­re le point de vue des répondant·e·s con­cer­nant ces aspects de per­for­mance au tra­vail avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment. Le sen­ti­ment d’efficacité au tra­vail, tant du point de vue de la satis­fac­tion des sondé·e·s à l’égard des objec­tifs à accom­plir que de la qua­li­té du tra­vail four­ni, tend à dimi­nu­er lors de la péri­ode de semi-con­fi­ne­ment. Ce con­tex­te bien par­ti­cu­lier peut ain­si avoir des effets néga­tifs sur les per­cep­ti­ons en matiè­re de per­for­mance au tra­vail. Un man­que de « feed-back », de rela­ti­ons socia­les, voi­re une com­ple­xi­fi­ca­ti­on des con­di­ti­ons de tra­vail du fait du mélan­ge ent­re responsa­bi­li­tés pro­fes­si­onnel­les et pri­vées (avec la pré­sence de la famil­le par exemp­le) peu­vent en être d’éventuelles causes.

D’autre part, not­re enquê­te nous per­met éga­le­ment de rele­ver que nos répondant·e·s décla­rent moins d’implication et d’engagement au tra­vail pen­dant le semi-con­fi­ne­ment qu’avant celui-ci. Les dif­fé­ren­ces de moy­ennes à cet égard sont sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ves. Autre­ment dit, elles·ils esti­ment être moins en mes­u­re de prend­re des initia­ti­ves per­son­nel­les pour lan­cer de nou­vel­les tâches ou de nou­veaux pro­jets. Elles·ils esti­ment ne pas pou­voir fai­re plus que ce qui est atten­du d’elles·eux et de ne pas pou­voir cher­cher des façons d’améliorer leur per­for­mance au tra­vail dans un tel con­tex­te. Il est pro­bable que ce résul­tat soit lié, ici aus­si, à l’intrication plus étroi­te ent­re sphè­res pri­vées et pro­fes­si­onnel­les, ain­si qu’à des col­la­bo­ra­ti­ons moins nombreu­ses et plus dis­ten­du­es avec les col­lè­gues et les supé­ri­eurs hié­rar­chi­ques. Sans comp­ter le fait que l’énergie tant du côté des mana­gers que des employé·e·s a dû sou­vent être diri­gée vers d’autres prio­ri­tés. Si les cau­ses de ces sen­ti­ments et per­cep­ti­ons ne sont pas clai­re­ment iden­ti­fiées en l’état actu­el de la con­nais­sance, d’autres étu­des sont néces­saires pour mieux cer­ner ces phénomènes.

Une motivation au travail et une fatigue professionnelle inchangées

Par cont­re, not­re étu­de n’a pas mis en exer­gue de chan­ge­ments sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tifs en rela­ti­on avec l’auto-évaluation de la moti­va­ti­on au tra­vail ou de la fati­gue pro­fes­si­onnel­le des sondé·e·s. Si la moy­enne des répon­ses rela­ti­ve­ment aux niveaux de la moti­va­ti­on au tra­vail est effec­ti­ve­ment plus bas­se lors du semi-con­fi­ne­ment com­pa­ra­ti­ve­ment à la situa­ti­on qui pré­va­lait aupa­ra­vant, cet­te dif­fé­rence n’est pas sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve. De même, si la moy­enne des retours en lien avec le degré de fati­gue pro­fes­si­onnel­le aug­men­te lors du semi-con­fi­ne­ment, sug­gé­rant une péni­bi­li­té au tra­vail plus for­te lors de cet­te péri­ode, la dif­fé­rence avec la situa­ti­on d’avant le semi-con­fi­ne­ment n’est pas sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ve non plus. Il n’existe donc pas d’évidences empi­ri­ques, à ce sta­de et sur la base de not­re échan­til­lon limi­té, pour sug­gé­rer une baisse géné­ra­li­sée de moti­va­ti­on au tra­vail ou encore une aug­men­ta­ti­on de la fati­gue pro­fes­si­onnel­le, des hypo­thè­ses qui sont popu­lai­res mais qui ne peu­vent être con­fir­mées, ni infir­mées, par not­re enquête.

Conclusions provisoires

Not­re mini-son­da­ge Lin­kedIn n’a pas pour objec­tif de répond­re de façon exhaus­ti­ve à la ques­ti­on de savoir si le semi-con­fi­ne­ment des mois de mars-avril 2020 a eu des effets posi­tifs ou néga­tifs sur les indi­vi­dus et les orga­ni­sa­ti­ons dans les­quel­les elles·ils sont employé·e·s. Le petit échan­til­lon sur lequel se base nos princi­paux constats ne nous le per­met sim­ple­ment pas. Cepen­dant, même à son échel­le rest­rein­te, ce son­da­ge per­met de tirer quel­ques pre­miers ens­eig­ne­ments intéres­sants qu’il serait pro­ba­ble­ment uti­le d’investiguer de façon plus appro­fon­die dans d’autres recher­ches portant sur les effets du con­tex­te de semi-con­fi­ne­ment, donc ent­re autres du télé­tra­vail, sur le tra­vail et les organisations.

Pre­mier ens­eig­ne­ment d’importance, le télé­tra­vail tend à sim­pli­fier les tâches pro­fes­si­onnel­les et, ce faisant, à sol­li­ci­ter moins de com­pé­ten­ces dif­fé­ren­tes chez les salarié·e·s. On peut ima­gi­ner, en effet, que le télé­tra­vail peut con­tri­buer à une cer­tai­ne for­me d’automatisation des tâches, voi­re à une homo­gé­né­i­sa­ti­on des acti­vi­tés. Le carac­tè­re plus soli­taire et plus rou­ti­nier du tra­vail à distance peut en être une cau­se, de même que des éch­an­ges plus rares avec les col­lè­gues et les supérieur·e·s hié­rar­chi­ques. Sans comp­ter la mise en veil­leu­se de tâches plus com­ple­xes pour cen­trer l’activité sur des tâches rou­ti­niè­res indis­pensable au fonc­tion­ne­ment de base de l’organisation.

A cet égard, et il s’agit ici, du second ens­eig­ne­ment de not­re enquê­te, la péri­ode de semi-con­fi­ne­ment a con­tri­bué à la dégra­dati­on des rela­ti­ons socia­les au sein des entre­pri­ses. En effet, not­re son­da­ge met à jour une dimi­nu­ti­on du niveau ain­si que de la qua­li­té de la col­la­bo­ra­ti­on avec les col­lè­gues de tra­vail durant le semi-con­fi­ne­ment. Le cli­mat de tra­vail, la cul­tu­re orga­ni­sa­ti­on­nel­le, se trou­vent bel et bien à l’épreuve des con­sé­quen­ces du télé­tra­vail ou tra­vail à distance. C’est un sujet qui est abon­d­am­ment trai­té dans la lit­té­ra­tu­re mana­gé­ria­le qui met en exer­gue l’impact du télé­tra­vail sur la cul­tu­re des orga­ni­sa­ti­ons. Not­re son­da­ge souli­gne que ces ques­ti­ons sont effec­ti­ve­ment import­an­tes et d’actualité et qu’elles méri­tent de plus amp­les recherches.

En même temps, le semi-con­fi­ne­ment a per­mis à ce qu’un cli­mat plus pro­pi­ce à une mei­lleu­re pri­se en comp­te de la con­ci­lia­ti­on ent­re vie pri­vée et pro­fes­si­onnel­le puis­se voir le jour. Les cir­con­stan­ces de la pan­dé­mie ont ren­du, d’une cer­tai­ne maniè­re, légiti­mes les atten­tes de certain·e·s salarié·e·s à l’égard de leur orga­ni­sa­ti­on pour une con­sidé­ra­ti­on plus séri­eu­se des con­train­tes de la vie pri­vée en regard des objec­tifs pro­fes­si­onnels. En effet, il aura fal­lu cet­te pan­dé­mie pour qu’enfin le poten­ti­el du télé­tra­vail, un tel poten­ti­el annon­cé depuis la fin des années 1970 au moins, puis­se enfin se con­cré­ti­ser. Ce qui indi­que bien qu’une inno­va­ti­on socio-tech­no­lo­gi­que ne peut se dif­fu­ser que si les con­di­ti­ons socio-éco­no­mi­ques sont favorables.

Un troi­siè­me ens­eig­ne­ment est en lien avec la per­cep­ti­on dégra­dée des sondé·e·s en matiè­re d’efficacité pro­fes­si­onnel­le et de qua­li­té du tra­vail. Dans not­re enquê­te, le semi-con­fi­ne­ment a eu, en effet, un effet néga­tif sur les per­cep­ti­ons de nos répondant·e·s en rap­port avec leur effi­caci­té pro­fes­si­onnel­le et la qua­li­té du tra­vail four­ni. Nous par­lons bien, ici, de per­cep­ti­ons indi­vi­du­el­les et non de constats objec­tifs. En con­sé­quence, nos sta­tis­ti­ques ne disent rien de la réa­li­té con­crè­te de l’efficacité pro­fes­si­onnel­le de nos sondé·e·s, ni du res­te du niveau de qua­li­té de leur tra­vail. Ceci n’enlève néan­moins rien au fait qu’elles·ils esti­ment le semi-con­fi­ne­ment moins favor­ables à la réa­li­sa­ti­on d’un tra­vail effi­cace et de qua­li­té. Les rai­sons peu­vent être mul­ti­ples et à défaut d’avoir des pis­tes con­crè­tes et avé­rées, nous ne pou­vons que for­mu­ler quel­ques pis­tes de réfle­xi­ons. Ces sen­ti­ments peu­vent en effet être dus à des dif­fi­cul­tés tech­ni­ques ou tech­no­lo­gi­ques (maté­ri­el insuf­fi­sant, con­ne­xi­ons médio­c­res, etc.), à l’absence de retours exter­nes quant au tra­vail effec­tué (ce qui per­met plus dif­fi­ci­le­ment de juger de l’efficacité et de la qua­li­té de son tra­vail), à la dété­rio­ra­ti­on du cli­mat de col­la­bo­ra­ti­on avec les col­lè­gues (évo­qué pré­cé­dem­ment), à la dif­fi­cul­té pra­tique de réa­li­ser les acti­vi­tés pro­fes­si­onnel­les du fait d’une trop for­te intri­ca­ti­on d’activités pri­vées et pro­fes­si­onnel­les et à la pré­sence de la famil­le et d’enfants dans un même espace de tra­vail (pou­vant occa­si­onner une per­te de con­cen­tra­ti­on), etc. Si les sources de ce malai­se res­sen­ti sont nombreu­ses, elles méri­te­rai­ent une enquê­te plus appro­fon­die. De plus, not­re son­da­ge lais­se à pen­ser aus­si que le semi-con­fi­ne­ment n’a pas été favor­able à l’implication pro­fes­si­onnel­le. Moins d’initiatives per­son­nel­les, moins d’attention por­tée aux moy­ens d’améliorer sa per­for­mance au tra­vail, sont des phé­nomè­nes qui émer­gent dans le sil­la­ge du semi-con­fi­ne­ment. Encore une fois, il s’agit de per­cep­ti­ons indi­vi­du­el­les, non de faits mes­u­rés empi­ri­que­ment. Cepen­dant, cela don­ne à pen­ser que le tra­vail à distance peut con­du­i­re à une moind­re impli­ca­ti­on pro­fes­si­onnel­le si les con­di­ti­ons de tra­vail ne sont pas opti­ma­les. Ici éga­le­ment, de nou­vel­les recher­ches pour­rai­ent s’avérer pré­cieu­ses afin d’identifier quels peu­vent être les dis­po­si­tifs orga­ni­sa­ti­on­nels per­met­tant d’atténuer ces perceptions.

Fina­le­ment, rele­vons que dans le cad­re de la pré­sen­te enquê­te nous n’avons pas pu con­sta­ter d’évolutions sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­ti­ves de la moti­va­ti­on pro­fes­si­onnel­le et de la fati­gue au tra­vail ent­re les deux péri­odes inves­ti­guées (avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment). Ce qui est encou­ra­ge­ant, bien sûr, même si là aus­si nous plai­dons pour le déve­lo­p­pe­ment d’autres enquê­tes afin d’accumuler plus d’éléments empi­ri­ques sur les com­por­te­ments au tra­vail dans des situa­tions de télé­tra­vail ou tra­vail à distance.

Mise en garde finale

La syn­thè­se que nous vous pro­po­sons dans cet arti­cle ne con­cer­ne que les résul­tats obte­nus dans le cad­re du son­da­ge Lin­kedIn que nous avons lan­cé en mars-avril 2020. Ces der­niers ne peu­vent donc pas fai­re l’objet de géné­ra­li­sa­ti­ons exces­si­ves, tout au plus sont-ils en mes­u­re d’indiquer des ten­dan­ces intéres­san­tes sus­cep­ti­bles d’être appro­fon­dies dans le cad­re d’autres recher­ches ou enquê­tes de ter­rain portant, notam­ment, sur des échan­til­lons plus import­ants. Il serait aus­si adé­quat d’enrichir les enquê­tes sta­tis­ti­ques par des ent­re­ti­ens avec des salarié·e·s, ou cad­res, afin de com­plé­ter les infor­ma­ti­ons rela­ti­ve­ment aux con­sé­quen­ces du semi-con­fi­ne­ment sur les indi­vi­dus, le tra­vail et les orga­ni­sa­ti­ons. Ces ent­re­ti­ens per­met­trai­ent, notam­ment, d’éclairer mieux les rela­ti­ons cau­sa­les ent­re semi-con­fi­ne­ment, ses impacts sur le tra­vail, sur les sala­riés, ain­si que sur les organisations.

Notons que not­re échan­til­lon n’est pas du tout repré­sen­ta­tif de la popu­la­ti­on sala­riée hel­vé­tique et que ce désé­qui­libre peut occa­si­onner un biais dans les répon­ses obte­nues. La popu­la­ti­on qui a majo­ri­taire­ment répon­du à not­re son­da­ge Lin­kedIn est très qua­li­fiée, com­por­te une gran­de pro­por­ti­on de cad­res ou de per­son­nes tra­vail­lant dans des pro­fes­si­ons aca­dé­mi­ques ou sci­en­ti­fi­ques. Ces sur­re­pré­sen­ta­ti­ons soci­odé­mo­gra­phi­ques nous con­dui­sent à la pru­dence une fois de plus dans l’interprétation et la géné­ra­li­sa­ti­on des résul­tats. Fina­le­ment, souli­gnons une aut­re source éven­tu­el­le de biais. A savoir le fait que not­re ques­ti­onn­aire deman­dait aux répondant·e·s de rens­eig­ner des ques­ti­ons portant sur des tem­po­ra­li­tés dif­fé­ren­tes (avant et pen­dant le semi-con­fi­ne­ment) dans un même ques­ti­onn­aire, au même moment. Il est pro­bable qu’une tel­le tech­ni­que d’enquête puis­se con­tri­buer à biai­ser cer­tai­nes répon­ses. Une enquê­te lon­gi­tu­di­na­le, sur le long cours, col­lant mieux au con­tex­te et au vécu des répondant·e·s aurait été pré­fé­ra­ble, mais tout sim­ple­ment pas pra­ti­ca­ble dans la mes­u­re où rares ont été les chercheuses·eurs à pou­voir anti­ci­per l’apparition sou­dai­ne de cet­te pan­dé­mie ain­si que de ses con­sé­quen­ces socio-éco­no­mi­ques, à savoir le semi-confinement.

 

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