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Les électeurs privilégient les partis les plus compétents

Adrien Petitpas, Pascal Sciarini
13th December 2018

L'idée que les électeurs se font de la capacité des partis à résoudre les grands problèmes de l'heure contribue à expliquer la formation de leur choix électoral.

Les électeurs sont aujourd'hui plus volatiles qu'ils ne l'étaient il y a trente ou quarante ans. Dans l'explication du comportement électoral, les facteurs qui favorisaient la stabilité du vote, tels que la religion, la classe sociale ou l'attachement à un parti, ont perdu du terrain au profit de facteurs de court terme, comme les opinions sur les principaux enjeux politiques de l'heure. Selon l'un des modèles du "vote d'enjeu", les électeurs votent pour le parti qu'ils jugent comme étant le plus compétent pour résoudre les grands problèmes auxquels le pays fait face. C'est ce qu'on appelle le vote selon la possession de l'enjeu (issue ownership voting).

Si l'importance du vote selon la possession de l'enjeu n'est aujourd'hui plus guère contestée, il restait à tester si les perceptions des votants quant au parti le plus compétent sur un enjeu politique donné changent au cours de la campagne électorale et, si oui, avec quelles conséquences pour la stabilité du choix partisan? L'étude que nous avons conduite sur la base des données Select 2015 (voir encadré) met tout d'abord en évidence une certaine instabilité des attitudes au niveau individuel, qui contraste avec la forte stabilité existant au niveau agrégé. D'une part, pour ce qui est des intentions de vote, des personnes qui étaient initialement indécises ont fini par voter pour l'un ou l'autre parti, tandis que d'autres ont même changé leur choix partisan au cours de la campagne. Ainsi, une proportion élevée (environ 40%) de personnes qui indiquaient initialement vouloir voter pour le PBD, les Verts ou les Verts libéraux ont finalement voté pour un autre parti. D'autre part, l'instabilité des opinions est également marquée en ce qui concerne le parti perçu comme le plus compétent pour résoudre certains enjeux. Par exemple, un électeur sur dix a modifié sa perception du parti le plus compétent en matière de politique européenne au profit du PLR et un électeur sur dix a fait le cheminement inverse, c'est-à-dire a initialement désigné le PLR comme le plus compétent en matière de politique européenne et a ensuite désigné un autre parti.

Ensuite, nos résultats montrent que les personnes qui changent leur évaluation du parti le plus compétent sur un enjeu donné tendent à voter finalement pour ce parti. Ceci vaut autant pour les personnes qui n'avaient pas d'intention de vote que pour celles qui pensaient voter pour un autre parti. Par exemple, une personne qui change sa perception de compétence au profit d'un parti sur les questions d'immigration a deux fois plus de chances de convertir son vote pour ce parti, qu'une personne qui ne considère pas ce parti comme le plus compétent. Ce résultat ne concerne pas seulement l'immigration, mais l'ensemble des enjeux considérés dans l'étude (immigration, économie, Europe, politique sociale, et environnement).

Last, but not least, les effets de compétence ne se limitent pas aux personnes qui mettent à jour leurs perceptions en la matière, mais se manifestent aussi parmi celles qui maintiennent leurs perceptions de compétence en faveur du même parti durant la campagne. Ces dernières ont plus de chances de se mobiliser, de se convertir ou de renforcer leur choix de vote au profit de ce parti.

Ces résultats montrent qu'un parti qui parvient à convaincre les électeurs durant la campagne qu'il est le plus compétent sur un enjeu donné peut s'attendre à gagner des voix – et peut aussi espérer ne pas en perdre. De plus, ce constat vaut pour l'ensemble des enjeux, et pas seulement pour celui sur lequel un parti est en général considéré comme compétent. Ce constat invite les partis à diversifier thématiquement leur campagne électorale et à ne pas (trop) la focaliser sur leurs enjeux de prédilection.

Données et méthodes
Notre étude s'appuie sur l'enquête panel conduite durant la campagne des élections fédérales de 2015 (https://forscenter.ch/projects/selects/). Les mêmes individus ont été interviewés au début de l'été, pendant la campagne et après l'élection, ce qui permet de mesurer la stabilité et le changement des opinions. Les analyses statistiques nous permettant ensuite d'apprécier l'effet des perceptions de compétence des partis sur le choix électoral, dans une perspective dynamique. Ces analyses tiennent compte des différentes caractéristiques individuelles pouvant influencer le vote, telles que l'identification partisane, les opinions sur les enjeux, leur saillance ou encore l'idéologie de l'individu.


Référence:

Petitpas, Adrien et Pascal Sciarini (2018). Short‐Term Dynamics in Issue Ownership and Electoral Choice Formation. Swiss Political Science Review, 24(4).

Image:

Palais fédérale Berne