Les sans-papiers sont confrontés à des difficultés cumulatives, telles que des conditions de vie et de travail précaires ou l’exclusion des services de santé, qui sont susceptibles d’avoir une incidence négative sur leur santé. On sait peu sur l’évolution de la santé des personnes qui obtiennent un permis de séjour après avoir été sans-papiers pendant longtemps. L’étude Parchemins a pu observer l’effet de la régularisation du statut légal sur l’état de santé en suivant une cohorte de migrants en cours de régularisation dans le canton de Genève. Nous avons évalué la santé auto-évaluée et la dépression sur quatre ans parmi 387 personnes sans papiers et nouvellement régularisées. À l’aide de modèles linéaires hybrides, nos données montrent que la régularisation n’a pas d’effet direct sur la santé auto-évaluée, mais qu’elle a des effets positifs directs sur la santé mentale dans une perspective longitudinale, même en contrôlant par d’autres facteurs socioéconomiques. L’arrivée de la pandémie de COVID-19 n’a pas modifié ces effets. Les personnes nouvellement régularisées ont tendance à évaluer leur état de santé de manière plus positive que les personnes sans papiers. Ces résultats soulignent que des politiques plus intégratives pourraient réduire le fardeau de la dépression chez les personnes sans papiers.
Les résultats sont publiés en anglais dans SSM-Population Health.
Refle, J. E., Fakhoury, J., Burton-Jeangros, C., Consoli, L., & Jackson, Y. (2023). Impact of legal status regularization on undocumented migrants’ self-reported and mental health in Switzerland. SSM-Population Health, 22, 101398.
Le contexte de l‘étude
Nos analyses utilisent les données de l’étude « Parchemins », qui a suivi des sans-papiers et des personnes nouvellement régularisées à travers 4 vagues de récolte de données entre 2017 et 2022. L’étude a bénéficié du contexte de l’Opération Papyrus, un programme de régularisation unique, implémenté dans le Canton de Genève entre 2017 et 2018. L’Opération Papyrus a permis à environ 3000 personnes d’obtenir un permis de séjour, dont plus que la moitié dans le cadre d’une demande en tant que membre d’une famille (Confédération Suisse 2020). Les conditions de régularisation incluaient entre autres un séjour de 10 ans à Genève, avoir des moyens financiers suffisants, et des compétences orales suffisantes en français.
Au départ, l’échantillon de l’étude Parchemins comprenait 468 participants. Parmi eux, 260 étaient encore dans l’échantillon en vague 4. La configuration de ce panel permet de comparer la situation des personnes suivies, avant et après la régularisation dans plusieurs domaines de leur vie. Au cours de l’étude, 248 participants ont été régularisés. Les autres participants sont soit restés sans-papiers tout au long du suivi ou étaient en attente de régularisation, soit ont quitté l’étude au fil du temps. Les analyses présentées ici portent sur un sous-échantillon de 387 migrants.
Les sans-papiers en voie d’être régularisés et leur état de santé
Notre objectif est d’évaluer l’influence de la régularisation sur la santé autoévaluée et la santé mentale dans une perspective longitudinale. Tout d’abord, nos résultats suggèrent l’absence d’un effet direct de la régularisation sur la santé auto-évaluée au niveau intra-individuel. Alors que les personnes régularisées présentent de meilleurs niveaux de santé par rapport aux personnes sans papiers dès le début, nous ne sommes pas en mesure de prouver un effet direct de la régularisation sur la santé auto-évaluée, qui reste d’ailleurs plutôt stable à travers le temps.
Cependant, nos résultats indiquent un effet positif de la régularisation sur la sévérité de la dépression, même après l’inclusion de variables de contrôle d’ordre socioéconomique. Cet effet est une conséquence directe de la régularisation. Cette observation persiste malgré le contexte de la pandémie de COVID-19, qui a eu un effet négatif sur la santé mentale.
En effet, la pandémie a conduit à une détérioration de la santé mentale, mais l’effet de la régularisation sur la santé mentale est indépendant de la crise sanitaire. En même temps, la pandémie n’a pas eu d’influence sur les niveaux de la santé auto-déclarée. Cependant, l’augmentation générale de la dépression n’est pas surprenante car les conditions de vie souvent précaires de cette population se sont ultérieurement détériorées surtout au vu de l’impact des mesures de confinement sur les différents secteurs d’activités où cette population est surreprésentée, comme la restauration ou le travail domestique.
Nos résultats sont cohérents avec d’autres recherches, rétrospectives ou transversales, qui ont trouvé des effets positifs de la régularisation sur le bien-être et la santé mentale (Patler & Pirtle, 2018). Comme montré dans d’autres études, la régularisation soulage les migrants de la discrimination et du stress induits par les politiques d’immigration restrictives (Torres et al., 2018). Ce résultat apparaît aussi dans les interviews qualitatifs, complémentaires à l’étude quantitative (Consoli et al., 2022) au cours desquels les migrants déclaraient une plus grande sérénité générale liée à la fin à la peur d’être contrôlé et expulsé du territoire et de ne plus avoir besoin de se cacher de la police. Si vivre sans-papiers signifiait vivre dans l’incertitude permanente, la régularisation permet aux migrants de se projeter plus positivement dans l’avenir (Consoli et al., 2022). L’amélioration de l’accès à de services, tels que le système de santé et la protection sociale peuvent aussi expliquer l’amélioration de la santé mentale.
L’écart entre la santé auto-évaluée et la sévérité de la dépression telle que mesurée par le PHQ-9 constitue un résultat important. Premièrement, les valeurs de santé autodéclarée sont plutôt élevées si on considère les mauvaises conditions socio-économiques dans lesquelles vivent les participants. Deuxièmement, ces valeurs changent peu au fil du temps. La santé autoévaluée rapporte une évaluation plus subjective de sa santé que le PHQ-9, qui construit un indice à partir de plusieurs items – toujours auto-évalués. L’évaluation plutôt positive de la santé parmi nos participants pourrait refléter leur appréciation du système de santé Suisse plus performant et accessible que le système de santé qu’ils ont connu au pays d’origine. Deuxièmement, on pourrait soutenir que les participants concentrent leurs évaluations de santé sur sa dimension fonctionnelle ou somatique : ils doivent être en bonne santé pour pouvoir travailler, ce qui est la principale motivation de leur migration. Néanmoins, les niveaux assez élevés de dépression par rapport à la population générale montrent que ces groupes font face à des nombreux défis, et que la régularisation peut atténuer les facteurs de stress pesants sur leur santé mentale.
En termes de limites, nos constats sont spécifiques au contexte suisse et au cas de Genève. De plus, les situations des participants étaient très hétérogènes- en termes d’âge, d’origine et secteurs de travail (construction, travail domestique, restauration).
Nos résultats permettent de souligner l’importance de réduire les facteurs de stress affectant les sans-papiers. Alors que les politiques de régularisation tels que l’Opération Papyrus peuvent être une solution pour améliorer leur santé mentale, une politique plus spécifiquement axée sur les besoins des sans-papiers en matière de santé mentale et des solutions politiques ciblées peuvent déjà améliorer leur situation.
Plus d’information sur l’étude Parchemins: https://cigev.unige.ch/recherches/research-l/health/parchemins
Références:
Confédération Suisse (2020), Pour un examen global de la problématique des sans-papiers. Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 12 avril 2018 (18.3381), Bern, https://www.parlament.ch/centers/eparl/curia/2018/20183381/Bericht%20BR%20F.pdf
Consoli, L., Burton-Jeangros, C. et Jackson, Y. (2022). Quand la conception des possibles s’élargit: aspirations et futurs imaginés des sans-papiers candidat-e-s à la régularisation. Revue Suisse de Sociologie, 48(2), 353-376.
Patler, C., & Pirtle, W. L. (2018). From undocumented to lawfully present: Do changes to legal status impact psychological wellbeing among latino immigrant young adults?. Social Science & Medicine, 199, 39-48.10.1016/j.socscimed.2017.03.009
Torres, S. A., Santiago, C. D., Walts, K. K., & Richards, M. H. (2018). Immigration policy, practices, and procedures: The impact on the mental health of Mexican and Central American youth and families. American Psychologist, 73(7), 843.https://doi.org/10.1037/amp0000184
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