L’espace idéologique du conclave papal
Alexandre Afonso
8th May 2025

L’élection du pape se rapproche. Indéniablement religieuse, Alexandre Afonso se penche sur les dynamiques politiques du conclave en examinant la sociologie politique des cardinaux votants.
Cette semaine, le conclave papal entame ses délibérations en vue d’élire le prochain pape. Je ne suis pas particulièrement religieux et je ne prétends pas non plus avoir une expertise particulière dans les affaires du Vatican, mais je suis tombé dans une spirale infernale. Récemment, j’ai découvert le College of Cardinals Report, un site web qui compile des données démographiques et idéologiques sur les cardinaux participant à l’élection. Il permet d’examiner de plus près la composition de l’« électorat » du conclave (si l’on peut l’appeler comme tel) et, pour un politologue, un moyen d’explorer les courants idéologiques susceptibles d’influencer la sélection du prochain pape.
Officiellement, bien sûr, rien de tout cela n’a d’importance. Le conclave n’a rien à voir avec la politique ; il s’agit de discerner la volonté de Dieu, les cardinaux étant guidés par le Saint-Esprit dans le cadre d’un processus d’inspiration divine. Mais mettons cette prémisse un instant de côté et supposons qu’il s’agit en fait d’un processus politique – où l’idéologie, la stratégie et la dynamique du pouvoir pourraient bien jouer un rôle. Étant donné qu’il y a environ 1,5 milliard de catholiques dans le monde, les implications de cette élection « apolitique » ne sont pas vraiment insignifiantes.
Le site web lui-même n’est pas des plus adéquat pour l’analyse des données, mais avec un peu de nettoyage des données et d’ajustements, il est possible de créer des graphiques et même d’effectuer quelques régressions.
Qui peut voter?
Le premier set de données comprend les 252 cardinaux, ainsi que leur pays d’origine, leur âge et le pape qui les a nommés. Cependant, tous les cardinaux ne peuvent pas voter : seuls ceux âgés de moins de 80 ans peuvent participer au conclave. Il reste donc 147 cardinaux votants dans les données. L’analyse de leurs caractéristiques démographiques révèle quelques tendances intéressantes.
In terms of geographical distribution, European cardinals still make up the largest share of the entire College of Cardinals. Among the voting cardinals—those under the age of 80—Europe dominates with about 39%, followed by Asia (17%), North America (15%), South America and Africa (both at 13%), and Oceania (2.7%). The chart below compares this distribution with the estimated share of Catholics worldwide, highlighting the fact that Europe remains significantly overrepresented. Latin America, for instance, holds the largest share of the global Catholic population but is represented by only a small fraction of the cardinal electors.
En termes de répartition géographique, les cardinaux européens représentent toujours la plus grande part de l’ensemble du Collège des cardinaux. Parmi les cardinaux votants – ceux qui ont moins de 80 ans –, l’Europe domine avec environ 39 %, suivie de l’Asie (17 %), de l’Amérique du Nord (15 %), de l’Amérique du Sud et de l’Afrique (13 % chacune), et de l’Océanie (2,7 %). Le graphique ci-dessous compare cette répartition avec la part estimée des catholiques dans le monde, soulignant le fait que l’Europe reste largement surreprésentée. L’Amérique latine, par exemple, détient la plus grande part de la population catholique mondiale, mais n’est représentée que par une petite fraction des cardinaux électeurs.

Image: Sophie De Stefani, DeFacto ·Source donné: The Cardinals Report
Also striking is the breakdown of who appointed these Cardinals. Of the electors in the report, a staggering 76% were appointed by Pope Francis. Just 18% were nominated by Benedict XVI, and only 5% date back to John Paul II. This distribution suggests that Francis has had a powerful hand in shaping the current electorate, which may in turn influence the ideological direction of the Church after his papacy.
La répartition des cardinaux selon le Pape qui les a nommés est également frappante. Parmi les électeurs mentionnés dans le rapport, 76 % ont été nommés par le pape François. Seuls 18 % ont été nommés par Benoît XVI et 5 % seulement remontent à Jean-Paul II. Cette répartition suggère que François a puissamment contribué à façonner l’électorat actuel, qui pourrait à son tour influencer l’orientation idéologique de l’Église après son pontificat.
Répartition des cardinaux votants par pape les ayant nommés

Image: Sophie De Stefani, DeFacto ·Source donné: The Cardinals Report
Cartographier les cardinaux
Le second ensemble de données est plus limité, puisqu’il couvre environ 40 cardinaux, mais il fournit des informations plus détaillées sur leurs positions concernant un ensemble de questions qui les divisent. Il s’agit notamment de l’ordination des femmes diacres, de la bénédiction des couples de même sexe, du célibat des prêtres, de l’usage de la messe en latin, de la gouvernance par synodes, des priorités environnementales (par exemple, Laudato Si’), de la communion pour les catholiques divorcés et remariés et de la réinterprétation de l’encyclique Humanae Vitae.
François a adopté une position plus ouverte sur bon nombre de ces débats, laissant place à la discussion ou publiant des réformes controversées, telles que l’autorisation de bénédictions non liturgiques pour les couples de même sexe et la restriction de la messe traditionnelle en latin. Ces mesures ont suscité à la fois l’espoir d’une modernisation et des réactions négatives de la part des traditionalistes. Les données idéologiques du rapport classent les positions des cardinaux sur chaque question selon qu’elles sont “favorables”, “opposées”, “ambiguës” ou “manquante”. Si nous cartographions les cardinaux pour lesquels ces données sont disponibles et que nous calculons un simple indice de progressisme allant de -1 à +1, voici ce que nous trouvons :

Image: Sophie De Stefani, DeFacto ·Source donné: The Cardinals Report
Cependant, comme les données « idéologiques » détaillées n’incluent qu’un petit nombre de cardinaux, j’ai élargi l’analyse en utilisant ChatGPT pour coder autant de cardinaux supplémentaires comme conservateurs ou progressistes. Bien que cette approche introduise inévitablement une certaine erreur de mesure, elle permet d’obtenir une image plus large de l’espace idéologique de l’électorat du conclave et rend possible l’exécution de régressions simples.
L’importance de celui qui nomme
L’un des prédicteurs les plus clairs de l’orientation idéologique à l’aide de cette variable dichotomique est le pape qui a nommé le cardinal. Une simple régression logistique le confirme : Les cardinaux nommés par François sont significativement plus susceptibles d’être codés comme progressistes que ceux nommés par Jean-Paul II ou Benoît XVI.
Probabilité d’être classé comme progressiste selon le pape l’ayant nommé
Selon le modèle, la probabilité d’être progressiste est 12 fois plus élevée pour les cardinaux nommés par François que pour ceux nommés par Jean-Paul II. Le lien pour Benoît XVI est positif mais n’est pas statistiquement différent de celui de JP. Cela suggère que François a réussi à faire pencher l’équilibre idéologique de l’électorat vers une direction plus progressiste.
Âge et idéologie
Un autre facteur important est l’âge. Une deuxième régression logistique montre que l’âge est négativement associé à la probabilité d’être progressiste (même en contrôlant la nomination du pape). En d’autres termes, les cardinaux les plus jeunes (ceux qui peuvent voter) sont nettement plus susceptibles d’avoir des opinions progressistes sur la doctrine et la pratique de l’Église. Cette tendance renforce l’idée que le centre de gravité idéologique du Collège des Cardinaux est en train de se déplacer.
Le prochain Pape
Étant donné que les trois quarts des cardinaux habilités à voter ont été nommés par François et que ces personnes sont nettement plus susceptibles de pencher vers le progressisme, on peut s’attendre à ce que le prochain pape s’aligne largement sur la vision de François. Bien entendu, les conclaves peuvent être imprévisibles et la formation de coalitions au sein du processus peut prendre des tournures inattendues. Néanmoins, les conditions structurelles suggèrent une poussée claire dans cette direction.
Les données utilisées pour cette analyse proviennent du Cardinals Report, certains codes idéologiques ayant été étendus grâce à la recherche assistée par ordinateur.
Image: unsplash.com
Note: cette contribution est tirée de la newsletter en économie politique d’Alexandre Afonso. Elle a été éditée par Robin Stähli, DeFacto.