Où trouve-t-on les votant·e·s suisses types? Analyse des cantons “baromètres”

L’i­dée de cir­con­scrip­ti­ons élec­to­ra­les “baromè­tres” est très répan­due aux États-Unis, où les médi­as s’in­téres­sent beau­coup aux États ou com­tés dont le résul­tat du vote pré­sen­te la plus gran­de cor­re­spondance avec le vote au niveau natio­nal lors de l’élec­tion pré­si­den­ti­el­le. La maxi­me as Mai­ne goes, so goes the nati­on a d’ail­leurs long­temps fait figu­re d’axio­me. Si l’i­dée de cir­con­scrip­ti­ons baromè­tres a plu­tôt été envi­sa­gée dans le cad­re d’élec­tions, on peut aus­si l’ap­p­li­quer au à la démo­cra­tie direc­te suis­se, afin de savoir dans quel(s) canton(s) l’on vote le plus com­me au niveau national.

Si elles ne per­met­tent pas de pré­dire le résul­tat du vote au niveau natio­nal, les cir­con­scrip­ti­ons élec­to­ra­les “baromè­tres” peu­vent néan­moins aider à l’anti­ci­per. Il n’est donc pas rare que les chercheur·euse·s et jour­na­lis­tes s’in­téres­sent aux cir­con­scrip­ti­ons qui pos­sè­dent des pro­prié­tés, en ter­mes de com­po­si­ti­on de l’o­pi­ni­on publi­que, qui les ren­dent plus sus­cep­ti­bles de rend­re comp­te des ten­dan­ces au niveau national.

Si l’i­dée de cir­con­scrip­ti­ons baromè­tres a plu­tôt été envi­sa­gée dans le cad­re d’élec­tions, notam­ment aux États-Unis, nous l’ap­p­li­quons ici au cas de la démo­cra­tie direc­te suis­se, qui pré­sen­te cer­tai­nes simi­la­ri­tés avec le con­tex­te élec­to­ral amé­ri­cain. Tout d’a­bord, tout com­me les élec­tions dans un sys­tème bipar­ti­te, les votes de démo­cra­tie direc­te se carac­té­ri­sent par un résul­tat bin­aire (oui ou non), ce qui rend l’i­den­ti­fi­ca­ti­on de cir­con­scrip­ti­ons baromè­tres plus simp­le que pour des élec­tions dans un sys­tème mul­ti­par­ti­te. De plus, les plus grands can­tons suis­ses – tout com­me les grands États amé­ri­cains – influ­en­cent plus la décisi­on de vote au niveau natio­nal. Fina­le­ment, le carac­tè­re fédé­ral et hau­te­ment décen­tra­li­sé de la Suis­se, dans laquel­le cha­que can­ton repré­sen­te un sys­tème poli­tique et par­ti­san en soi, indu­it une varia­bi­li­té nota­ble ent­re cantons.

Considérations méthodologiques

Not­re ana­ly­se s’ap­pu­ie sur 182 vota­ti­ons popu­lai­res de la péri­ode 2000–2020, par­mi les­quel­les 126 vota­ti­ons à la dou­ble majo­ri­té du peu­p­le et des can­tons. Ceci garan­tit que nos résul­tats soi­ent le plus à jour pos­si­ble, tout en cou­vrant un nombre suf­fi­sam­ment éle­vé de vota­ti­ons – et donc représentatifs.

Com­me la tail­le des can­tons suis­ses pré­sen­te de gran­des varia­ti­ons, ceux-ci n’ont pas tous la même chan­ce de se retrou­ver dans le camp des gagnant·e·s (c’est-à-dire, dans le camp du résul­tat du vote, oui ou non) lors d’u­ne vota­ti­on popu­lai­re au niveau natio­nal. Con­crè­te­ment, les plus grands can­tons com­me Zurich ou Ber­ne con­tri­bue­nt plus que les petits can­tons au résul­tat du vote, et ain­si ont une plus gran­de pro­ba­bi­li­té de se retrou­ver dans le camp majo­ri­taire. Nos cal­culs en tien­nent comp­te, afin de ne pas favo­ri­ser arbi­tr­ai­re­ment les grands cantons.

Afin de mes­u­rer com­bi­en cha­que can­ton peut ser­vir d’in­di­ca­teur pour le résul­tat du vote au niveau natio­nal, nous avons cal­cu­lé deux indi­ces (rati­os). Sui­vant Broh (1980: p. 566 et suiv.), nous avons d’a­bord cal­cu­lé la pro­por­ti­on des votes avec laquel­le un can­ton s’est trou­vé dans le camp des gagnant·e·s; puis, nous avons cal­cu­lé la pro­por­ti­on (hypo­thé­tique) avec laquel­le un can­ton aurait pu se retrou­ver dans le camp des gagnant·e·s par simp­le effet du hasard. En divi­sant la pre­miè­re pro­por­ti­on par la secon­de, on obti­ent un ratio qui nous indi­que dans quel­le mes­u­re un can­ton don­né est un can­ton “baromèt­re”. Une val­eur de “1” signi­fie que la situa­ti­on empi­ri­que obser­vée pour un can­ton don­né ne dif­fè­re pas du hasard, tan­dis qu’u­ne val­eur supé­ri­eu­re à “1” indi­que que celui-ci s’est retrou­vé plus sou­vent dans le camp du vain­queur que par simp­le hasard. Selon une pro­cé­du­re simi­lai­re, nous avons ensui­te cal­cu­lé un second indi­ce, en ten­ant comp­te cet­te fois-ci de l’é­cart du vote en pour­cen­ta­ge de voix ent­re un can­ton don­né et le résul­tat au niveau natio­nal. Pour ce second indi­ce, plus la val­eur est pro­che de 0, plus l’é­cart dans le can­ton et le résul­tat au niveau natio­nal est petit.

As Basel Country goes, so goes the nation?

Le gra­phi­que 1 ci-des­sous pré­sen­te la val­eur de ces indi­ces pour les 26 can­tons. Les can­tons se trou­vant en haut à droi­te du gra­phi­que sont ceux qui s’ap­pro­chent en moy­enne le plus du résul­tat du vote au niveau natio­nal – et sont donc les mei­lleurs can­tons “baromè­tres” – tan­dis que ceux qui se trou­vent en bas à gau­che du gra­phi­que sont ceux qui s’é­car­tent géné­ra­le­ment le plus du résul­tat national.

Selon not­re ana­ly­se, le can­ton de Bâle-Cam­pa­gne, avec une val­eur de 1.73 pour le pre­mier indi­ce et de 0.10 pour le second, est celui qui pré­sen­te le mei­lleur pou­voir indi­ca­tif du résul­tat du vote au niveau fédé­ral. Sur les 182 vota­ti­ons con­sidé­rées, Bâle-Cam­pa­gne a été dans le camp du vain­queur dans 94 % des cas et l’é­cart moy­en ent­re le pour­cen­ta­ge de voix (oui ou non) au niveau du can­ton et le pour­cen­ta­ge de voix (oui ou non) au niveau natio­nal s’est limi­té à 2.5 points de pour­cen­ta­ge. Le can­ton de Soleu­re suit de prêt avec des indi­ces de 1.70 et 0.15 (94.5 % des cas dans le camp vain­queur et écart moy­en en ter­mes de pour­cen­ta­ge de voix de 3.7 points.)

A l’op­po­sé, on trouve le can­ton de Genè­ve, qui n’a été dans le camp du vain­queur “que” dans 76.4 % des cas et dont l’é­cart moy­en en ter­mes de pour­cen­ta­ge de voix a été de 9.9 points de pour­cen­ta­ge. Si ces résul­tats mon­t­rent qu’il exis­te une cer­tai­ne homo­gé­né­i­té du vote en Suis­se (même le can­ton le plus éloi­g­né du trend natio­nal s’est retrou­vé dans le camp majo­ri­taire dans trois quarts des cas), cer­tains can­tons (Bâle-Cam­pa­gne, Soleu­re ou encore les Gri­sons et Schaff­house) se démar­quent néan­moins com­me étant les can­tons “types” de la Suisse.

Graphique 1: Relation entre les deux indices “baromètres”
Source: nos propres calculs sur la base de données Swissvotes et de l’OFS.
Pour aller plus loin…

Pour­quoi cer­tains can­tons sont-ils de mei­lleurs baromè­tres du résul­tat du vote au niveau fédé­ral que d’au­tres – tels que Genè­ve? Les rai­sons sont poten­ti­el­lement mul­ti­ples. Dans le cha­pit­re de liv­re duquel est tiré cet arti­cle, nous en avons iden­ti­fié deux : la distance idéo­lo­gi­que ent­re les pré­fé­ren­ces de l’élec­to­rat de cha­que can­ton et la posi­ti­on idéo­lo­gi­que de l’élec­to­rat suis­se moy­en, ain­si que le fait d’êt­re un can­ton pivot (ou swing sta­tes), c’est-à-dire un can­ton sus­cep­ti­ble de fai­re bas­cu­ler la majo­ri­té en cas de vota­ti­on à la dou­ble majo­ri­té du peu­p­le et des cantons.

Référence:
  • Broh, C. Antho­ny. 1980. Whe­ther Bell­we­thers or Wea­ther-jars Indi­ca­te Elec­tion Out­co­mes. Poli­ti­cal Rese­arch Quar­ter­ly 33(4): 564–570

Note: Cet arti­cle est la ver­si­on écri­te abré­gée du cha­pit­re du liv­re “Wo die typi­schen Schwei­zer Stimmbürger:innen woh­nen: Eine «Bellwether»-Analyse der Schwei­zer Kan­to­ne.”, in: Schaub Hans-Peter/­Bühl­mann Marc (Hrsg.). Direk­te Demo­kra­tie in der Schweiz, Neue Erkennt­nis­se aus der Abstim­mungs­for­schung. Zürich: Seismo. 

Image: OFS

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