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Les partis politiques ont du potentiel

Quentin Borgeat
25th August 2022

De quoi parlent les partis, et surtout à qui s’adressent-ils ? Ces deux questions animent la recherche et l’analyse des campagnes électorales. Les théories proposant des réponses à ces interrogations sont nombreuses. Certains diront que les partis surfent sur la vague en parlant de l’enjeu dominant l’agenda politique. D’autres argumenteront qu’au contraire les partis se concentrent sur leur électorat respectif. Dans ce contexte, je propose dans mon article une troisième voie. En me basant sur la définition des partis politiques comme étant des acteurs rationnels cherchant à maximiser le nombre de votes, j’argumente que les partis visent stratégiquement leurs électeurs potentiels à travers les enjeux qu’ils mettent en avant durant la campagne électorale.

Qu’est-ce qu’un électeur potentiel ? Et pourquoi eux ?

Je définis l’électeur potentiel selon deux conditions. Premièrement, la probabilité individuelle de voter pour le parti en question doit être supérieure à la moyenne individuelle de probabilité de voter pour l’ensemble des partis. Ensuite, l’individu ne doit pas déjà avoir voté pour le parti en question dans le passé. D’après cette simple définition, il s’agit donc d’un individu qu'un parti peut convaincre plus facilement que les autres. En effet, il est plus simple de convaincre un individu exprimant une inclinaison à voter pour vous qu’un individu n’ayant jamais l’intention de voter pour vous. De ce fait, pour un parti politique, il apparaît logique de construire sa stratégie électorale autour de ces individus plutôt qu’autour de tout l’électorat ou uniquement ses propres supporters.

D’une part, considérer l’ensemble de l’électorat ne fait pas sens car il existe une part, plus ou moins importante selon le parti en question, d’individus que les partis ne pourront pas convaincre. De ce fait, la logique voudrait que les stratèges des partis excluent ces électeurs. D’autre part, considérer uniquement ses propres supporters ne fait pas beaucoup plus de sens. Ces individus ont déjà voté par le passé pour le parti en question. Ainsi, construire toute sa stratégie autour d’eux empêche de gagner plus de voix que la dernière élection. Il s’agit davantage d’une consolidation qu’une expansion. Pourtant, les partis politiques sont des acteurs rationnels. Ils veulent gagner des voix. Leur stratégie doit donc être basée sur une vision expansionniste. De plus, le choix d’adapter sa stratégie d’emphase des enjeux aux priorités des électeurs potentiels représente le meilleur rapport coût bénéfice. Il s’agit de la stratégie la moins coûteuse car l’emphase sur certaines thématiques est temporaire. Elle dure le temps de la campagne et n’entraîne pas les mêmes implications qu’un changement de position. Les conséquences d’un changement de position sont plus durables. En effet, l’incohérence programmatique potentielle que cela peut engendrer abîme notamment l’image du parti et ainsi ses résultats électoraux.

Elections fédérales de 2019

Les résultats des élections fédérales de 2019 sont intéressants à plus d’un titre. D’une part, il faut relever le succès du Parti écologiste suisse (PES) et du Parti vert’libéral (PVL) lors des élections au conseil national, la fameuse vague verte. La figure 1 montre que ces deux succès sont principalement dus à des transferts de voix du Parti socialiste et du Parti libéral-radical (PLR). Près d’un tiers des voix remporté par les Verts provient du parti à la rose. 12% et 16% des électeurs des Vert’libéraux en 2019 avaient voté respectivement pour le PLR et le PS. Ces transferts de voix peuvent mettre en lumière mon argument à propos des électeurs potentiels. Les deux partis gagnants de ces élections ont certainement réussi à convaincre des électeurs potentiels (en bénéficiant également de la domination de l’enjeu du climat dans l’agenda). Au-delà de la vague verte, le PLR a réussi à convaincre des électeurs potentiels venant de l’UDC, 9%. Sans réussir à retenir complétement certains de ses supporters, le parti de droite a affaibli le premier parti du pays.

Figure 1- Processus de mobilisation: parti choisi en 2019 en fonction du comportement de vote en 2015 (en %)

Exemple de lecture : 69% des électeur-rice-s ayant voté UDC en 2019 avaient déjà voté UDC en 2015. 5% avaient voté PLR, 14% n’avaient pas voté en 2015 et 4% étaient des primo-votant-e-s. 
Source : Tresch, Anke, Lauener, Lukas, Bernhard, Laurent, Lutz, Georg et Laura Scaperrotta (2020). Élections fédérales 2019. Participation et choix électoral. FORS, Lausanne.

Dans ce contexte de volatilité électorale, le concept d’électeur potentiel prend tout son sens et sa pertinence. Les partis politiques cherchent à déclencher ces changements de vote en mettant l’emphase de leur communication sur les thèmes prioritaires des électeurs potentiels.

Implications

Ma recherche démontre précisément que les partis politiques suisses ont tenu compte de leurs électeurs potentiels respectifs en 2015 et 2019, mais également de leurs supporters. Ces résultats ont confirmé mes attentes théoriques. Plus un enjeu était important pour les électeurs potentiels, plus la probabilité que les partis parlent de cet enjeu était importante. Dès lors, nous pouvons parler d’electoral responsiveness, à savoir que les partis réagissent aux priorités des électeurs. Ma recherche participe du débat autour de la relation complexe entre les partis politiques et les électeurs. Le sens de cette relation est sans cesse questionné. Les partis influencent-ils les électeurs ou les électeurs influencent-ils les partis ? Il s’agit du sempiternel débat de l’œuf ou de la poule. Selon moi, les deux mécanismes sont en action. Pour autant, je suis convaincu que la préparation des campagnes nécessite la connaissance des préférences et priorités des électeurs. Sans cela, la campagne électorale ne peut atteindre son objectif efficacement. Pour convaincre des individus, il faut les connaître.


Référence:

Borgeat Q. (2022). Hit the right target! The Role of Issue Saliency among a Party's Potential Voters as a Determinant of the Party's Issue Emphasis in Switzerland. Swiss Political Science Review, 28(2): 209-229.

Source de l'image: Unsplash.com