Les électeurs privilégient les partis les plus compétents

L’i­dée que les élec­teurs se font de la capa­ci­té des par­tis à résoud­re les grands pro­blè­mes de l’heu­re con­tri­bue à expli­quer la for­ma­ti­on de leur choix élec­to­ral.

Les élec­teurs sont aujour­d’hui plus vola­ti­les qu’ils ne l’é­tai­ent il y a tren­te ou qua­ran­te ans. Dans l’ex­pli­ca­ti­on du com­por­te­ment élec­to­ral, les fac­teurs qui favo­ri­sai­ent la sta­bi­li­té du vote, tels que la reli­gi­on, la clas­se socia­le ou l’at­ta­che­ment à un par­ti, ont per­du du ter­rain au pro­fit de fac­teurs de court ter­me, com­me les opi­ni­ons sur les princi­paux enjeux poli­ti­ques de l’heu­re. Selon l’un des modè­les du “vote d’en­jeu”, les élec­teurs votent pour le par­ti qu’ils jugent com­me étant le plus com­pé­tent pour résoud­re les grands pro­blè­mes aux­quels le pays fait face. C’est ce qu’on appel­le le vote selon la pos­ses­si­on de l’en­jeu (issue owners­hip voting).

Si l’im­por­t­ance du vote selon la pos­ses­si­on de l’en­jeu n’est aujour­d’hui plus guè­re con­tes­tée, il res­tait à tes­ter si les per­cep­ti­ons des votants quant au par­ti le plus com­pé­tent sur un enjeu poli­tique don­né chan­gent au cours de la cam­pa­gne élec­to­ra­le et, si oui, avec quel­les con­sé­quen­ces pour la sta­bi­li­té du choix par­ti­san? L’étu­de que nous avons con­du­i­te sur la base des don­nées Select 2015 (voir enca­dré) met tout d’a­bord en évi­dence une cer­tai­ne insta­bi­li­té des atti­tu­des au niveau indi­vi­du­el, qui con­tras­te avec la for­te sta­bi­li­té exi­s­tant au niveau agré­gé. D’u­ne part, pour ce qui est des inten­ti­ons de vote, des per­son­nes qui étai­ent initia­le­ment indé­ci­ses ont fini par voter pour l’un ou l’aut­re par­ti, tan­dis que d’au­tres ont même chan­gé leur choix par­ti­san au cours de la cam­pa­gne. Ain­si, une pro­por­ti­on éle­vée (envi­ron 40%) de per­son­nes qui indi­quai­ent initia­le­ment vou­loir voter pour le PBD, les Verts ou les Verts libé­raux ont fina­le­ment voté pour un aut­re par­ti. D’aut­re part, l’in­sta­bi­li­té des opi­ni­ons est éga­le­ment mar­quée en ce qui con­cer­ne le par­ti per­çu com­me le plus com­pé­tent pour résoud­re cer­tains enjeux. Par exemp­le, un élec­teur sur dix a modi­fié sa per­cep­ti­on du par­ti le plus com­pé­tent en matiè­re de poli­tique euro­péen­ne au pro­fit du PLR et un élec­teur sur dix a fait le che­mi­ne­ment inver­se, c’est-à-dire a initia­le­ment dési­gné le PLR com­me le plus com­pé­tent en matiè­re de poli­tique euro­péen­ne et a ensui­te dési­gné un aut­re parti.

Ensui­te, nos résul­tats mon­t­rent que les per­son­nes qui chan­gent leur éva­lua­ti­on du par­ti le plus com­pé­tent sur un enjeu don­né ten­dent à voter fina­le­ment pour ce par­ti. Ceci vaut autant pour les per­son­nes qui n’a­vai­ent pas d’in­ten­ti­on de vote que pour cel­les qui pen­sai­ent voter pour un aut­re par­ti. Par exemp­le, une per­son­ne qui chan­ge sa per­cep­ti­on de com­pé­tence au pro­fit d’un par­ti sur les ques­ti­ons d’im­mi­gra­ti­on a deux fois plus de chan­ces de con­ver­tir son vote pour ce par­ti, qu’u­ne per­son­ne qui ne con­sidè­re pas ce par­ti com­me le plus com­pé­tent. Ce résul­tat ne con­cer­ne pas seu­le­ment l’im­mi­gra­ti­on, mais l’en­sem­ble des enjeux con­sidé­rés dans l’étu­de (immi­gra­ti­on, éco­no­mie, Euro­pe, poli­tique socia­le, et environnement).

Last, but not least, les effets de com­pé­tence ne se limi­tent pas aux per­son­nes qui met­tent à jour leurs per­cep­ti­ons en la matiè­re, mais se mani­fes­tent aus­si par­mi cel­les qui main­ti­en­nent leurs per­cep­ti­ons de com­pé­tence en faveur du même par­ti durant la cam­pa­gne. Ces der­niè­res ont plus de chan­ces de se mobi­li­ser, de se con­ver­tir ou de ren­forcer leur choix de vote au pro­fit de ce parti.

Ces résul­tats mon­t­rent qu’un par­ti qui par­vi­ent à con­vain­c­re les élec­teurs durant la cam­pa­gne qu’il est le plus com­pé­tent sur un enjeu don­né peut s’at­tendre à gagner des voix – et peut aus­si espé­rer ne pas en perd­re. De plus, ce cons­tat vaut pour l’en­sem­ble des enjeux, et pas seu­le­ment pour celui sur lequel un par­ti est en géné­ral con­sidé­ré com­me com­pé­tent. Ce cons­tat invi­te les par­tis à diver­si­fier thé­ma­ti­que­ment leur cam­pa­gne élec­to­ra­le et à ne pas (trop) la foca­li­ser sur leurs enjeux de prédilection.

Don­nées et méthodes
Not­re étu­de s’ap­pu­ie sur l’en­quê­te panel con­du­i­te durant la cam­pa­gne des élec­tions fédé­ra­les de 2015 (https://forscenter.ch/projects/selects/). Les mêmes indi­vi­dus ont été inter­view­és au début de l’é­té, pen­dant la cam­pa­gne et après l’élec­tion, ce qui per­met de mes­u­rer la sta­bi­li­té et le chan­ge­ment des opi­ni­ons. Les ana­ly­ses sta­tis­ti­ques nous per­met­tant ensui­te d’ap­pré­cier l’ef­fet des per­cep­ti­ons de com­pé­tence des par­tis sur le choix élec­to­ral, dans une per­spec­ti­ve dyna­mi­que. Ces ana­ly­ses tien­nent comp­te des dif­fé­ren­tes carac­té­ris­ti­ques indi­vi­du­el­les pou­vant influ­en­cer le vote, tel­les que l’i­den­ti­fi­ca­ti­on par­ti­sa­ne, les opi­ni­ons sur les enjeux, leur saillan­ce ou encore l’i­déo­lo­gie de l’individu.

Réfé­rence:

Petit­pas, Adri­en et Pas­cal Scia­ri­ni (2018). Short-Term Dyna­mics in Issue Owners­hip and Elec­to­ral Choice For­ma­ti­on. Swiss Poli­ti­cal Sci­ence Review, 24(4).

Image:

Palais fédé­ra­le Berne

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