Sept leçons sur la gestion de crises politiques

En tant que con­sul­tant poli­tique, j’ai été amené à tra­vail­ler pour des cli­ents accu­sés de tou­tes sor­tes de maux: cor­rup­ti­on, adul­tè­re, alcoo­lisme, alli­an­ces dou­teu­ses, recru­tement d’employés fan­tô­mes ou par­ti­ci­pa­ti­on à des pro­jets anor­ma­le­ment coû­teux. Il est aus­si arri­vé qu’on repro­che à mes cli­ents d’êt­re trop jeu­nes, trop vieux, d’êt­re en pos­te depuis trop long­temps, de ne pas être de la régi­on ou d’êt­re trop dog­ma­ti­ques. Dans cet arti­cle, je pré­sen­te quel­ques leçons géné­ra­les sur la ges­ti­on de cri­ses politiques.

Il y a pres­que vingt ans, à la Gra­dua­te School of Poli­ti­cal Manage­ment de l’Uni­ver­si­té Geor­ge Washing­ton à Washing­ton D.C., j’ai eu l’op­por­tu­ni­té d’ap­prend­re un cer­tain nombre de leçons quant à la ges­ti­on des cri­ses poli­ti­ques. Depuis, je les ai mises en œuvre et vali­dées à main­tes repri­ses dans le cad­re de mon tra­vail pour des dou­zai­nes de cam­pa­gnes élec­to­ra­les, des gran­des entre­pri­ses et des grou­pes d’in­té­rêt. Comp­te tenu de l’en­vi­ron­ne­ment média­tique actu­el, où les car­ri­è­res poli­ti­ques peu­vent être détrui­tes en seu­le­ment quel­ques semai­nes, ces leçons me sem­blent plus uti­les que jamais. Les cas de Geri Mül­ler, Jonas Fri­cker, Alfred Heer, Roman Bur­ger, Yan­nick But­tet, Bru­no Zup­pi­ger, Géral­di­ne Sava­ry et Pierre Mau­det illus­trent bien que le « nega­ti­ve cam­pai­gning » est éga­le­ment omni­pré­sent chez nous.

Leçon 1 : diffuser la bonne nouvelle

Si les gens croi­ent les rumeurs et les scan­da­les pré­su­més, cela signi­fie que dans le cad­re d’une cam­pa­gne ou d’une orga­ni­sa­ti­on, vous n’a­vez pas dif­fu­sé suf­fi­sam­ment de bon­nes nou­vel­les. Voi­là pour­quoi ce sont sou­vent les nou­veaux can­di­dats qui ne sont pas bien défi­nis aux yeux du public qui sont les plus vul­né­ra­bles aux scan­da­les. La mei­lleu­re stra­té­gie d’i­no­cu­la­ti­on cont­re une éven­tu­el­le cri­se con­sis­te donc à dif­fu­ser davan­ta­ge de bon­nes nouvelles.

Leçon 2 : obtenir les faits rapidement

Au cent­re d’u­ne situa­ti­on de cri­se se trouve géné­ra­le­ment une accu­sa­ti­on ou un scan­da­le (pré­su­mé). Lors­qu’u­ne cri­se écla­te (point de non-retour), il est important d’ob­tenir les faits et de les obtenir aus­si rapi­de­ment que pos­si­ble. En tant que con­sul­tant, je dois con­naît­re la dure véri­té. C’est com­me mar­cher dans un laby­rin­the. Si vous pre­nez un mau­vais vira­ge au début, tout ce qui suit sera éga­le­ment mau­vais. Plus une accu­sa­ti­on cont­re­dit l’i­mage publi­que, plus elle est dangereuse.

Leçon 3 : ne réagissez pas de manière défensive

Dans de nombreux cas, la per­son­ne accu­sée se met en mode défen­se et nie instinc­ti­ve­ment l’ac­cu­sa­ti­on. Bien qu’il s’a­gis­se d’u­ne réac­tion très natu­rel­le, elle aggra­ve sou­vent la situa­ti­on. Par­fois, c’est le men­son­ge instanta­né qui déclen­che le véri­ta­ble pro­blè­me. Même dans le cas d’en­tre­ti­ens embu­s­ca­des, il est important de prend­re un moment pour réflé­chir et pour prend­re le con­trô­le de la situation.

Leçon 4 : distinguer la stratégie juridique de la stratégie de communication

Dans cha­que cri­se, nous devons fai­re la dis­tinc­tion ent­re une stra­té­gie juri­di­que et une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­ti­on. Les avo­cats veu­lent géné­ra­le­ment en dire le moins pos­si­ble et, selon le cas, cela peut être la mei­lleu­re cho­se à fai­re. Mais une stra­té­gie juri­di­que n’est pas une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­ti­on car, en ter­mes de com­mu­ni­ca­ti­on, “pas de com­men­taire” est géné­ra­le­ment per­çu com­me un aveu de cul­pa­bi­li­té. Les avo­cats ne dev­rai­ent donc jamais rédi­ger seuls le com­mu­ni­qué de presse.

Leçon 5 : reconnaître l’environnement médiatique d’aujourd’hui

Il arri­ve que cer­tains médi­as mènent de véri­ta­bles cam­pa­gnes poli­ti­ques. Dans ce cas, il est pré­fé­ra­ble de répond­re par un aut­re canal média­tique. Mais il ne faut pas oublier que la con­cur­rence pour les infor­ma­ti­ons est aus­si com­pé­ti­ti­ve que la con­cur­rence pour les votes. Aut­re­fois, le cycle des actua­li­tés était de 24 heu­res. Aujour­d’hui, le cycle des actua­li­tés est pres­que inin­ter­rom­pu. N’ou­bliez jamais que les images font l’ac­tua­li­té et que, de nos jours, elles peu­vent deve­nir vira­les très rapidement.

Leçon 6 : c’est ok de se défendre

Per­son­ne n’a à sub­ir plus d’in­sul­tes et d’att­ein­te au droit à la vie pri­vée que les per­son­nes en poli­tique et, selon la situa­ti­on, il est tout à fait légiti­me de se défend­re. Dans de nombreux pays, le cad­re légal est en fait plu­tôt favor­able à cela. Si les accu­sa­ti­ons sont faus­ses, il faut alors appor­ter des preu­ves spé­ci­fi­ques pour pou­voir fai­re face à la situation.

Leçon 7 : comprendre quand il faut dire la vérité

De nos jours, il est deve­nu très dif­fi­ci­le de ne pas réa­gir à une situa­ti­on de cri­se. Si les accu­sa­ti­ons sont fon­dées, la mei­lleu­re stra­té­gie con­sis­te à admett­re ses err­eurs et à accep­ter sa responsa­bi­li­té (sur le plan de la com­mu­ni­ca­ti­on, pas sur le plan juri­di­que). Plus vite vous le fai­tes, et plus vous le fai­tes de bon cœur, plus les gens sont prêts à par­don­ner. Ce n’est pas le moment de blâ­mer les autres, mais de pro­mett­re des actions con­crè­tes afin de mett­re un ter­me à la crise.

Au final, tout n’est pas scan­da­le ou situa­ti­on de cri­se. Une cam­pa­gne, une orga­ni­sa­ti­on ou une socié­té n’a pas à répond­re à cha­que mes­sa­ge, tweet ou accu­sa­ti­on. Par exemp­le, j’ai été con­fron­té à une situa­ti­on où l’é­qui­pe de cam­pa­gne était par­ti­cu­liè­re­ment obsé­dée par une accu­sa­ti­on dif­fu­sée à la radio alors que les étu­des des grou­pes de dis­cus­sion mon­trai­ent que les élec­teurs s’en sou­ci­ai­ent peu ou n’é­tai­ent même pas au courant.

 

Dr. Lou­is Per­ron est poli­to­lo­gue, con­sul­tant et con­fé­ren­cier TEDx basé à Zurich. Il est l’au­teur du liv­re How to Over­co­me the Power of Incum­ben­cy in Elec­tion Cam­pai­gns, publié par l’éditeur alle­mand Nomos.

 

 

 

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