Les médias jouent un rôle essentiel sur les réactions vis-à-vis de la politique migratoire de l’UDC

« Trop, c’est trop ! », « On est trop ser­ré ! », « Vou­lez-vous être rem­pla­cé par un Euro­péen bon mar­ché ? » Voi­ci des slo­gans en faveur de l’initiative de limi­ta­ti­on de l’immigration, sou­mi­se à vota­ti­on le 27 sep­tembre 2020. Ces slo­gans peu­vent inter­pel­ler et mener à pen­ser qu’une immi­gra­ti­on mas­si­ve et incon­trô­lée amè­ne plus de pro­blè­mes que de béné­fices à la Suis­se, sur­tout en ces temps de cri­se sani­taire et d’incertitude éco­no­mi­que. Nous avons cher­ché à mieux com­prend­re les réac­tions de la popu­la­ti­on suis­se roman­de vis-à-vis de la droi­te radi­ca­le et de l’immigration, ain­si que le rôle des médi­as dans ce processus.

L’initiative de limi­ta­ti­on est défen­due par l’UDC. Ce par­ti prô­ne une con­cep­ti­on eth­ni­que de l’identité suis­se, des poli­ti­ques restric­ti­ves sur l’immigration et hos­ti­les envers l’islam. Cet­te idéo­lo­gie est com­mu­n­é­ment asso­ciée à la droi­te radi­ca­le, qui cont­re­vi­ent aux val­eurs de soli­da­ri­té et d’ouverture au mon­de. De plus, l’UDC uti­li­se une com­mu­ni­ca­ti­on qui fait appel à la menace. Ain­si, une par­tie importan­te de la popu­la­ti­on peut se sen­tir mal à l’aise vis-à-vis de ce par­ti. Cela dit, il serait exa­gé­ré de pen­ser que cet­te gêne est par­ta­gée par tout·e·s. L’UDC est le par­ti le plus repré­sen­té au Con­seil natio­nal ; il défend des val­eurs et des inté­rêts avec les­quels s’identifie une part non nég­li­ge­ab­le de l’électorat suisse.

L’UDC suscite-t-il le malaise plus que d’autres partis?

Nous avons mené une étu­de pilo­te auprès de 247 per­son­nes suis­ses roman­des pour savoir si l’idée d’être asso­cié à l’UDC sus­ci­te plus de malai­se com­pa­ré à un par­ti cen­tris­te (le PDC) ou un par­ti de gau­che radi­ca­le (soli­da­ri­téS). Les résul­tats mon­t­rent que l’embarras à l’idée d’être asso­cié à l’UDC est plus éle­vé. Néan­moins, les per­son­nes qui s’identifient à droi­te ne rap­por­tent pas de gêne à l’idée d’être asso­ciées à l’UDC alors que cel­les qui s’identifient à gau­che expri­ment un malai­se éle­vé. Plus important, le malai­se vis-à-vis de l’UDC est aus­si pré­sent chez les per­son­nes qui s’identifient au cent­re gau­che, au cent­re et au cent­re droit. Ces résul­tats pré­li­min­aires sug­gè­rent que l’idée d’être asso­cié à l’UDC, par rap­port aux autres par­tis men­ti­onnés, génè­re une gêne par­ta­gée par la majo­ri­té de l’électorat romand, à l’exception des per­son­nes qui s’identifient clai­re­ment à droite.

On pour­rait alors se deman­der si un par­ti de gau­che radi­ca­le sus­ci­te une gêne simi­lai­re. Nos résul­tats révè­lent qu’un malai­se éle­vé à l’idée d’être asso­cié à soli­da­ri­téS est seu­le­ment pré­sent chez les per­son­nes de droi­te ; cel­les de cent­re droit et du cent­re ont un malai­se modé­ré; cel­les de cent­re gau­che et de gau­che n’en ont pas.

 

Ces gra­phi­ques illus­trent le niveau moy­en de malai­se éprou­vé à l’idée d’être asso­cié aux idées de soli­da­ri­téS (à gau­che) ou de l’UDC (à droi­te) en fonc­tion de l’orientation politique.

 

Ain­si, les per­son­nes s’identifiant à des par­tis dits modé­rés (cent­re gau­che, cent­re et cent­re droit) sem­blent moins gênées à l’idée d’être asso­ciées à un par­ti de gau­che radi­ca­le plu­tôt qu’à l’UDC. Cet­te dif­fé­rence peut être expli­quée par le fait que sur le plan social (par exemp­le, en ter­mes de poli­tique migra­toire), l’agenda poli­tique de l’UDC s’oppose aux nor­mes de tolé­ran­ce et d’ouverture adop­tées par la majo­ri­té de la popu­la­ti­on suis­se roman­de, alors que soli­da­ri­téS mili­te pour les renforcer.

Pour en reve­nir à l’initiative de limi­ta­ti­on de l’immigration, une bon­ne par­tie de ses opposant·e·s pen­sent que la poli­tique migra­toire actu­el­le appor­te plus de béné­fices que de dés­a­van­ta­ges à la Suis­se. Néan­moins, il est éga­le­ment pos­si­ble que certain·e·s soi­ent réticent·e·s à sou­ten­ir cet­te initia­ti­ve non par con­vic­tion mais par­ce que cela impli­quer­ait d’assumer une affi­ni­té avec un par­ti poli­tique radi­cal qui prô­ne une visi­on expli­ci­te­ment into­lé­ran­te vis-à-vis à l’immigration, ce qui sus­ci­te­rait un cer­tain malai­se. Par con­sé­quent, si des pro­pos restric­tifs sur l’immigration ces­sent d’être asso­ciés à l’UDC, la gêne éprou­vée à l’idée d’y adhé­rer pour­rait dimi­nu­er. Autre­ment dit, une par­tie de la popu­la­ti­on pour­rait sou­ten­ir cet­te initia­ti­ve si elle n’était pas expli­ci­te­ment asso­ciée à l’UDC.

Afin de répond­re à cet­te ques­ti­on, nous avons mené une étu­de auprès de 259 per­son­nes suis­ses roman­des qui ont lu un tex­te de cam­pa­gne de l’UDC en faveur de l’initiative de limi­ta­ti­on. Chez la moi­tié des per­son­nes, le logo de l’UDC est asso­cié au tex­te. Chez l’autre moi­tié, le tex­te est pré­sen­té sans le logo. Les résul­tats mon­t­rent que lors­que des pro­pos néga­tifs sur l’immigration ces­sent d’être asso­ciés à l’UDC, le malai­se à l’idée d’y adhé­rer diminue.

Les médias et l’immigration

La cou­ver­tu­re média­tique de l’immigration peut expli­quer ce résul­tat. Plu­sieurs étu­des anté­ri­eu­res sug­gè­rent que cel­le-ci don­ne dans l’ensemble un regard plu­tôt néga­tif sur l’immigration, ce qui tend à nor­ma­li­ser un dis­cours ambi­va­lent, ambi­gu et sté­réo­ty­pé sur le sujet. Les médi­as pri­vi­lé­gient les infor­ma­ti­ons à sen­sa­ti­on ; ils met­tent l’accent sur des élé­ments de con­flit et de con­tro­ver­se car cela cap­te davan­ta­ge l’attention que des infor­ma­ti­ons nuan­cées, appro­fon­dies et con­tex­tua­li­sées. L’information média­tique sur l’immigration favo­ri­se en out­re des repré­sen­ta­ti­ons sté­réo­ty­pées des per­son­nes migran­tes, par une asso­cia­ti­on avec des thé­ma­ti­ques com­me l’illégalité, l’insécurité, l’incivilité, les accrocs cul­tu­rels et le repli identitaire.

Ain­si, du moment qu’un mes­sa­ge poli­tique restric­tif sur l’immigration n’est pas expli­ci­te­ment asso­cié à l’UDC, y adhé­rer ne serait plus tel­lement embarras­sant car les médi­as aurai­ent ten­dance à nor­ma­li­ser un tel dis­cours. A l’opposé, une cou­ver­tu­re média­tique cont­re-sté­réo­ty­pi­que et posi­ti­ve de l’immigration pour­rait mener à éprou­ver plus de malai­se à l’idée d’être asso­cié à une posi­ti­on restric­ti­ve sur l’immigration, même si cel­le-ci n’est pas expli­ci­te­ment asso­ciée à l’UDC.

Pour véri­fier cet­te pos­si­bi­li­té, nous avons réa­li­sé une étu­de dans laquel­le 281 per­son­nes suis­ses roman­des ont lu un arti­cle de jour­nal qui met­t­ait l’accent sur des qua­li­tés civi­ques et exem­p­lai­res d’une per­son­ne migran­te. Les participant·e·s ont ensui­te indi­qué leur niveau de malai­se à l’issue de la lec­tu­re d’un tex­te en faveur de l’initiative de limi­ta­ti­on de l’immigration. Chez la moi­tié des par­ti­ci­pants le logo de l’UDC était asso­cié au tex­te; chez l’autre moi­tié, le tex­te était pré­sen­té sans le logo. Les résul­tats révè­lent que les par­ti­ci­pants res­sen­tent un malai­se éle­vé à l’idée d’être asso­ciés à cet­te opi­ni­on restric­ti­ve sur l’immigration, même lors­que le tex­te ne por­te pas le logo de l’UDC. En som­me, une cou­ver­tu­re média­tique posi­ti­ve et cont­re-sté­réo­ty­pi­que de l’immigration peut rédu­i­re la nor­ma­li­sa­ti­on d’un dis­cours restric­tif sur l’immigration, et rend­re ce dis­cours pro­b­lé­ma­tique aux yeux des per­son­nes interrogées.

 

Ce gra­phi­que illus­tre le niveau moy­en de malai­se éprou­vé à l’idée d’être asso­cié à une opi­ni­on restric­ti­ve sur l’immigration, en fonc­tion de son asso­cia­ti­on à l’UDC (en vio­let) ou non (en jau­ne). À gau­che, les per­son­nes qui n’ont pas lu d’article posi­tif sur l’immigration. À droi­te, cel­les qui ont lu un arti­cle posi­tif sur l’immigration.

 

Conclusion

L’ensemble de ces étu­des ont été menées sur une popu­la­ti­on roman­de ; elles ne peu­vent pas être géné­ra­li­sées aux autres régi­ons lin­gu­is­ti­ques suis­ses. Cela dit, les résul­tats sug­gè­rent qu’un posi­ti­on­ne­ment restric­tif sur l’immigration sus­ci­te davan­ta­ge de malai­se dans la majo­ri­té de l’électorat romand lorsqu’il est expli­ci­te­ment asso­cié à un par­ti de droi­te radi­ca­le que lorsqu’il ne l’est pas. Néan­moins, un tel posi­ti­on­ne­ment, même s’il n’est pas asso­cié expli­ci­te­ment à la droi­te radi­ca­le, sus­ci­te un cer­tain malai­se après avoir lu un arti­cle de jour­nal qui met l’accent sur le com­por­te­ment civi­que d’une per­son­ne migran­te. Dans l’ensemble, ces résul­tats sug­gè­rent que les repré­sen­ta­ti­ons asso­ciées aux par­tis poli­ti­ques aus­si bien que la cou­ver­tu­re média­tique jou­ent un rôle déter­mi­nant dans la for­ma­ti­on du cli­mat social vis-à-vis de l’immigration.

 


 Cet arti­cle a d’a­bord été publié sur le blog du NCCR on the move.


Mat­t­hieu Vétois est doc­torant en psy­cho­lo­gie socia­le à l’Université de Genè­ve. Juan M. Falo­mir-Pichas­tor est pro­fes­seur de psy­cho­lo­gie socia­le à l’Université de Genè­ve. Eva Green est pro­fes­seu­re de psy­cho­lo­gie socia­le à l’Université de Lau­sanne. Les trois cher­cheurs tra­vail­lent dans le pro­jet Socie­tal Norms as Pre­dic­tors of Beha­vi­or and Atti­tu­des regar­ding Migra­ti­on among Natio­nal Majo­ri­ties and Immi­grants.

Image: mojadesign.ch

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