1

Défis démocratiques : Le mythe de la participation

Yanina Welp
12th October 2022

Des attentes infondées nuisent aux processus de renouveau démocratique dans le monde entier. Trois sophismes l'illustrent : l'attribution d'une supériorité morale et/ou épistémique au "peuple" ; l'hypothèse selon laquelle la participation des citoyen.ne.s est supérieure à la représentation et fonctionne donc comme un remplacement souhaité de celle-ci ; et l'hypothèse selon laquelle le déficit de légitimité est résolu presque automatiquement par une participation accrue. Ces sophismes ont été alimentés tant par une tradition philosophique qui trouve ses racines chez Rousseau (l'assemblée libre et égale comme modèle démocratique idéal) que chez Hanna Pitkin (la représentation comme option disponible pour mettre la démocratie en action en raison de l'impossibilité de mettre en œuvre la participation directe ; en d'autres termes, la représentation comme "second best").

Ces derniers temps, la soi-disant crise de la démocratie a donné de l'espace à de nouvelles voix qui ont identifié l'origine de tous les problèmes dans les institutions représentatives. Le motif principal est le rejet des partis politiques, perçus comme des machines qui, dans la recherche du pouvoir et de sa conservation, privilégient leurs stratégies électorales à la recherche du bien commun. Ce faisant, ils ne parviennent pas à trouver les meilleures solutions aux problèmes qui se posent dans leur environnement. Il est clair que les partis ont une bonne responsabilité dans cette perception, cependant, l'accepter n'implique pas de valider les erreurs mentionnées ci-dessus.

Premièrement, le fait que les partis ne fonctionnent pas bien ne conduit pas à identifier une supériorité épistémique du peuple. Rien ne nous permet d'attribuer aux leader.use.s non partisan.e.s ou à ceux/celles des mouvements sociaux le fait d'"être le peuple", d'agir en tant que porte-parole de la volonté générale et de transcender ainsi la mesquinerie au profit de l'ensemble. La raison en est que le peuple n'est pas une entéléchie mais un groupe diversifié, avec des agendas en conflit et que ceux/celles qui agissent en tant que ses représentant.e.s ne peuvent pas se débarrasser de leurs facteurs de conditionnement (ethnique, sexe, classe, etc.). Loin d'être un problème, c'est une bonne chose, car une représentation plus descriptive jette les bases d'une plus grande inclusion.

Deuxièmement, les mécanismes qui mettent en œuvre la participation et la représentation sont divers et, loin de s'opposer, se nourrissent mutuellement. La participation renvoie à une multiplicité de formats qui n'éliminent en aucun cas les médiations. Les règles électorales avec leurs seuils de validation et leurs exigences en matière de prise de décision, les caractéristiques des leaderships et même l'ordre des prises de parole, pour ne citer que quelques aspects, ont une influence sur un processus de délibération et ses résultats.

Troisièmement et enfin, le déficit de légitimité n'est pas résolu en injectant de la participation, car participation et représentation vont de pair. Si l'un est absent ou très déficient, le résultat final sera mauvais. N'oubliez pas que dans les démocraties contemporaines, la méthode de participation la plus répandue est la méthode électorale. Pour renforcer la démocratie, il faut une bonne conception des canaux institutionnels pour que les citoyen.ne.s puissent faire entendre leur voix - par exemple, avec des initiatives populaires qui peuvent être activées par la collecte de signatures - et une bonne qualité de représentation - des partis et des leaderships sociaux qui ont du soutien. La légitimité est cuite à feu doux.

Ces réflexions s'inspirent de la récente défaite du projet de constitution chilienne mais n'ont pas pour but de souligner que le rejet massif du 4 septembre (61,9% contre et 38,1% en faveur, avec une participation de 85% à un premier vote obligatoire) peut s'expliquer par une raison abstraite et sans équivoque telle que "la crise de la représentation". Cependant, elle cherche à attirer l'attention sur certains sophismes qui conduisent à sous-estimer le poids et la complexité de la construction de la légitimité dans les systèmes démocratiques contemporains.


Référence:

Welp, Yanina. 2022. The Will of the People. Populism and Citizen Participation in Latin America. De Gruyter.

Source de l'image: Unsplash.com