Le fédéralisme suisse, réformes fonctionnelles et territoriales : quelles perspectives ?

L’ouvrage, inti­tu­lé Le fédé­ra­lisme suis­se : l’organisation ter­ri­to­ria­le et l’accomplissement des pre­sta­ti­ons éta­ti­ques en Suis­se off­re une lec­tu­re glo­ba­le du fédé­ra­lisme, pilier fon­da­men­tal du sys­tème poli­tique suisse.

Deut­sche Version

Un peu plus de dix ans après la gran­de réfor­me du fédé­ra­lisme suis­se – la mise en œuvre de la péré­qua­ti­on finan­ciè­re et de la répar­ti­ti­on des tâches (RPT) datant de 2008 – les dis­cus­sions autour du décou­pa­ge ter­ri­to­ri­al suis­se et de l’organisation des pre­sta­ti­ons éta­ti­ques par les com­mu­nes, les can­tons, la Con­fé­dé­ra­ti­on et les divers autres acteurs se pour­suiv­ent. Cet ouvra­ge pro­po­se d’une part, une réfle­xi­on sur la struc­tu­re ter­ri­to­ria­le de la Suis­se et sur la répar­ti­ti­on des tâches ent­re niveaux éta­ti­ques, et d’autre part, une dis­cus­sion sur leur ori­en­ta­ti­on future.

Découpage territorial et interdépendances

Bien que la Suis­se soit rela­ti­ve­ment peti­te en ter­mes de tail­le et de popu­la­ti­on, comp­tant 8,5 mil­li­ons d’habitants en 2019, elle pos­sè­de une orga­ni­sa­ti­on ter­ri­to­ria­le rela­ti­ve­ment fili­gra­ne avec un grand nombre de can­tons et de com­mu­nes de tail­les dif­fé­ren­tes. L’exécution des tâches se tra­du­it par de nombreu­ses for­mes de coo­pé­ra­ti­on ent­re les dif­fé­ren­tes unités ter­ri­to­ria­les et de for­tes inter­dé­pen­dan­ces ent­re niveaux éta­ti­ques. Elle se carac­té­ri­se par une divi­si­on ver­ti­ca­le de l’Etat en dif­férents niveaux de gou­ver­ne­ment et hori­zon­ta­le, qui s’effectue ent­re plu­sieurs sous unités ter­ri­to­ria­les. Si la struc­tu­re éta­tique suis­se a demeu­ré extra­or­dinaire­ment sta­ble ces deux der­niers siè­cles, la glo­ba­li­sa­ti­on, la com­ple­xi­té crois­san­te des pro­b­lé­ma­ti­ques trans­ter­ri­to­ria­les et l’appel à plus d’efficacité et de par­ti­ci­pa­ti­on démo­cra­tique ont engend­ré une importan­te remi­se en ques­ti­on de la struc­tu­re ter­ri­to­ria­le et du fonc­tion­ne­ment même de la coo­pé­ra­ti­on ent­re enti­tés éta­ti­ques. L’augmentation des inter­dé­pen­dan­ces ent­re niveaux éta­ti­ques et le besoin de répar­ti­ti­on des tâches de l’Etat appel­lent au changement.

Des réformes majeures

En 2008, la Suis­se peut se tar­guer d’avoir mené une réfor­me réus­sie du fédé­ra­lisme. La réfor­me de la péré­qua­ti­on finan­ciè­re et de la répar­ti­ti­on des tâches (RPT) avait trois objec­tifs majeurs : 1) moder­ni­ser et ren­forcer le fédé­ra­lisme en cla­ri­fi­ant et en désen­che­vêtrant les tâches et les com­pé­ten­ces ent­re la Con­fé­dé­ra­ti­on et les can­tons, 2) accroît­re l’efficacité du sys­tème de com­pen­sa­ti­on et par­tant, rédu­i­re les dif­fé­ren­ces can­to­na­les en matiè­re de capa­ci­tés finan­ciè­res et de char­ges fis­ca­les, 3) amé­lio­rer l’efficacité de la pre­sta­ti­on des ser­vices publics en intro­du­i­sant des for­mes moder­nes de coo­pé­ra­ti­on ent­re les dif­férents niveaux éta­ti­ques et en ren­for­çant la coo­pé­ra­ti­on intercantonale.

D’autres con­cepts se sont impo­sés dans le pro­jet de réfor­me, tels que ceux empr­un­tés aux réfor­mes de la nou­vel­le ges­ti­on publi­que. Les idées pha­res de ces der­niè­res soulign­ent l’importance de la dis­so­cia­ti­on ent­re la sphè­re stra­té­gique et opé­ra­ti­on­nel­le, de l’efficacité, de sys­tè­mes d’incitation et de l’orientation vers le sys­tème de mar­ché et de cli­ent. Ces con­cepts ont non seu­le­ment trou­vé leur place dans le dis­cours de réfor­me RPT, mais éga­le­ment dans les arti­cles con­sti­tu­ti­on­nels révi­sés, de même que le princi­pe de subsidiarité.

Le 28 sep­tembre 2018, le Con­seil fédé­ral, en répon­se à une moti­on de la com­mis­si­on des finan­ces du Con­seil natio­nal, a entre­pris une éva­lua­ti­on des tâches et a esti­mé que cer­tai­nes tâches com­mu­nes pour­rai­ent fai­re l’objet d’une nou­vel­le répar­ti­ti­on. Dans cet­te per­spec­ti­ve, des désen­che­vêtre­ments sup­plé­men­taires pour­rai­ent tou­te­fois se heur­ter à cer­tai­nes limi­tes, qui rési­dent d’une part, dans l’autonomie finan­ciè­re des dif­férents niveaux éta­ti­ques et d’autre part, dans les dif­fé­ren­ces de tail­le des unités territoriales.

Out­re cet­te réfor­me fonc­tion­nel­le, des réfor­mes ter­ri­to­ria­les se sont réa­li­sées avec une aug­men­ta­ti­on visi­ble des fusi­ons com­mu­na­les dès les années 1990 ou encore avec l’apparition d’agglomérations et de régi­ons, sans pour autant modi­fier signi­fi­ca­ti­ve­ment la struc­tu­re ter­ri­to­ria­le de la Suis­se. Alors que l’adoption de la Con­sti­tu­ti­on fédé­ra­le révi­sée, et notam­ment de l’article 50 al. 3, a créé les con­di­ti­ons d’une nou­vel­le poli­tique d’agglomération, la créa­ti­on en 2001 de la Con­fé­rence tri­par­ti­te sur les agglomé­ra­ti­ons (CTA) a per­mis d’améliorer la coo­pé­ra­ti­on ent­re la Con­fé­dé­ra­ti­on, les can­tons et les villes.

Dans la même vei­ne, un pro­jet de ter­ri­toire suis­se, déve­lo­p­pé con­join­te­ment par les trois niveaux de gou­ver­ne­ment, pose le cad­re du déve­lo­p­pe­ment ter­ri­to­ri­al futur de la Suis­se. Le pro­jet dis­tin­gue dou­ze ter­ri­toires d’action avec quat­re aires métro­po­li­tai­nes (Zurich, Bâle, le bas­sin léma­ni­que et la régi­on de la vil­le fédé­ra­le), cinq réseaux de vil­les moy­ennes et peti­tes (Lucer­ne, Città Tici­no, l’Arc juras­si­en, Aare­land, Nord-Est de la Suis­se) et trois ter­ri­toires d’action alpins (Gott­hard, Alpes occi­den­ta­les et Alpes ori­en­ta­les). Ces espaces, défi­nis selon des cri­tè­res fonc­tion­nels en fonc­tion de tâches, posent la ques­ti­on de les doter de leurs pro­p­res res­sour­ces et insti­tu­ti­ons politiques.

Perspectives

L’ouvrage s’achève sur une réfle­xi­on rela­ti­ve aux défis actu­els et futurs qui exi­gent des pri­ses en char­ge de tâches dif­fé­ren­ciées pour l’ensemble de la Suis­se. Dif­fé­ren­tes solu­ti­ons dans l’exécution des tâches doiv­ent être recher­chées en fonc­tion du niveau de la collec­ti­vi­té ter­ri­to­ria­le, de sa tail­le et du domai­ne de com­pé­tence, reflé­tant le con­cept d’application à géomé­trie varia­ble. Le fédé­ra­lisme suis­se, vrai labo­ra­toire d’expérimentations, per­met d’éprouver diver­ses stra­té­gies de réfor­me et d’examiner les avan­ta­ges et les incon­vé­ni­ents qui en res­sor­tent. Mal­gré tout, un retour vers des pro­ces­sus décisi­onnels clas­si­ques dans des collec­ti­vi­tés au ter­ri­toire sta­ble et bien défi­ni ne paraît pas exclu.

En effet, l’évolution ces der­niè­res années de struc­tures en réseaux sur plu­sieurs niveaux et l’élargissement des sphè­res de décisi­ons ren­dent les fron­tiè­res ent­re l’Etat et le sec­teur pri­vé plus opa­ques et mal adap­tées au con­trô­le démo­cra­tique. Les péri­mè­tres fonc­tion­nels gagne­ront donc en impor­t­ance et les struc­tures de gou­ver­nan­ce devront se ren­forcer, de même que les col­la­bo­ra­ti­ons inter­com­mu­na­le ou intercan­to­na­le. Ain­si, la Suis­se pour­suiv­ra son déve­lo­p­pe­ment de maniè­re diver­si­fiée et hétéroclite.

Con­for­mé­ment à son déve­lo­p­pe­ment his­to­ri­que, la dyna­mi­que éma­ne­ra cer­tai­ne­ment des niveaux infé­ri­eurs sup­plé­men­taires et con­cen­trés sur cer­tai­nes tâches seu­le­ment, à savoir en plus des can­tons et des com­mu­nes, plus par­ti­cu­liè­re­ment des agglomé­ra­ti­ons et régi­ons. Il va de soi que la com­ple­xi­té de la mise en œuvre con­ti­nu­e­ra de croît­re et qu’elle aura un impact sur les struc­tures éta­ti­ques exi­s­tan­tes. Face à ces trans­for­ma­ti­ons struc­tu­rel­les, il sera alors fon­da­men­tal de trou­ver les moy­ens et outils insti­tu­ti­on­nels les plus adé­quats pour assu­rer de maniè­re opti­ma­le et démo­cra­tique les pre­sta­ti­ons de l’État.


Réfé­rence:

 

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