Ce que tout accro de la politique devrait savoir sur les sondages

En dépit de ce qu’ils disent en public, les hommes politiques ont besoin des sondages, ils sautent dessus comme un drogué sur de l’héroïne. Lorsque je discute avec mes clients, qui sont des maires, des sénateur.trice.s et des président.e.s, je suis néanmoins souvent surpris des préjugés concernant les études d’opinion publique, alors éclaircissons quelques notions de base.

Toute campagne électorale professionnelle devrait commencer par un sondage initial (quand je dis campagne professionnelle, j’entends une campagne dont le budget est supérieur à un demi-million d’euros). Il y a des candidat.e.s qui retardent la réalisation d’un sondage surtout parce qu’ils/elles appréhendent de voir les résultats. Ils/elles veulent d’abord faire quelque chose avant d’initier un sondage. C’est l’équivalent d’un pilote qui dit qu’il n’a pas besoin du système de navigation pour décoller et qu’il ne l’enclenchera que lorsqu’il sera en l’air et ne saura plus où il est. Bonne chance avec cette stratégie !

Je trouve aussi amusant quand les gens disent qu’ils “croient aux sondages”. Ce n’est pas une question de croyance, mais de savoir ce que les sondages peuvent et ne peuvent pas vous apprendre, comment les lire, comment distinguer les sondages professionnels des sondages bâclés et comment les utiliser comme base pour une campagne électorale.

Les sondages qui sont publiés dans les médias se concentrent souvent sur la soi-disant “course de chevaux” : si l’élection avait eu lieu aujourd’hui, quel candidat ou parti l’emporterait ? La façon dont nous utilisons les enquêtes d’opinion publique dans les campagnes a un objectif différent, à savoir servir de base pour prendre des décisions stratégiques. En ce sens, les sondages peuvent vous montrer le rappel des noms, peut-être tester différents scénarios possibles et vous aider à décider si vous devez vous présenter ou non. Ils permettent d’évaluer les forces et les faiblesses des différent.e.s candidat.e.s, de définir les cibles et de connaître l’opinion des électeurs sur les principales questions. Les résultats servent ensuite de base pour la communication de campagne, l’envoi du message, l’organisation du calendrier, le positionnement et les dépenses (achat des médias).

Pendant mon séjour professionnel aux États-Unis, j’ai appris qu’en règle générale, il est judicieux d’allouer entre 10 et 15 % du budget global de la campagne à l’analyse de l’opinion publique. Dans une campagne présidentielle, cela peut impliquer un suivi quotidien. Si une campagne est locale et si les ressources sont vraiment limitées, cela peut mener à une ou deux enquêtes. Gardez également à l’esprit que les sondages ne permettent jamais de prédire les résultats des élections. En fait, une avance précoce peut refléter un avantage en termes de notoriété, qui s’estompera rapidement une fois la campagne lancée.

Plus la taille de l’échantillon est grande, plus la marge d’erreur est faible. Supposons que votre échantillonnage soit aléatoire, que vous ayez une enquête avec une marge d’erreur de +/- 3,5 % et que votre candidat.e obtienne, disons, 42 % des voix. Cela signifie que la part de voix de ce/cette candidat.e parmi l’ensemble de la population se situe entre 38,5 % et 45,5 %. En fait, comme un niveau de confiance de 95 % est devenu une sorte de norme industrielle, cela signifie qu’il y a une probabilité de 95 % que le vote se situe dans la fourchette de 38,5 % et 45,5 %, et une chance de 5 % que les résultats soient en dehors de cette fourchette. Rien de plus et rien de moins.

Certain.e.s politicien.ne.s ne se soucient pas de la marge d’erreur et réalisent des sondages avec des échantillons ridiculement petits. La marge d’erreur devient alors si grande que les résultats apparaissent scientifiques mais sont pratiquement dénuées de sens. D’un autre côté, il y a des gens qui croient en des échantillons de grande taille. Ce n’est pas mauvais en soi, mais cela devient coûteux. En règle générale, 600 interviews sont le strict minimum à mon avis pour une enquête politique dans une localité. L’avantage d’un échantillon de plus grande taille est qu’il permet un ciblage géographique et socio-économique plus précis.

Certain.e.s politicien.ne.s supposent à tort que la taille de l’échantillon est le seul facteur affectant la qualité d’une enquête. En réalité, il y a bien d’autres aspects à prendre en compte : la qualité et la fluidité du questionnaire, les traductions de celui-ci et, bien sûr, l’échantillonnage. La récolte des données est également d’une importance cruciale : la formation et la supervision des enquêteurs ou l’étendue de la contre-vérification. Dans les pays où je travaille, j’ai consacré beaucoup d’attention à l’établissement de partenariats solides pour la récolte des données. Il est important de bien faire toutes ces choses, car planifier une campagne, c’est comme se promener dans un labyrinthe : si vous prenez un mauvais virage au début (=baser votre stratégie sur une recherche erronée), tout ce qui suit sera également mauvais.

Dr. Louis Perron est un politologue, consultant et conférencier TEDx basé à Zurich.

image_pdfimage_print
CatégoriesComportement politiqueThèmes
, , , , ,