Quatre Questions pour mieux Comprendre l’Adhésion Possible de l’Ukraine à l’UE

Le 9 avril der­nier, la pré­si­den­te de la Com­mis­si­on euro­péen­ne Ursu­la von der Ley­en s’est ren­due à Kiev et a remis au pré­si­dent ukrai­ni­en Zelen­skyy le ques­ti­onn­aire de pré-adhé­si­on à l’UE. Elle a décla­ré : “C’est ici que com­mence vot­re che­min vers l’U­ni­on euro­péen­ne”. Elle a éga­le­ment décla­ré : “Nous som­mes prêts à vous aider à rem­plir ce ques­ti­onn­aire”, et a ajou­té que ce ne serait pas, “com­me d’ha­bitu­de, une ques­ti­on d’an­nées, mais plu­tôt une ques­ti­on de semai­nes” pour fran­chir cet­te étape. Que signi­fie cet­te décla­ra­ti­on et quel impact cela pour­rait-il avoir sur le dérou­le­ment du pro­ces­sus d’ad­hé­si­on de l’U­krai­ne à l’UE ? Décryp­tage en quat­re questions.

  1. Est-il pos­si­ble pour l’U­krai­ne d’ac­cé­lé­rer son adhé­si­on à l’UE ? La décla­ra­ti­on d’Ur­su­la von der Ley­en impli­que-t-elle un enga­ge­ment for­mel de l’UE envers l’Ukraine ?

Ici, la répon­se cour­te est non. Et la décla­ra­ti­on d’Ur­su­la von der Ley­den n’est pas une pro­mes­se d’ad­hé­si­on à l’UE. Il s’a­git plu­tôt d’u­ne con­fir­ma­ti­on que l’UE va exami­ner la can­di­da­tu­re de l’U­krai­ne à l’UE. L’U­krai­ne n’é­tait même pas con­sidé­rée com­me can­di­dat poten­ti­el avant cela, il s’a­git donc d’u­ne étape importan­te. Mais il s’a­git plus d’u­ne étape sym­bo­li­que que con­trai­gnan­te. Bien sûr, il est important pour l’U­krai­ne dans ce con­tex­te d’in­va­si­on par la Rus­sie d’êt­re recon­nue com­me un Etat Euro­péen, un can­di­dat poten­ti­el à l’ad­hé­si­on, et com­me allié de l’UE. Mais cet­te situa­ti­on excep­ti­on­nel­le ne don­ne­ra pas à l’U­krai­ne un rac­cour­ci vers l’ad­hé­si­on. En tout état de cau­se, la pré­si­den­te de la com­mis­si­on suit actu­el­lement le pro­ces­sus nor­mal en com­men­çant par exi­ger de l’U­krai­ne les répon­ses à ce ques­ti­onn­aire pré­li­min­aire. Pour le moment, l’UE n’off­re donc pas de trai­te­ment spé­cial à l’Ukraine.

  1. Si l’U­krai­ne devait rejoind­re l’UE dans un délai rac­cour­ci, com­bi­en de temps cela pour­rait-il prend­re et com­ment cela pour­rait-il être réalisé ? 

Il n’y a pas de “voie rapi­de” vers l’ad­hé­si­on à l’UE. Le pro­ces­sus d’é­lar­gis­se­ment est un long che­min de trans­for­ma­ti­on, pas une voie rapi­de. Il exis­te tou­te­fois une étape inter­mé­di­ai­re, le sta­tut de “can­di­dat”. Il s’a­git d’u­ne étape plus modes­te mais très importan­te du pro­ces­sus, car elle per­met aux pays can­di­dats d’ac­cé­der à une aide finan­ciè­re et struc­tu­rel­le importan­te de l’UE, dédiée à encou­ra­ger les réfor­mes insti­tu­ti­on­nel­les et les pro­grès vers l’ad­hé­si­on. L’U­krai­ne pour­rait obtenir le sta­tut d’É­tat can­di­dat dans les pro­chai­nes semai­nes ou les pro­chains mois, une fois que le pro­ces­sus for­mel sera mis en rou­te. Sans dou­te est-il bon d’a­jou­ter ici que le rappro­che­ment n’au­rait pas été aus­si rapi­de pour cet­te étape spé­ci­fi­que du pro­ces­sus si la Rus­sie n’a­vait pas envahi l’U­krai­ne. Il s’a­git donc dans ce cas d’u­ne réel­le accé­lé­ra­ti­on. Cepen­dant, pas­ser du sta­tut d’É­tat can­di­dat à celui d’É­tat membre est beau­coup plus long et dif­fi­ci­le, et c’est là que le cal­en­dri­er sera plus puni­tif en ter­mes de durée du pro­ces­sus d’adhésion.

  1. Cer­tai­nes des étapes de l’ad­hé­si­on à l’UE peu­vent-elles être sim­pli­fiées ou nég­li­gées ? Quel­les sont les étapes essentielles ?

En rem­plis­sant le ques­ti­onn­aire de préad­hé­si­on, l’U­krai­ne va main­ten­ant ent­a­mer offi­ci­el­lement le pro­ces­sus bureau­cra­tique pour deve­nir un État can­di­dat à l’UE. Ce ques­ti­onn­aire est un instru­ment for­mel par lequel la Com­mis­si­on éva­lue l’é­tat de pré­pa­ra­ti­on du pays à l’ad­hé­si­on à l’UE. Nor­ma­le­ment, l’U­krai­ne dis­po­se de trois mois pour le rem­plir avant que la Com­mis­si­on ne puis­se l’éva­lu­er. Par le pas­sé, les Etats ont sou­vent deman­dé une exten­si­on pour pou­voir rem­plir au mieux ce ques­ti­onn­aire qui peut com­prend­re plus de 4000 ques­ti­ons. Dans ce cas, on peut s’at­tendre plu­tôt à ce que le pro­ces­sus se fas­se en accé­lé­ré, et que la com­mis­si­on soit satis­fai­te par la preuve que le pays rem­plit les exi­gen­ces éco­no­mi­ques, démo­cra­ti­ques et socia­les à un niveau accep­ta­ble. Par cont­re, une fois le ques­ti­onn­aire rem­pli, de nombreu­ses étapes doiv­ent encore être fran­chies avant que l’ad­hé­si­on de l’U­krai­ne ne soit effec­ti­ve. L’U­krai­ne pour­rait d’a­bord être recon­nue com­me un can­di­dat poten­ti­el, ce qui signi­fie qu’el­le pour­rait se voir off­rir la per­spec­ti­ve d’ad­hé­rer à l’UE “lors­qu’el­le sera prê­te”, ce qui res­te ouvert à inter­pré­ta­ti­on, et ne don­ne aucu­ne limi­te de temps.

Alter­na­ti­ve­ment, elle pour­rait pas­ser, après examen, au sta­tut de can­di­dat offi­ciel, ce qui signi­fie qu’el­le com­men­ce­r­ait à négo­cier avec l’UE ses con­di­ti­ons d’ad­hé­si­on. Lors­que les Etats com­men­cent à négo­cier, ils ouvrent les “cha­pi­tres” de l’ac­quis com­mu­n­au­taire, qui repré­sen­tent dif­férents aspects du cor­pus légis­la­tif de l’UE (la légis­la­ti­on euro­péen­ne). Les con­di­ti­ons vont de l’é­co­no­mie à la libre cir­cu­la­ti­on, en pas­sant par les droits de l’hom­me et les rela­ti­ons avec les Etats tiers. Un pays doit rem­plir tou­tes les con­di­ti­ons énon­cées dans cha­cun des 35 cha­pi­tres de l’ac­quis avant de pou­voir rejoind­re l’UE. Actu­el­lement, les négo­cia­ti­ons com­men­cent par la libre cir­cu­la­ti­on des mar­chan­di­ses, puis se pour­suiv­ent avec les lois sur la pro­prié­té intel­lec­tu­el­le, la liber­té de cir­cu­la­ti­on des tra­vail­leurs, etc., cha­que étape réus­sie de la négo­cia­ti­on men­ant à l’ou­ver­tu­re d’un nou­veau cha­pit­re. Il s’a­git d’un pro­ces­sus très long et dif­fi­ci­le de tran­si­ti­on poli­tique et éco­no­mi­que et de mise à niveau pour répond­re aux nor­mes de l’UE. Par exemp­le, les Etats des Bal­kans qui ont posé leur can­di­da­tu­re au début des années 2000 ont très peu pro­gres­sé vers l’ad­hé­si­on et leur can­di­da­tu­re à l’UE res­te pour l’in­stant un objec­tif encore loin­tain. En ce qui con­cer­ne les pro­chai­nes vagues d’é­lar­gis­se­ment, on ne s’at­tend pas à ce que ce pro­ces­sus pren­ne moins de 10 à 20 ans pour être ache­vé. Il n’e­xis­te pas de rac­cour­ci pour le pro­ces­sus d’é­lar­gis­se­ment, sauf si le pays can­di­dat est déjà une démo­cra­tie très avan­cée sou­te­nue par une for­te éco­no­mie de mar­ché, et un soli­de Etat de droit, ce qui serait le cas pour la Suis­se ou la Nor­vè­ge par exemp­le. Cepen­dant, ces Etats n’ont pas, pour l’in­stant, expri­mé le désir de joind­re l’Union.

  1. Pour l’U­krai­ne, quels sont les princi­paux obsta­cles et défis à l’ad­hé­si­on à l’UE ?

Le princi­pal obsta­cle à l’ad­hé­si­on de l’U­krai­ne à l’UE est que son entrée dans l’U­ni­on remet­trait en cau­se la sta­bi­li­té euro­péen­ne. Lors­que huit pays d’Eur­o­pe ori­en­ta­le ont rejoint l’UE en 2004 et 2007, c’é­tait dans le con­tex­te de la réuni­fi­ca­ti­on de l’Eur­o­pe et de la vic­toire des val­eurs occi­den­ta­les suite à la chu­te du mur de Ber­lin. Aujour­d’hui, la situa­ti­on géo­po­li­tique est beau­coup plus ten­due. L’U­krai­ne se trouve au milieu de deux zones d’in­flu­ence, avec d’un côté la Rus­sie, et de l’aut­re l’UE, sou­te­nue par l’O­TAN. La Rus­sie exer­ce une for­te influ­ence sur la poli­tique inté­ri­eu­re de l’U­krai­ne, et elle est un par­ten­aire éco­no­mi­que important pour le pays. Mais ces der­niè­res années, l’U­krai­ne s’est de plus en plus tour­née vers l’ou­est, et vers un ave­nir dans l’UE. Cela a pro­vo­qué des ten­si­ons avec son voi­sin de l’Est, et a con­du­it à des sou­lè­ve­ments poli­ti­ques inter­nes (la révo­lu­ti­on oran­ge de 2004, et l’Eu­ro­mai­dan en 2013–2014) ain­si qu’à une inva­si­on du ter­ri­toire par la Rus­sie (Cri­mée, 2014). Aujour­d’hui, la guer­re en Ukrai­ne sem­ble ravi­ver la pos­si­bi­li­té d’u­ne con­fron­ta­ti­on ent­re la Rus­sie et l’O­TAN, que l’Oc­ci­dent a jus­qu’à pré­sent essayé d’é­vi­ter. Mais une ques­ti­on demeu­re : jus­qu’où l’UE ira-t-elle pour pro­té­ger un pays voi­sin qui se bat actu­el­lement pour ses val­eurs ? Don­ner à l’U­krai­ne la pos­si­bi­li­té d’en­vi­sa­ger un ave­nir Euro­péen serait une décisi­on clé dans ce pro­ces­sus, et cela pas­se néces­saire­ment par cet­te pre­miè­re étape importan­te qu’est lui off­rir le sta­tut de pays can­di­dat à l’adhésion.

Marie-Eve Bélan­ger est cher­cheu­se seni­or au Cent­re d’étu­des com­pa­rées et inter­na­tio­na­les de l’ETH Zürich et au Dépar­te­ment de sci­ence poli­tique et rela­ti­ons inter­na­tio­na­les de l’Uni­ver­si­té de Genè­ve et con­tri­bue au pro­jet nccr – on the move The Impact of the COVID ‑19 Pan­dé­mie des dis­cours limitro­phes sur la migra­ti­on et la mobi­li­té en Euro­pe. Ses recher­ches actu­el­les por­tent sur la poli­ti­sa­ti­on des fron­tiè­res euro­péen­nes et l’ef­fet de la pan­dé­mie de Covid-19 sur les dis­cours sur les fron­tiè­res à tra­vers l’Europe.

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