Des digues mouvantes : La transformation politique des Pays-Bas sous Geert Wilders
Lisa Johan
22nd December 2025

Le paysage politique des Pays-Bas a connu un changement radical en 2023. Après une longévité record de 11 ans, le premier ministre Mark Rutte a laissé une vacance de pouvoir qui allait remodeler la politique néerlandaise. Geert Wilders, longtemps considéré comme un outsider politique, est sorti vainqueur des élections de 2023. Mais comment cette personnalité politique controversée a-t-elle réussi à remporter les élections et à devenir un homme politique aussi populaire dans le pays ?
Au début des années 2000, Pim Fortuyn s’est établi comme un leader de droite populaire aux Pays-Bas. Il a débuté en tant que chef du « Leefbaar Nederland » (LN), mais a été démis de ses fonctions au bout de quelques mois en raison de ses opinions et déclarations controversées, notamment l’abolition de la loi constitutionnelle sur la discrimination qui restreignait, selon lui, la liberté d’expression. Malgré sa destitution, Fortuyn gagna en popularité, ce qui l’amena à fonder son propre parti politique : « Lijst Pim Fortuyn » (LPF).
Il fut considéré comme un personnage influent, se positionnant comme l’outsider défiant l’élite politique établie. Fortuyn était devenu un populiste de droite radicale qui contestait les élites dominantes et s’opposait à l’immigration musulmane aux Pays-Bas, arguant que le multiculturalisme était une expérience ratée. Ses messages trouvèrent écho auprès d’une grande partie de la population néerlandaise, déçue et frustrée par l’élite établie en raison de l’échec du processus d’intégration des « travailleurs étrangers » et de leurs descendants (Ornestein, 2023).
Geert Wilders et l’héritage du populisme
Les événements prirent une tournure tragique lorsque Fortuyn fut assassiné le 6 mai 2002, deux semaines seulement avant les élections. La LPF remporta les élections cette année-là, mais sans chef. Les membres du parti ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur la marche à suivre, ce qui provoqua l’effondrement de la formation.
Geert Wilders a alors pu combler le vide politique de Fortuyn, tout en prenant ses distances avec le « Volkspartij voor Vrijheid en Democratie » (VVD) en 2004. Wilders s’en était séparé puisque le parti, selon lui, était devenu trop du centre politiquement et n’abordait pas des sujets tels que l’intégration, la migration et les problèmes des citoyens ordinaires (Fennema, 2016). Wilders a ensuite fondé son propre parti, le « Partij Voor de Vrijheid » (PVV), le « Parti pour la liberté ».
Bien qu’inspiré par Fortuyn, Wilders adopta une approche légèrement différente. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l’argument anti-islam, il s’attacha à problématiser l’immigration. En outre, Wilders créa un système concentré autour d’une unique personne au sein du parti (Fennema, 2016), ce qui signifie que le chef (lui-même) en constitue le seul membre, ceci afin d’éviter les conflits internes.
La popularité du Parti pour la liberté
Le « Partij Voor de Vrijheid » est une force dominante de la politique néerlandaise depuis plus de deux décennies. Au fil des ans, il a survécu à de multiples crises politiques, scandales et procès. Wilders a, par exemple, été poursuivi en justice pour ses déclarations prônant une réduction du nombre de Marocain-es aux Pays-Bas. Il a finalement été reconnu coupable d’avoir insulté collectivement un groupe de personnes, mais les autres chefs d’accusation ont été rejetés. Malgré ces difficultés, le PVV reste un parti relativement populaire aux Pays-Bas. Bien que d’autres partis de droite radicale aient vu le jour depuis la création du PVV, tels que le « Forum voor Democratie » (FVD) et « JA21 », aucun d’entre eux ne semble atteindre la popularité du PVV.
L’organisation du parti est très hiérarchisée, Wilders exerçant un pouvoir quasi absolu et prenant la plupart des décisions. Ce culte du chef est une caractéristique que les partis populistes de droite radicale semblent souvent partager. Le style de management de Wilders, caractérisé par des tactiques de peur et un leadership autoritaire, a transformé le PVV en ce que les experts décrivent comme une organisation sectaire. Wilders domine en tant que figure centrale du parti, et l’opinion et les actions de chacun sont soumises à la sienne. Cette dynamique explique le fait qu’aucune autre figure du « Partij Voor de Vrijheid » n’ait atteint une popularité comparable.
Wilders reçoit des menaces de mort depuis 2004 et a donc besoin d’une protection permanente pour sa sécurité. En conséquence, il est devenu de plus en plus paranoïaque et se présente comme un martyr de la cause néerlandaise. Lors d’un procès qui s’est tenu en 2020 contre lui pour des propos racistes présumés, Wilders s’est défendu en affirmant qu’il avait « souffert pour la liberté aux Pays-Bas ».
Wilders aux commandes
Les dernières élections de 2023 ont fait passer le parti PVV du rôle d’opposition vocale à celui de chef d’une coalition au pouvoir. Traditionnellement, la politique néerlandaise est marquée par le célèbre « modèle du polder », un système qui met l’accent sur la recherche du consensus. Dans la pratique, ce modèle exige de nombreux compromis et négociations entre les partenaires de la coalition. Bien que le PVV ait soutenu le cabinet par le passé en contribuant à un accord de coalition en 2010, les expert-es estimaient que les choses pourraient évoluer différemment cette fois-ci. En effet, le PVV remporta les élections sans discussion, plaçant le parti aux commandes du pays.
Malgré son style autocratique à la tête du parti, Wilders a été contraint, lors des négociations de la coalition, à refuser le poste de premier ministre pour garder le reste de la coalition dans le giron. Cette décision s’est avérée être une bénédiction cachée, car elle lui a permis de conserver son statut d’homme politique populiste: Geert Wilders faisait partie du gouvernement, lui permettant de s’opposer à toute décision ou politique dès qu’il en avait l’occasion, même si cela allait à l’encontre des intérêts de son parti.
Cette dichotomie est évidente sur ses profils de réseaux sociaux, où l’on peut voir qu’il a critiqué les membres de son propre cabinet. Cela inclut le premier ministre, tout en défendant farouchement certains ministres de son parti plus en phase avec ses opinions idéologiques, comme le soutien à la décision de la ministre de l’immigration Marjolein Faber (PVV) de mettre en œuvre des politiques d’immigration plus strictes (Leijnse, 2024).
Ce comportement a été perçu comme relevant d’un conflit d’intérêts par de nombreuses personnes, mais ne semble pas poser de problème à Wilders lui-même. Il avait trouvé le moyen de s’attribuer tous les mérites de ce gouvernement nouvellement élu, tout en prenant ses distances par rapport à ses échecs, tout en continuant à soutenir ses partisans du bout des lèvres. Alors qu’il avait maintenu ses opinions politiques non-conformistes en s’opposant au jeu politique néerlandais, il décida le retrait le PVV de la coalition gouvernementale après 11 mois au pouvoir. Les divergences politiques furent trop importantes entre les membres du gouvernement.
Le coût de la politique protestative
Comme dans de nombreux autres États membres de l’Union européenne, le vote pour le « Partij Voor de Vrijheid » semble avoir été un vote de protestation contre la politique néerlandaise contemporaine. Wilders a réussi à faire en sorte que la population se sente comprise et prise en compte, le tout en renforçant la popularité de son parti et en réduisant les risques de conflit interne. Il est ainsi parvenu à présenter son parti comme une formation aux idées bien arrêtées, avec des réponses claires et directes aux problèmes actuels de la société néerlandaise.
Avec le retrait du PVV de la coalition gouvernementale ainsi que la défaite de justesse lors des élections 2025, deux questions se posent: quelle influence Wilders continuera-t-il d’avoir sur son parti ? Pourra-t-il encore rester aux manettes après avoir délégué le pouvoir à d’autres personnes au sein du parti ? Les Pays-Bas ont été confrontés aux conséquences de l’influence de ce parti populiste de droite radicale, comme en témoignent les coupes opérées dans son système d’enseignement supérieur pionnier et la mise en œuvre de politiques d’asile plus strictes. Il reste à voir si la stratégie de Wilders portera au-delà de sa brève expérience au gouvernement et quelles seront ses conséquences à long-terme pour un pays qui s’est toujours considéré comme un chef de file en matière de gouvernance progressiste.
Remarque : Cette contribution est tirée d’une note de blog faisant partie d’une série sur l’essor du populisme de droite radicale. Elle a été éditée par Robin Stähli.
Références:
- Fennema, M. (2016). Geert Wilders Tovenaarsleerling. Prometheus.
- Fennema, M. and Walling, G. (2023). Geert de Wreker. Prometheus
- Leijnse, F. (2024). Wilders is dan geen premier, hij heeft wel alle touwtjes in handen. De Correspondent.
- Ornstein, L. (2023). Wie was Pim Fortuyn?
- Ornestain,L. (2024). Wie is Geert Wilders?
Image: Wikimedia
