Les débats précédant les votations sont essentiels pour permettre aux citoyennes et citoyens de se forger une opinion. Malgré la numérisation croissante de la communication politique, la brochure de vote avec les explications du Conseil fédéral reste la source d’information la plus utilisée par la population.
Introduction
Le 24 novembre, le peuple suisse a rejeté trois des quatre objets soumis au vote, contrairement aux recommandations du Conseil fédéral et du Parlement (l’aménagement des routes nationales et deux projets de loi sur le droit du bail concernant la sous-location et la résiliation pour besoin propre). À cette occasion, la communication du Conseil fédéral et de l’administration fédérale durant la période précédant les votations a été critiquée.
Cela soulève certaines questions intéressantes : qui utilise quelles sources d’information pour se forger une opinion de vote et quelle est la place de la communication des autorités dans ce processus ?
Dans un article publié en janvier 2024 dans DeFacto, Michaela Fischer met en évidence que la démocratie directe suisse ne freine pas l’intensification des campagnes en ligne et que les acteurs politiques ont de plus en plus déplacé leur communication des journaux traditionnels vers l’espace numérique.
Basée sur les résultats d’une évaluation du Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) sur la communication des autorités avant les votations (cf. box 1), cette contribution montre, toutefois, que la brochure de vote reste une source d’information importante.
La brochure de vote est importante pour la formation de l’opinion
Les citoyennes et citoyens suisses peuvent utiliser différentes sources d’information, émanant ou non des autorités, pour forger leur opinion sur un objet soumis à une votation fédérale. La loi sur les droits politiques régit que le Conseil fédéral doit fournir des explications pour accompagner le texte soumis à la votation. Ces explications doivent rester objectives et exposer également l’avis d’importantes minorités. Elles sont distribuées sous forme de brochure avec le texte soumis au vote à toute personne qui dispose du droit de vote.
Le CPA a analysé les données de sondages réalisés à la sortie des urnes lors de 29 votations fédérales tenues entre février 2020 et mai 2022 (cf. box 2). Il constate que les brochures de vote représentent la principale source d’information que les personnes interrogées ont utilisées pour se forger une opinion, comme l’illustre la figure 1. Les articles de journaux sont également importants, au contraire des médias sociaux.
Figure 1 : Utilisation des sources d’information par la population
Graphique: Alix d’Agostino, DeFacto · Source : Données des enquêtes Voto et Vox · Notes : Échelle de 0 (pas du tout utilisé) à 10 (très utilisé), N=16’691.
Les analyses du CPA montrent en outre que les explications du Conseil fédéral jouissent d’une grande confiance au sein de la population, de gauche à droite du spectre politique et chez les personnes de tout âge confondu. Une autre étude a pourtant mis en évidence que les explications sont généralement perçues comme compliquées (Stadelmann-Steffen et Föhn 2018). Une des raisons sont les strictes prescriptions légales auxquelles la brochure est soumise. Dans leur communication, les autorités doivent respecter les principes d’exhaustivité, d’objectivité, de transparence et de proportionnalité. Ces exigences réduisent les possibilités de simplifier le texte explicatif.
Les médias sociaux jouent un rôle secondaire, même pour les jeunes adultes
En raison du système et de la culture politiques suisses, les médias sociaux y ont longtemps joué un rôle secondaire dans la communication politique. Fischer (2024) montre que les partis, associations et organisations privilégient de plus en plus les plateformes digitales plutôt que les annonces dans les journaux pour leur communication de campagne. Constatant l’importance croissante des médias sociaux, le Conseil fédéral a élaboré en 2021 une stratégie pour renforcer la communication du gouvernement sur ces canaux numériques. Les autorités fédérales disposent de comptes officiels sur diverses plateformes (X, Instagram, Facebook ou YouTube), par lesquels elles communiquent également sur des objets de votes. L’évaluation du CPA montre que de nombreux comptes ont été créés ces dernières années, mais que les départements et la Chancellerie fédérale y sont toujours présents de manière très variable et que leur pratique en matière d’interaction avec la population est hétérogène.
En ce qui concerne l’utilisation des sources d’information en fonction de l’âge, illustrée par la figure 2, les analyses statistiques du CPA indiquent que la brochure d’explications du Conseil fédéral est la source d’information la plus utilisée par les personnes nées à partir de 1965. Les personnes plus âgées utilisent plutôt les journaux traditionnels. Les personnes plus jeunes se sont davantage informées via les médias sociaux et les sites d’information sur Internet (des autorités ou non). Néanmoins, les explications du Conseil fédéral sont bien plus utilisées que les publications dans les médias sociaux pour se forger une opinion de vote, pour toutes les catégories d’âge, même chez les jeunes adultes.
Figure 2 : Utilisation des sources d’information par catégorie d’âge
Graphique: Alix d’Agostino, DeFacto · Source : Données des enquêtes Voto et Vox · Notes : Échelle de 0 (pas du tout utilisé) à 10 (très utilisé), estimations par source d’information, N=15’491–15’669.
L’analyse des données en fonction des différents niveaux de formation et sensibilités politiques n’a pas révélé de différences majeures dans l’utilisation des sources d’information. Les personnes ayant un diplôme du niveau tertiaire ont tendance à utiliser la brochure d’explications du Conseil fédéral un peu plus souvent que les autres, mais elle est la source d’information la plus importante dans tous les cas. En outre, la brochure explicative représente une source essentielle, indépendamment de l’orientation politique. Pour les personnes ayant une sensibilité politique de gauche, elle joue toutefois un rôle légèrement moins important que les articles de journaux.
La communication des autorités reflète l’intensité de la campagne
Dans sa communication sur les objets soumis à la votation fédérale, le Conseil fédéral ne doit pas adopter une position différente de celle du Parlement. Il le fait en premier lieu par ses explications remises avant les votations. Sur la base de celles-ci, la Chancellerie fédérale produit également une vidéo explicative, et les membres du Conseil fédéral responsables font toujours de brèves allocutions, relayées sur les médias sociaux du gouvernement. De surcroît, ils peuvent communiquer de différentes manières avant les votations, par exemple en participant à des débats publics ou à des émissions de télévision ou en publiant des contenus dans les médias sociaux. Lorsqu’ils tiennent ces propos, ils doivent respecter les principes applicables à la communication étatique en période de scrutin, notamment celui de la proportionnalité.
Comme l’a montré Fischer (2024), l’intensité de la communication avant une votation est liée au résultat escompté. Les acteurs politiques ont tendance à publier davantage d’articles lorsqu’ils s’attendent à ce que le résultat de la votation soit serré. Pour analyser si les autorités communiquent proportionnellement à travers leurs divers canaux, il est donc important de prendre en considération le contexte propre de chaque votation. Sur la base de l’analyse de la part des mentions du Conseil fédéral dans les médias pour chaque objet soumis à votation entre février 2020 et mai 2022, le CPA a conclu que le Conseil fédéral a globalement plus communiqué lorsque la couverture médiatique était intense et moins lorsque celle-ci était moins forte, ce qui soutient le respect du principe de proportionnalité. Il a toutefois également relevé que les départements ont des conceptions très différentes des activités de communication qui entrent dans le mandat d’information du Conseil fédéral avant une votation.
Cette contribution est basée sur la publication suivante: Contrôle parlementaire de l’administration (2023). Communication des autorités avant des votations. Rapport à l’intention de la Commission de gestion du Conseil national du 19 juin 2023 (FF 2024 65).
Références:
Fischer, Michaela (2024): Kampagnenkommunikation: Weg von Zeitungsinseraten, hin zu sozialen Medien. DeFacto, 30.01.2024.
Stadelmann-Steffen, Isabelle et Föhn, Zora (2018) : easyvote informiert verständlicher als der Bundesrat. DeFacto, 4.7.2018.
Image: Unsplash.com
Note: cet article a été édité par Robin Stähli, DeFacto.