Après plus de trois ans de négociations et à l’aube des prochaines élections du Parlement européen, l’Union européenne (UE) s’est mise d’accord sur les grandes lignes d’un nouveau pacte sur la migration et l’asile. Salué comme un accord historique qui refondra la politique d’asile européenne, ce pacte sera-t-il en mesure de modifier le système de partage des responsabilités et d’établir la solidarité tant attendue entre les États membres ?
Ce nouvel accord, conclu en principe en décembre 2023, vise à résoudre un problème persistant : le régime d’asile européen commun. En effet, ce dernier connait de graves dysfonctionnements et les arrivées de réfugiés sont fortement asymétriques entre les États membres, lesquels se montrent peu enclins à faire preuve de plus de solidarité. Dans le système actuel, la responsabilité de traitement d’une demande d’asile est principalement attribuée au pays de première entrée, souvent les pays marquant les frontières extérieures de l’UE. Les nombreuses tentatives visant à établir un partage plus équitable des responsabilités n’ont abouti ni à un accord politique, ni à une mise en œuvre en raison du non-respect des règles par certains États membres, voire des demandeurs d’asile. Malgré un large consensus sur le besoin de réformer, l’UE n’est jusqu’à présent pas parvenue à trouver une solution politique permettant de concilier les intérêts asymétriques des États membres et d’établir un partage efficace des responsabilités.
Le nouveau pacte sur la migration et l’asile est la dernière tentative en date pour relever ce défi. Tandis que les détails techniques sont encore en cours de discussion, l’approbation formelle est attendue au printemps 2024. Cela enverrait un signal aux électeurs européens que l’UE est capable d’une action politique forte sur cette question cruciale se profilant à l’horizon des prochaines élections du Parlement européen. Le paquet législatif approuvé en principe se concentre sur plusieurs développements clés, à savoir le renforcement des frontières extérieures, la modification des règles de responsabilité, l’inclusion de dispositions obligatoires en matière de solidarité et l’harmonisation des procédures afin de gérer et traiter les arrivées aux frontières et les demandes d’asile (voir la vue d’ensemble du paquet législatif dans le graphique ci-dessous).
Figure : Alix d’Agostino, DeFacto
Un véritable changement ?
Une grande partie du nouveau pacte concerne une meilleure répartition des responsabilités entre les États membres dans la mise en œuvre des politiques migratoires de l’UE. Cela implique un certain nombre de nouvelles mesures et règles qui cherchent à rendre opérationnelle la solidarité entre les États membres et à contribuer ainsi à un partage plus équitable des responsabilités.
Jusqu’à présent, la Commission a insisté sur le fait qu’une politique d’asile européenne commune devait reposer sur des quotas de relocalisation obligatoires, une idée qui a suscité d’importantes réactions politiques et a entraîné des violations du droit de l’UE de la part de certains États membres. A contrario, le nouveau pacte renonce à cette obligation et prévoit d’autres moyens pour les États membres de partager leurs responsabilités, notamment par le biais de contributions financières et de contributions au renforcement des capacités dans la gestion des flux migratoires. En parallèle, l’UE cherche à renforcer la diffusion des normes, c’est-à-dire les efforts visant à harmoniser les politiques de gestion des migrations et d’asile afin de décourager les mouvements secondaires et le “asylum-shopping“. Pour ce faire, les directives sont transformées en règlements plus contraignants et les procédures sont harmonisées pour l’ensemble de l’UE, ce qui laisse moins de marge de manœuvre aux États membres.
Enfin, le partage des responsabilités ne se limite plus à la protection des réfugiés, mais est associé à l’objectif de gestion des migrations. Le nouveau pacte brouille les frontières entre ces deux domaines en liant des procédures qui, à l’origine, étaient séparées, comme le traitement d’une demande d’asile et d’une procédure de retour. En pratique, cela signifie que les pays peuvent contribuer à la solidarité européenne non seulement en promettant des relocalisations au sein de l’UE, mais aussi en finançant des mesures de renforcement des capacités pour aider d’autres États membres. Un autre exemple clair de cet objectif sont les nouvelles procédures aux frontières, couvrant tous les aspects parcours migratoire, du contrôle à l’arrivée jusqu’au retour accéléré s’il n’y a pas de raison d’accorder le droit d’entrée dans l’UE.
Avec ces mesures, le nouveau pacte traduit le principe de solidarité en mesures politiques concrètes dans le corps principal du droit secondaire (actes juridiques qui découlent des dispositions et des principes des traités de l’UE). Ainsi, les règles d’attribution des responsabilités (critères de Dublin) sont complétées par un dispositif de solidarité active entre les États membres, ce qui était largement absent jusqu’à présent de la politique migratoire de l’UE. Si la mise en place d’un nouveau mécanisme de solidarité avec des moyens dédiés représente un pas en avant dans l’institutionnalisation de la solidarité entre les Etats membres, la flexibilité et la discrétion qui leurs sont offertes pour remplir leurs obligations en vertu de ces clauses reflètent les compromis qui ont dû être faits pour surmonter les précédentes tentatives infructueuses d’injecter plus de solidarité dans Dublin.
Ainsi, le nouveau pacte est un compromis qui tient compte de l’opposition générale à la relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile tout en maintenant les règles d’attribution de responsabilité de Dublin. Ce compromis est le prix à payer pour trouver un terrain d’entente politique entre les Etats membres sur ce sujet clivant. La définition européenne du partage des responsabilités est ainsi élargie, s’opérant notamment via le partage de normes, de ressources et de personnes, et offrant aux États membres une certaine flexibilité dans leurs contributions au renforcement de la solidarité, allant de la relocalisation des réfugiés à la mise en œuvre de la gestion des migrations.
Quelles implications pour le partage des responsabilités ?
Alors que la Commission européenne est désireuse de résoudre efficacement les problèmes systémiques à l’approche d’un cycle électoral où les forces anti-immigration sont prêtes à faire de gros progrès, la grande question est la suivante : cet accord conduira-t-il à une plus grande solidarité et à un partage plus équitable des responsabilités en matière d’asile ? La conclusion d’un accord politique sur les textes clés du nouveau pacte constitue sans aucun doute une étape importante pour l’élaboration de la politique de l’UE en matière de migration et d’asile. Sur le fond, le passage à un modèle flexible et multidimensionnel de partage des responsabilités devrait permettre de prendre en compte les différentes situations des États membres et la différenciation des contributions de solidarité peut rendre le système plus efficace. Cependant, deux défis majeurs limiteront à terme l’impact de la réforme sur le partage des responsabilités.
Premièrement, les nouvelles règles et les nouveaux instruments ne fonctionnent que s’ils sont mis en œuvre et si les parties prenantes sont disposées à s’y conformer. L’accord politique porte sur les principes généraux, tandis que les détails techniques sont encore contestés par les États membres. En outre, les dispositions du nouveau pacte ont été qualifiées de très complexes, ce qui jette un doute supplémentaire quant à la bonne mise en œuvre de ces mesures. Au regard de la flexibilité que le nouveau pacte offre aux États membres, cela signifie qu’une certaine volonté politique est nécessaire pour que les nouvelles règles fonctionnent en faveur d’une plus grande solidarité.
Deuxièmement, les déséquilibres structurels dans les arrivées des flux et leur institutionnalisation par les critères de Dublin, attribuant la responsabilité sur la base de la première entrée resteront largement inchangés, malgré l’inclusion d’un champ élargi de motifs de regroupement familial ainsi qu’un nouveau critère si le demandeur a précédemment travaillé ou étudié dans un autre État membre. Par conséquent, les États de première entrée situés à la périphérie de l’UE continueront de recevoir la plupart des arrivants et seront donc responsables du traitement de leur demande d’asile. Les incitations pour les États à faciliter les mouvements secondaires et pour les demandeurs d’asile à s’y engager ne diminueront donc guère.
Dans l’ensemble, le nouveau pacte ne révolutionne pas la gouvernance européenne en matière de migration et constitue plutôt une modification pragmatique du système de partage des responsabilités pour sortir de l’impasse politique. Il ne faut donc pas s’attendre un renversement complet de la situation, mais au mieux à des gains d’efficacité progressifs grâce à une approche plus flexible.
Référence: Bachelet, M., Lutz, P. “A New Pact on Migration and Asylum: What Changes for Responsibility-Sharing in the European Union?”, nccr on the move – blog, 28.02.2024.
Image: Unsplash.com