Sara Hobolt analyse les résultats des élections du Parlement européen, soulignant que bien que les partis populistes de la droite radicale aient obtenu de bons résultats, le vrai gagnant a été le Parti populaire européen de centre-droit. Elle explore les implications du scrutin pour l’élaboration des politiques de l’UE et les élections nationales ultérieures.
Environ la moitié des 357 millions d’électeurs des 27 États membres de l’UE ont voté pour choisir les 720 membres du Parlement européen lors des élections qui se sont déroulées du 6 au 9 juin 2024. Comme prévu, il y a eu un net glissement vers la droite. Le résultat le plus frappant est sans doute celui du Rassemblement national de Marine Le Pen, qui arrive en tête des sondages en France. Avec 31 % des voix, la formation d’extrême droite a obtenu plus du double des voix du parti centriste du président Emmanuel Macron, ce qui a incité ce dernier à convoquer des élections législatives anticipées en France.
Ailleurs, la droite radicale populiste a également remporté des succès électoraux : les Fratelli d’Italia de la Première ministre italienne Giorgia Meloni ont obtenu la plus grande part du vote national en Italie (29 %), et le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a connu sa meilleure élection à ce jour, arrivant en deuxième position en Allemagne avec 16 % des suffrages.
Mais à l’échelle de l’Europe, qui sont les gagnants et les perdants ? Qu’est-ce qui motive les électeurs lors des élections au Parlement européen ? De quelle manière ces élections influencent-elles l’élaboration des politiques au sein de l’UE ? Et quels sont les effets subséquents dans les États membres ?
Qui sont les gagnants et les perdants ?
Alors que la plupart des médias se sont concentrés sur les succès de l’extrême droite, c’est le Parti populaire européen (PPE), de centre-droit, qui est apparu comme le véritable vainqueur de l’élection. Non seulement le PPE est resté le plus grand groupe de partis au Parlement européen avec une part de sièges accrue, mais le glissement général vers la droite signifie également qu’il est le véritable faiseur de rois.
Les autres vainqueurs des élections sont le groupe conservateur eurosceptique des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) – où les Fratelli d’Italia de Meloni et le parti polonais Droit et Justice (PiS) forment les plus grands partis nationaux – ainsi que le groupe d’extrême droite Identité et Démocratie (ID), dominé par le Rassemblement national français victorieux, le Parti de la liberté autrichien et la Lega de Matteo Salvini. Jusqu’à très récemment, l’AfD allemande appartenait également au groupe ID, mais elle a été exclue pour avoir été trop extrémiste lorsque son candidat principal a déclaré à des journaux italiens que les SS nazis n’étaient “pas tous des criminels”.
Les perdants se situent tous au centre-gauche, en particulier le groupe libéral Renouveau, où siège le parti de M. Macron, et les Verts, qui ont connu de mauvaises élections en France et en Allemagne. Le groupe de centre-gauche des Socialistes & Démocrates (S&D) est resté relativement stable.
Le nouveau Parlement européen est donc plus fragmenté et polarisé. Il n’est pas rare que les partis d’opposition et les partis marginaux obtiennent de meilleurs résultats aux élections européennes qu’aux élections nationales, notamment parce que de nombreux électeurs les considèrent comme des “élections de mi-mandat” au cours desquelles ils peuvent exprimer leur mécontentement à l’égard du président en exercice. Cependant, des questions européennes telles que l’immigration, le changement climatique, les prix de l’énergie, les difficultés économiques et l’aide militaire à l’Ukraine ont également joué un rôle dans les campagnes.
Figure : Alix d’Agostino, DeFacto
Est-ce important pour l’élaboration des politiques de l’UE?
Seul organe directement élu de l’UE, le Parlement européen a accru ses pouvoirs législatifs au fil du temps. Avec le Conseil, composé des gouvernements des États membres, il est aujourd’hui un véritable organe co-législatif. Cela signifie que la plupart des politiques de l’UE doivent être approuvées par le Parlement avant d’avoir force de loi.
Mais ces élections sont-elles susceptibles de changer l’orientation politique de l’UE ? Étant donné que la “grande coalition” centriste pro-européenne du PPE, du S&D et de Renew – qui a dominé l’élaboration des politiques au Parlement européen au cours de la dernière législature – conserve sa majorité, nous pourrions penser que ce Parlement reproduira la même chose en ce qui concerne les politiques publiques. Cependant, étant donné que les coalitions se forment enjeux par enjeux au Parlement européen et que le glissement vers la droite fait du PPE le parti pivot (médian), cela suggère que sur certaines questions, nous pourrions voir une coalition alternative de droite composée du PPE et de l’extrême droite (ECR et ID).
Des recherches récentes ont montré que les politiques les plus susceptibles d’être affectées par une telle coalition de droite sont la réduction de l’ambitieuse politique environnementale de l’UE ainsi qu’un plus grand soutien à des politiques migratoires restrictives plutôt que libérales. Plus important encore, le Green Deal européen pourrait être confronté à des obstacles car la droite radicale populiste le mobilise comme un sujet de discorde en adoptant une position contradictoire et en soulignant les coûts immédiats de la transition verte pour les consommateurs, les agriculteurs et les entreprises.
Beaucoup dépend de la décision du PPE de se ranger ou non du côté des partis d’extrême droite sur des questions telles que celle-ci, et de la capacité de l’extrême droite à surmonter les divisions dans ses propres rangs pour former des groupes politiques stables au sein du Parlement.
Ces élections influencent également le choix du prochain président de l’organe exécutif de l’UE, la Commission européenne, puisque l’approbation du Parlement est requise. Une fois encore, il s’agira probablement d’un cas de continuité plutôt que de rupture, puisque l’actuelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, est également la candidate principale du PPE, qui a obtenu le plus grand nombre de sièges. Et comme les groupes de partis centristes pro-européens détiennent toujours la majorité et ont exprimé leur soutien à Mme von der Leyen, il est probable qu’elle reste en poste.
Toutefois, étant donné qu’il s’agit d’un vote secret pour confirmer sa présidence, le scrutin pourrait encore être serré. En 2019, Mme von der Leyen n’a remporté son vote d’approbation qu’avec 9 voix d’avance, alors qu’elle était soutenue par une grande coalition beaucoup plus large.
Le centre peut-il tenir ?
Les élections au Parlement européen sont importantes non seulement au niveau européen, mais aussi pour la politique des États membres. Les élections européennes constituent depuis longtemps une plateforme importante pour les partis contestataires, dont il a été démontré qu’ils amélioraient leurs chances lors des élections nationales suivantes. Des défaites humiliantes pour les gouvernements en place pourraient également conduire à un changement de politique des partis traditionnels, vers des positions plus anti-immigration et plus sceptiques en matière de politique climatique.
Avec la convocation d’élections législatives anticipées en France, le président Emmanuel Macron espère que le succès du Rassemblement national de Mme Le Pen ne se répétera pas lors des élections nationales. Cependant, étant donné que la part combinée des voix de l’extrême droite aux élections européennes en France a frôlé les 40 %, il existe une réelle possibilité qu’un nouveau premier ministre français soutenu par l’extrême droite cohabite avec le président Macron.
De même, la victoire du Parti de la liberté en Autriche suggère que nous pourrions voir un chancelier autrichien d’extrême droite à la suite des élections législatives du pays plus tard cette année. À moyen terme, nous pourrions donc voir un Conseil qui ne serait plus dominé par des gouvernements pro-européens de centre-gauche et de centre-droit, mais par une faction populiste de droite radicale très importante.
Si des élections européennes de 2024 en résulte un parlement qui n’est pas radicalement différent du précédent, elles représentent néanmoins un véritable défi à la domination des forces centristes pro-UE dans la politique européenne.
Note : cet article a été publié pour la première fois le 14 juin sur le blog du groupe de réflexion universitaire UK in a Changing Europe.
Référence : “The 2024 European Parliament elections”, Sara B. Hobolt, UK in a Changing Europe (June 2024)
Image : unsplash.com