De la niche au grand public ? L’importance des médias sociaux pour les citoyen·ne·s suisses
Gabriel Hofmann, Daniel Kübler
24th June 2025

Les médias sociaux prennent de plus en plus d’importance dans les campagnes de votation, mais encore peu de citoyen·ne·s les utilisent comme sources d’information. Cela pourrait toutefois changer rapidement à l’avenir, car parmi les groupes d’âge plus jeunes, beaucoup s’informent aujourd’hui déjà via les médias sociaux. Cela serait un moment opportun pour discuter de la réglementation qui permettrait aux médias sociaux d’apporter leur contribution à l’avenir à une bonne information des citoyen·ne·s.
Michaela Fischer a récemment démontré ici la façon dont les campagnes se déplacent des médias traditionnels vers les médias numériques en général et les médias sociaux en particulier : Les informations sont de plus en plus disponibles en ligne et non plus seulement de manière analogique. Nicolas Keuffer et Luzia Helfer ont poursuivi cette étude entre autres ici et montré que les citoyen·ne·s s’informent effectivement de plus en plus via des sources numériques. Selon les deux auteurs, les citoyen·ne·s utilisent toutefois le plus souvent les informations officielles des autorités et les médias sociaux ne jouent qu’un rôle secondaire. C’est là qu’intervient le présent article argumentant que l’influence prétendument faible des médias sociaux ne doit pas être sous-estimée et qu’une discussion sur la réglementation des médias sociaux devrait être menée. Pour ce faire, nous utilisons des données issues de l’enquête post-votation sur l’Initiative populaire pour la responsabilité environnementale (IRE) du 9 février 2025, réalisée dans le cadre du projet DDS-21 (voir l’infobox).
Le graphique 1 montre que lors de la votation sur l’IRE, bien que peu de citoyen·ne·s aient utilisé les médias sociaux pour se forger une opinion, une majorité a utilisé les médias sociaux à d’autres fins. Cette fréquence d’utilisation lors de l’IRE est comparable aux fréquences d’utilisation lors d’autres votations (selon les données de DDS-21 sur d’autres votations) et indique à première vue un rôle secondaire des médias sociaux. Leur rôle lors des votations en Suisse ne devrait toutefois pas être sous-estimé, et ce pour deux raisons. Premièrement, dans le groupe d’âge le plus jeune, environ un tiers des votant·e·s a utilisé les médias sociaux de manière ciblée pour s’informer sur l’objet de la votation. Parallèlement, seuls 10 % environ n’ont pas du tout utilisé les médias sociaux. L’utilisation ciblée pour des informations politiques est plus faible dans les groupes d’âge supérieurs, alors que la part des votant·e·s qui utilisent les médias sociaux à d’autres fins est élevée dans tous les groupes d’âge. Uniquement les citoyen·ne·s de plus de 65 ans n’ont pas utilisé les médias sociaux sous quelque forme que ce soit. Ainsi, les médias sociaux n’ont été décisifs que pour un petit nombre de citoyen·ne·s pour obtenir des informations politiques avant les votations, mais étant donné que les habitudes médiatiques sont relativement stables (Ghersetti et al 2018), cela va probablement changer à l’avenir, ce qui conférera un rôle plus important aux médias sociaux.
Graphique 1: Utilisation des réseaux sociaux avant les votes
Utilisation des médias sociaux avant la votation sur l’« initiative pour la responsabilité environnementale » , par but et par âge (Question 1 : « Parmi les sources d’information suivantes, lesquelles avez-vous utilisées pour vous informer avant la votation ? (Plusieurs choix possibles) » Médias sociaux et applications messenger ; si vous avez répondu non à la question 1 Vous avez déclaré ne pas utiliser les médias sociaux comme source d’information. Avez-vous néanmoins utilisé les médias sociaux d’une manière ou d’une autre avant les votes, quel qu’en soit le but ? Oui; données : DDS-21, CSS6)
Deuxièmement, on peut supposer que l’utilisation des médias sociaux dans les enquêtes est généralement sous-estimée. En effet, les données émanent des déclarations des personnes interrogées et ces déclarations peuvent être imprécises. Du fait que ces personnes ne se souviennent pas exactement de leur utilisation réelle des médias, il est possible qu’elles répondent en fonction de l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et non de leur utilisation réelle (Prior 2013, Guess 2015). Ainsi, uniquement les sondé·e·s qui recherchent régulièrement et activement des contenus politiques sur les médias sociaux déclarent les avoir utilisé pour obtenir des informations. Mais en même temps, de nombreux votant·e·s ont indiqué utiliser les médias sociaux à d’autres fins. Ainsi, au cours de la campagne, ils/elles peuvent tout de même être confronté·e·s à des contenus politiques concernant les objets soumis au vote. Cela signifie que les informations politiques diffusées sur les médias sociaux atteignent tout de même une large partie des citoyen·ne·s.
Si nous portons maintenant un regard sur les plateformes pertinentes, seules des différences mineures apparaissent entre l’utilisation politique et l’utilisation générale des médias sociaux (graphique 2). En principe, ce sont les plateformes établies de certains fournisseurs qui sont utilisées par la majorité, les fournisseurs alternatifs ne touchant qu’un public de niche. Instagram s’avère être la plateforme la plus utilisée. Nous en concluons que les citoyen·ne·s s’informent en principe sur les plateformes qu’ils/elles fréquentent de toute façon. A l’inverse, en utilisant les plateformes en général, les citoyen·ne·s sont davantage susceptibles d’être confronté·e·s à des contenus politiques.
Graphique 2: utilisation politique des réseaux sociaux
Graphique 3: utilisation général des réseaux sociaux
des plateformes par les répondant·e·s ayant déclaré avoir utilisé les médias sociaux pour des informations politiques (Graphique 2) ou en général (Graphique 3) (Question (Si les médias sociaux ont été utilisés pour des informations sur la votation ou à d’autres fins :) Quelles plateformes et applications avez-vous utilisées [pour vous informer avant la votation] ?» ; données : DDS-21, CSS6)
En résumé, nous sommes en mesure de montrer que les médias sociaux jouent un rôle plutôt secondaire lors des votations en Suisse – en accord avec les résultats précédents. Bien que les acteurs politiques utilisent de plus en plus ces plateformes pour faire connaître leurs positions, cela n’a pour l’instant qu’un impact limité auprès des votant·e·s. Toutefois, nous partons du principe que l’importance de ces plateformes est sous-estimée par les données d’enquête. De plus, à l’avenir, l’effet de l’âge devrait faire jouer un rôle plus important à ces plateformes.
Les médias sociaux sont souvent critiqués pour la diffusion de fausses informations, pour leur capacité à diviser la société et pour leur vulnérabilité à la manipulation politique. Actuellement, ces plateformes ne sont pas réglementées. Si les médias sociaux prennent de l’importance à l’avenir, le moment serait donc opportun pour lancer un débat social et politique sur une éventuelle réglementation de ces plateformes, ceci dans le but de garantir un standard minimal de contenu (avec des références politiques) et d’instaurer la transparence sur les moyens financiers utilisés par les acteurs·trices politiques. Si ces conditions de base sont remplies, les médias sociaux peuvent effectivement contribuer à une meilleure information des électeurs grâce à leur accessibilité.
Références bibliographiques
- Ghersetti, M. and O. Westlund (2018). Habits and Generational Media Use. Journalism Studies 19(7): 1039–58
- Guess, A. M. (2015). Measure for Measure: An Experimental Test of Online Political Media Exposure. Political Analysis 23(1): 59–75
- Prior, M. (2013). The Challenge of Measuring Media Exposure: Reply to Dilliplane, Goldman, and Mutz. Political Communication 30(4): 620–34
Image: Unsplash.com