Un encadrement de l’utilisation des IA génératives dans les administrations publiques ?

Sophie Weerts
30th October 2025

Les IA génératives comme outil à disposition des administrations publiques

En novembre 2022, la mise en accès public de ChatGPT a soudainement fait prendre conscience des avantages que peut offrir l’intelligence artificielle (IA). La technologie des grands modèles de langage qui se trouve derrière les IA génératives permet d’éliminer les tâches répétitives, de limiter les erreurs humaines, d’économiser du temps ou encore d’améliorer la qualité du travail et du service au public. Au sein de l’État, elle peut soutenir les personnes dans l’exécution d’un grand nombre de tâches. Dès lors, les IA génératives apparaissent comme cette nouvelle couche transformative de l’administration numérique.

Toutefois, les IA génératives posent une série d’enjeux. Ceux-ci concernent tout particulièrement le fonctionnement interne des organisations, du point de vue de leur sécurité, confidentialité et respect de la vie privée, mais aussi des compétences et expertise de leurs collaboratrices et collaborateurs. Le déploiement à large échelle de ce type d’outil requiert dès lors de s’interroger sur les conditions d’accès et d’usage qui méritent d’être déployées.

Une analyse exploratoire et comparative de cas d’études

Une étude exploratoire a été menée sur les premières activités réglementaires en matière d’utilisation d’IA génératives au sein des administrations américaines et européennes au cours de l’année 2023. Les États-Unis et l’Union européenne ont été choisis car ils ont rapidement adopté des textes encadrant l’activité de leurs organisations et leurs décisions sont souvent source d’inspiration pour d’autres États. De manière schématique, les États-Unis sont souvent perçus comme un écosystème dynamique et libéral alors que l’Union européenne est perçue pour son activité législative qui soit entraverait l’innovation, soit protégerait les droits individuels. Il serait donc attendu que les deux administrations offrent des réponses contrastées au regard de la réglementation de l’utilisation des IA génératives au sein de leurs services. Concrètement, 14 documents ont été adoptés au cours de l’année 2023. Ils ont été extraits de sites internet officiels ou obtenus dans le cadre de l’exercice du droit d’accès aux documents administratifs. Ils offrent des données appropriées pour sonder le positionnement des organisations en matière d’utilisation des IA génératives et ont permis de mettre au jour la philosophie organisationnelle à l’égard de la technologie, les scénarios de déploiement ainsi que les règles d’encadrement de son utilisation.

Des administrations animées d’une volonté d’ouverture encadrée à la technologie

L’analyse des documents a permis de mettre en exergue les similitudes et différences entre les acteurs américains et européens. Sur le plan des similitudes, les documents analysés montrent que les autorités partagent une vision positive des IA génératives et sont favorables à leur déploiement pour soutenir l’activité administrative. Trois scénarios de déploiement sont généralement envisagés : le premier est celui d’IA génératives développées au sein de l’administration ; le deuxième est celui d’IA génératives développées à l’externe mais qui, par le biais d’arrangements contractuels, sont adaptées aux besoins de l’administration ; le troisième est celui d’IA génératives développées par une entreprise privée et qui sont en libre accès.

Figure 1. Trois scénarios de déploiement

Figure : auteure

C’est à propos de cette dernière hypothèse que les différences apparaissent, les institutions européennes interdisant à leurs agents l’utilisation d’outils développés par des entreprises privées et qui sont en libre accès. Les documents montrent que plusieurs risques ont été identifiés : des atteintes à la sécurité, à la confidentialité, à la fiabilité de l’information produite. Face à ces risques, les agents sont tenus de respecter une série de mesures, mais les autorités prévoient également de former leur personnel. En outre, c’est une approche préventive qui est privilégiée, avec des outils d’analyse des risques. Enfin, les institutions européennes, soucieuses de protéger leur souveraineté numérique, prônent largement le recours à l’expérimentation avant un déploiement à large échelle au sein de l’administration. Autrement dit, dans un premier temps, les institutions américaines et européennes ont adopté des positionnements similaires en matière d’encadrement du déploiement et des usages des IA génératives au sein de leurs organisations. Depuis lors, de nombreuses approches similaires ont été observées dans d’autres États américains ainsi que dans des organisations européennes. Cela étant, les mesures initialement prises sous l’administration du président Joe Biden font l’objet d’un examen méticuleux en vue de déterminer ou non leur abandon, soulignant la fragilité de mesures non contraignantes.


Référence

Weerts, S. (2025). Generative AI in public administration in light of the regulatory awakening in the US and EU. Cambridge Forum on AI: Law and Governance, 1, e3. doi:10.1017/cfl.2024.10.

Note: cette contribution est tirée du dixième Policy Brief de l’IDHEAP. Elle a été éditée par Robin Stähli.

Image:  unsplash.com