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La campagne électorale multimédia

Clau Dermont, Fabrizio Gilardi, Lucien Baumgartner, Maël Kubli
15th November 2019

Pour toute candidature, il est aujourd’hui de bon ton d’utiliser les médias numériques. Mais quelle est l’importance réelle des plateformes numériques dans la campagne électorale en Suisse? Le Digital Democracy Lab de l’Université de Zurich a comparé, durant la campagne électorale en cours, la présence en ligne et hors ligne des partis politiques et des candidats. Et il s’avère que la campagne électorale idéale est un projet multimédia.

Deutsche Version

Dans une campagne électorale, pour les partis comme pour les candidats, tous les canaux de communication sont importants, car ils leur permettent d’atteindre des électeurs potentiels. Outre les quotidiens et hebdomadaires établis, il s’agit de plus en plus de médias numériques, qui permettent aux partis politiques d’obtenir sans trop d’efforts une grande couverture médiatique.

Mais combien de candidats sont effectivement présents sur la Toile? Et la présence dans les médias sociaux est-elle comparable à la couverture des médias traditionnels ? Telles sont les questions qu'examine le Digital Democracy Lab de l’Université de Zurich.

Collecte et analyse des données
Dans le cadre d’un projet pilote, le Digital Democracy Lab a examiné, dans les médias traditionnels et numériques, les apparitions des 4 600 candidats aux prochaines élections nationales.

Une banque de données de tous les candidats a été mise à notre disposition par Smartvote. En collaboration avec le fög (Forschungsinstitut Öffentlichkeit und Gesellschaft) à Zurich, nous avons vérifié si les candidats avaient un compte sur Facebook, Twitter ou Instagram. Le résultat est l’une des listes les plus complètes de l’activité en ligne des candidats aux élections politiques en Suisse. Les informations de tous les politiciens sur leurs comptes sont disponibles sur Github : https ://github.com/DigDemLab/chvote19_accounts.

La campagne électorale multimédia

Une grande partie des candidats aux prochaines élections se présentent donc également dans les médias sociaux. Facebook vient en premier, suivi de Twitter et Instagram. Cet ordre se confirme pour toutes les catégories d’âge et pour les deux sexes. Il existe de petites différences entre les régions linguistiques, puisque Instagram est utilisé plus fréquemment en Suisse alémanique, à la différence de la Suisse romande qui lui préfère Twitter.

Facebook est le leader incontesté : environ 65 pour cent des candidats ont un compte sur Facebook, contre 38 pour cent sur Instragram et 31 pour cent sur Twitter. Quelque 33 pour cent ont en outre leur propre site internet.

Pourtant, bien que deux tiers des candidats soient présents sur Facebook, à peine dix pour cent d’entre eux utilisent la plateforme à titre professionnel, en créant également leur propre page Facebook. Cela leur permettrait de faire de la publicité sur Facebook. Les candidats privilégient la communication directe avec leur propre réseau. Cependant, Facebook a fixé une limite de 5 000 « amis », ce qui restreint considérablement la portée des communications des candidats.

Le premier graphique montre la présence des candidats sur les différentes plateformes, classés selon les partis et les tranches d’âge.

Bien que Twitter soit beaucoup moins utilisé que Facebook, un examen plus approfondi du service de médias sociaux est intéressant. Twitter est, en Suisse, une plateforme très politisée : profession­nels des médias, scientifiques et politiques en sont des utilisateurs très actifs. Nombre de débats politiques ont également lieu, en partie du moins, sur Twitter et se développent de manière autonome dans les réseaux d’utilisateurs.

Cependant, il est important de vérifier quels candidats sont réellement influents sur Twitter. Il existe différentes façons d’identifier les utilisateurs de Twitter les plus actifs ou les plus populaires. Pour mesurer le succès des candidats, nous utilisons les réactions des autres utilisateurs à leurs tweets : celui qui reçoit le plus grand nombre d’appréciations (« likes ») et dont les messages sont le plus sujets à rediffusion (« retweets ») sera évalué, dans une première analyse, comme ayant le plus de succès.

Le graphique ci-après donne un aperçu de la situation sur la base des « likes » et des « retweets », car il y a une différence importante entre les deux. Les « tweets » de certains utilisateurs génèrent beaucoup d’appréciations, mais ne sont pas « retweetés » de la même manière et vice-versa.

Quelques candidats se démarquent clairement ; dans la figure, ceux qui dénombrent le plus de personnes inscrites (« followers ») à leurs listes de diffusion, en l’occurrence plus de 15 000, ou qui ont suscité beaucoup de réactions (plus de 25 000) sont mis en évidence par un code couleur.

Il est étonnant que seuls huit hommes politiques remplissent au moins un de ces deux critères : Roger Köppel, René Truninger et Claudio Zanetti, de l’UDC ; Jacqueline Badran, Christian Levrat et Cédric Wermuth, du PS ; Balthasar Glättli, des Verts et – ce qui est peut-être plus surprenant – Stefano Pesce, du PVL, au Tessin. Roger Köppel, avec plus de 175 000 « likes » et « retweets », est de loin le candidat qui fait montre de la plus grande notoriété malgré un nombre de « followers » qui n’est pas particulièrement élevé.

La campagne électorale traditionnelle

Dans un deuxième temps, nous avons cartographié le paysage médiatique suisse pendant un an. Au cœur de nos efforts se trouve la possibilité de classer en permanence et automatiquement les actualités politiques afin de savoir ce qui préoccupe les Suisses.

Thèmes et candidats au fil de la campagne électorale dans les médias suisses
Cette analyse résulte d’une collaboration avec l’étude électorale suisse (Selects) et la banque suisse de données (SMD) et se base sur le travail effectué par l’Année Politique Suisse (APS). Une vue d’ensemble détaillée se trouve ici.

L’analyse porte également sur les candidats individuels. Alors que sur Twitter, la présence et l’interaction servent de mesure pouvant donner une indication de l’influence d’un politicien, dans les médias traditionnels, c’est le nombre de mentions d’un nom : ceux qui sont cités plus fréquemment reçoivent plus d’attention.

Il s’agit généralement des présidents de parti ou de groupe parlementaire, dont la majorité sont des hommes, ainsi que d’anciens membres du Conseil national et du Conseil des États, qui sont connus au-delà de leur canton. Cependant, les jeunes politiciens peuvent aussi attirer l’attention des médias traditionnels, comme Fabian Molina du PS ou Mike Egger de l’UDC.

Comparaison entre campagne électorale traditionnelle et campagne numérique

Nous avons comparé le nombre de mentions dans les journaux avec le nombre de réactions sur Twitter et affichons nos résultats sous la forme d’une simple comparaison de ces deux canaux. La figure de gauche montre la comparaison directe de la présence dans les médias traditionnels et sur Twitter, tandis que la figure de droite se concentre sur la zone où se trouve le plus grand nombre de noms.

Les graphiques montrent clairement qu'il existe à la fois des vedettes des médias et des vedettes du web. Dans les médias traditionnels, les présidents de parti dominent, en particulier le président de l’UDC. En ligne, d’autres personnes telles que Claudio Zanetti et René Truninger (tous deux UDC) ainsi que Stefano Pesce (PVL) reçoivent relativement plus d’attention. Roger Köppel (UDC) et Cédric Wermuth (PS) sont tous deux très présents dans les médias sociaux et dans les médias traditionnels.

Dans la figure de gauche, il apparaît clairement que de très nombreux candidats ne sont ni fréquemment mentionnés dans les médias ni fortement présents sur Twitter. Ce sont généralement les personnalités déjà membres du Conseil national et du Conseil des États qui ont le plus de notoriété sur les deux canaux. Les exceptions sont des personnes comme Andri Silberschmidt (PRD) ou Tamara Funiciello (PS), qui ont davantage de notoriété en tant que présidents d’un jeune parti, mais qui ont la possibilité de se faire entendre surtout dans les médias sociaux. Ou encore Hannes Gassert, un nouveau candidat du PS de Zurich, qui, avec près de 6'000 réactions sur Twitter, figure au plus haut niveau de l’échelle, mais ne trouve dans les médias traditionnels aucun écho comparable.

Conclusion : la campagne électorale est un projet multimédia

Les candidats sont présents surtout sur Facebook, suivi par Twitter et Instagram. Mais les médias sociaux ne supplantent pas le débat dans les médias traditionnels, en particulier les journaux. En effet, les présidents de parti sont souvent représentés comme les porte-parole de leur parti, même s’ils ne se démarquent pas sur Twitter.

Sur Twitter apparaît plutôt une "démocratisation" de la visibilité médiatique : avec ou sans fonction politique, tout le monde peut attirer l’attention. Mais l’avantage réside clairement dans le fait que les candidats exercent déjà une telle fonction, ce qui leur permet de totaliser davantage d’abonnés (« followers ») dans la communauté Twitter suisse, lesquels servent à leur tour de multiplicateurs pour leur visibilité dans les médias sociaux.

Les candidats disposeraient ainsi de nombreuses possibilités de participer aux débats et de faire entendre leur point de vue. Cependant, certaines personnes réussissent beaucoup mieux que d’autres, car la majorité des 4 600 candidats n’ont suscité que peu ou pas de réaction lors de la campagne électorale actuelle, tant dans les médias traditionnels que dans les médias sociaux.

Le Digital Democracy Lab
Au cours de l’année électorale, le Digital Democracy Lab de l’Université de Zurich examine les apparitions des candidats dans les médias traditionnels et numériques.


Remarque : le présent article est un résumé de plusieurs articles de blogs qui ont été publiés sur le site internet Digital Democracy Lab.