Populisme, mensonges et conneries: le chaînon manquant

Les figures populistes, comme Trump et Maduro, mentent régulièrement ; parfois de manière complètement absurde. Toutefois, les discours populistes suivent une logique spécifique. Cet article met en exergue cette logique sur la base d’une théorie normative de la communication populiste – autrement dit, le type de communication que les acteur-ices populistes doivent mobiliser pour atteindre l’objectif de forger une identité commune de « nous, le peuple » contre « les élites corrompues ». Pour que ce projet aboutisse, la vérité et le mensonge importent peu ; ce qui compte le plus, c’est de dire des conneries.

Vous le savez, les populistes mentent – beaucoup !

Les chercheur-euses en sciences sociales ont largement décrit comment les acteur-ices populistes mobilisent des arguments fallacieux sans scrupules. L’exemple typique est évidemment le cas états-unien et son président Donald Trump qui, durant son premier mandat seulement, a établi un record de 30,573 déclarations fausses ou trompeuses. C’est presque 21 mensonges par jour au pouvoir (Kessler et al., 2021).

Les mensonges que les populistes déversent dans les débats politiques sont non seulement nombreux, mais surtout souvent tellement ridicules qu’on peine à les croire. Souvenez-vous, par exemple, de la déclaration de Trump selon laquelle les immigré-es mangent des animaux domestiques (Kessler et al., 2021) ou le témoignage de Maduro disant que Hugo Chávez lui était apparu sous la forme d’un petit oiseau pour le bénir (Scharfenberg, 2013).

Ainsi, il est clair que les populistes mentent. Beaucoup. Mais pour quelles raisons ? Nous estimons que la réponse se trouve dans la théorie populiste elle-même, et plus précisément, dans la théorie normative de communication qu’implique le populisme.

Populisme et communication populiste

Le populisme est essentiellement une manière de faire de la politique – plus précisément, une stratégie politique pour gagner du pouvoir par le biais d’un soutien populaire massif. L’objectif premier d’un-e dirigeant-e populiste est donc de générer un sentiment d’appartenance commun dans le plus grand nombre de personnes possible – communément appelé « le peuple » – qui est présenté comme ayant été trahi par et prenant part à une « bataille morale » contre l’élite corrompue et dirigeante (Mansbridge & Macedo 2019; voir aussi Laclau 2005; Mouffe 2019).

Mais comment faire, pour réunir un si grand nombre de personnes, qui ont des intérêts et des demandes différentes, au sein d’une même communauté politique  ? Clairement, les populistes n’ont pas intérêt à encourager les citoyen-nes à prendre part à des délibérations cartésiennes, car cela les amènerait très certainement à réaliser que leurs intérêts et demandes sont, en fait, incompatibles. D’une perspective populiste, stimuler l’engagement rationnel des citoyen-nes en politique est donc non seulement pas nécessaire, mais surtout contreproductif.

Les populistes ont mieux fait de suivre ce que nous appelons le « critère populiste d’intérêt médiatique ». Ce critère est un élément-clé normatif de la communication politique. Il implique de prioriser du contenu qui contribuerait le mieux à la création et au maintien d’une identité populaire, indépendamment de la véracité ou l’utilité de ce contenu.

Le type de discours qui résulte de ce critère est formé d’un mélange de vérités, mensonges et ce qu’il y a au milieu de tout ça (en s’inspirant de la notion de « connerie » de Frankfurt (2005)), ce que nous appelons la « connerie populiste ». En clair, la connerie populiste est une forme de communication dans laquelle l’orateur-ice (i) souhaite cacher son intention réelle de polariser la société entre deux groupes ; « nous, le peuple » versus « les élites » – et (ii) ne fait preuve d’aucun engagement sur la véracité de ses propos.

Pourquoi est-ce important?

Conceptuellement, rendre explicite la théorie de communication populiste– une pièce manquante de la théorie populiste – permet de clarifier les liens entre populisme et désinformation. La théorie de communication populiste révèle que le discours populiste n’implique pas seulement de mentir ou de dire n’importe quoi, ce qui peut sembler être le cas à premier abord, mais est le résultat d’une logique spécifique régie par le critère populiste d’intérêt médiatique. Puisque ce critère s’inscrit dans la théorie populiste elle-même, on peut conclure que la tendance des figures populistes à induire en erreur leurs publics n’est pas un corollaire accidentel, mais la conséquence naturelle d’avoir adopté la théorie populiste comme guide pour l’exercice politique.

Une révélation perturbante ici, c’est que en même temps que le discours populiste gagne en popularité et polarise nos sociétés, il exagère nos biais cognitifs, qui rendent à leur tour les mensonges plus efficaces. On comprend ainsi mieux pourquoi les populistes mobilisent parfois des mensonges tellement invraisemblables.

D’une perspective normative, cela en dit long sur la connexion non-fortuite entre populisme et désinformation, ce qui remet en question l’acceptabilité du populisme comme manière de faire de la politique. Les soutiens du populisme, à droite comme à gauche, font ainsi face à un dilemme : revoir complètement leur théorie, ou accepter qu’ils ou elles défendent le fait de dire n’importe quoi comme théorique normative de communication – ainsi renonçant à la valeur de la vérité en politique.

Enfin, la théorie de communication populiste peut aussi être intéressante pour les travaux de recherche empiriques: pourraient être développés, par exemple, des indicateurs des niveaux de populisme de différents acteurs, qui dépendraient de la mesure dans laquelle leurs discours reflètent la structure et la logique des conneries populistes.


Publication complète

Marciel, Rubén. Populist Bullshit: A Normative Theory of Populist Communication. Res Publica. Available at: https://doi.org/10.1007/s11158-025-09744-9 

Références

Image: unsplash.com

Note: cette contribution a été traduite par Maud Bachelet et éditée par Robin Stähli, DeFacto.

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