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Quel avenir pour la réforme de la prévoyance vieillesse en Suisse? Leçons à tirer des expériences faites en Suisse et en Europe

Thomas Widmer, Silja Häusermann
29th March 2018

Le peuple suisse a refusé le 24 septembre 2017 le projet de réforme de la prévoyance vieillesse 2020. Certaines réserves, émises à droite comme à gauche, l’ont fait échouer à une mince majorité. La réforme de la prévoyance vieillesse donne lieu à de vives discussions chez les spécialistes de la science politique suisse. Un débat à ce sujet, ouvert par la Revue suisse de science politique, aborde les questions de savoir comment clarifier et gérer cette problématique.

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La votation du 24 septembre 2017 s’inscrit dans une série d’échecs des tentatives de réforme de la prévoyance vieillesse. Depuis 1997, il n’a plus été possible de procéder à une réforme de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), premier pilier de la prévoyance vieillesse en Suisse. En 2004, le peuple suisse a refusé la 11e révision de l’AVS. En 2010, une nouvelle tentative a subi un échec déja au Parlement.

En ce qui concerne la prévoyance professionnelle, deuxième pilier de la prévoyance vieillesse, la situation ne se présente pas sous un jour plus favorable: un projet de réforme de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) a également essuyé en 2010 un rejet massif dans les urnes.

Un besoin de réforme incontesté, une approche controversée

Le besoin de réforme est reconnu sans conteste depuis longtemps déjà, mais la pression dans ce sens n’a cessé de croître du fait de divers changements touchant la société, notamment de l’évolution démographique. Dans ce contexte, les scénarios deviennent de plus en plus alarmants et font apparaître toujours plus proche l’imminence d’une situation critique due à un déséquilibre financier de la prévoyance vieillesse.

Vu les échecs antérieurs des projets qui proposaient des réformes séparées, le Conseil fédéral a opté, dans sa nouvelle tentative, pour une solution intégrale: réformer à la fois le premier pilier et le deuxième pilier dans le cadre d’un projet d’ensemble équilibré, dénommé Prévoyance vieillesse 2020.

Mais cette manière de procéder, elle non plus, n’a pas été couronnée de succès, même si les résultats des scrutins populaires concernant les deux projets ont été plus serrés que lors des référendums antérieurs.

Débat dans la Revue suisse de science politique

Le peuple suisse ayant une nouvelle fois rejeté une proposition touchant à un problème aussi important qu’urgent, les acteurs politiques sont amenés à se demander comment il sera possible, à l’avenir, de trouver des solutions gagnantes. C’est la raison pour laquelle, dans son édition actuelle, la Revue suisse de science politique aborde cette problématique dans une optique scientifique. Selon diverses perspectives et compte tenu de données scientifiques probantes, des experts y exposent les enseignements qui, du point de vue de la pratique politique, peuvent être tirés de ces faits en vue de surmonter les résistances à la réforme.

Les deux premiers articles tirent des leçons des expériences du passé, en Suisse et dans d’autres pays. Klaus Armingeon se penche sur la question sous l’angle historique et identifie des facteurs d’ordre institutionnel propres à expliquer le peu de capacité de réforme de la prévoyance vieillesse en Suisse. Il met en évidence les entraves que, dans le système politique suisse de conception fédéraliste et son régime de démocratie directe, les nombreuses positions de veto peuvent poser à la mise en œuvre de réformes progressistes.

Dans son article consacré à l’évolution des régimes de retraite sur le plan international, en particulier au Danemark, en Allemagne et en Italie, David Natali met clairement en évidence le fait que, dans d’autres pays également, les réformes de la prévoyance vieillesse sont sujettes à controverse et politiquement très disputées. Son article montre en outre que, lorsqu’elles sont faiblement ancrées dans la vie politique, les réformes des systèmes de retraite sont toujours menacées politiquement et ne sont pas irréversibles. Ce risque, il est vrai, est moins prononcé en Suisse qu’ailleurs étant donné que la démocratie directe, institution rétive aux réformes, y exerce un effet dit “de rochet”: une fois un régime établi, il est aussi difficile de le transformer qu’il a été difficile de le mettre en place (cf. Armingeon 2018).

Dans l’optique des sciences actuarielles, Martin Eling explique qu’à moins d’une réforme en profondeur, la prévoyance vieillesse en Suisse sera inévitablement exposée à de graves problèmes financiers. Dans son article, il indique quelles sont en principe les possibilités de réforme et il commente les raisons pour lesquelles certaines mesures (telles que le relèvement de l’âge de la retraite) paraissent politiquement peu réalistes. Comment est-il politiquement possible de faire accepter des mesures qui impliquent inéluctablement de douloureuses coupes budgétaires?

Et comment peut-on y parvenir dans un système politique offrant les possibilités de participation propres à la démocratie directe, c.-à-d. où la difficulté ne consiste pas seulement à dégager, au sein de la classe politique, une coalition minimale gagnante en faveur d’un projet de réforme, mais encore à amener les citoyennes et les citoyens à accepter la réforme visée? D’où la question de la formation de l’opinion individuelle sur laquelle se focalisent deux autres articles.

La contribution au débat présentée par Silja Häusermann, Thomas Kurer, Michael Pinggera et Denise Traber expose, sans aucune équivoque, à quel point est semée d’embûches la démarche politique visant, dans le domaine social, à des réformes réussies qui aboutissent à une consolidation financière. Car und grande majorité de la population se prononce aussi bien contre l’abaissement des rentes que contre le relèvement de l’âge de la retraite ou la réduction du taux de conversion. Le Conseil fédéral et le Parlement se sont efforcés sans succès de compenser par des recettes supplémentaires les réductions prévues. Häusermann et al. mettent en évidence les effets de certaines variantes de réforme sur l’acceptation du train de réformes.

Pascal Sciarini tire les leçons des différentes analyses du scrutin de septembre 2017 quant à la formation de l’opinion sur le plan individuel et aux effets possibles de la campagne de votation. S’appuyant essentiellement sur trois enquêtes consacrées au scrutin fédéral du 24 septembre 2017 mais effectuées selon des méthodes différentes, son article porte un regard critique sur les constats concordants et divergents de l’analyse et sur leur consistance.

Enfin, l’article de Thomas Widmer et Silja Häusermann récapitule les conclusions des différentes contributions au débat, à partir desquelles il esquisse des pistes possibles pour le développement durable de la prévoyance vieillesse en Suisse. L’article se termine par une proposition – qui n’a guère été discutée jusqu’à présent – visant à coupler l’âge de la retraite avec le niveau de formation ou de revenu. L’argument de Widmer et Häusermann est que, du point de vue économique comme sous l’angle de la politique sociale et de la tactique de concertation, une telle proposition pourrait adéquatement répondre aux conditions de succès d’une réforme telles qu’elles ont été exposées dans le débat.


Références:

Photo: Pixabay.