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Big data et administrations publiques : l’importance de l’adhésion des employé·e·s

Stefan Stepanovic, Tobias Mettler
24th June 2022

Au cours de ces dernières années, le terme de big data a su s’imposer dans l’espace médiatique et dans le débat public sur la digitalisation du travail. Dans le service public, le big data est souvent appréhendé comme une “boite noire” : on se concentre assidûment sur les questions légales (liées à l’accès à des masses de données) ou on s’intéresse aux perspectives techniques des outils qui y sont dédiés ; mais peu de choses sont connues sur les défis organisationnels qui découlent de l’introduction de ces technologies dans les organisations publiques.

L’adhesion des employé·e·s : element clé pour allier big data et santé au travail

Ainsi, un des buts de l’unité de management de l’information est de mener une recherche appliquée pour comprendre comment les employé·e·s des administrations publiques suisses réagissent face à l’implémentation des technologies big data, notamment pour des questions de santé au travail. Plus précisément, nous abordons les enjeux (1) de motivation parmi les employé·e·s à utiliser des dispositifs récoltant des données de santé ainsi que (2) d’utilisation dans la durée de ces dispositifs. Ceci est essentiel car la réussite de l’implémentation de ces dispositifs repose principalement sur une utilisation volontaire et régulière des individus. Mettre en avant la perspective des employé·e·s permet ainsi de s’assurer de la légitimité et de la portée d’une telle technologie pour des questions de santé au travail. L’importance de cette perspective a d’ailleurs été renforcée par la pandémie de COVID-19 qui a entrainé une hausse du traçage numérique des citoyen·ne·s et de leur santé.

Une étude de cas

Pour mener à bien ce projet, nous avons notamment réalisé, en 2018, une étude de cas dans une administration publique d’une ville suisse de 10’000 habitants. Dans le cadre d’une initiative de promotion de la santé au sein de l’organisation, nous avons offert de distribuer des dispositifs “physiolytics” à des volontaires pendant 6 semaines. Après une session d’introduction, un peu plus de la moitié des employé·e·s approché·e·s ont confirmé leur participation (19 individus sur 32, répartis dans les quatre services partenaires de notre projet : l’administration fiscale, la gestion des constructions, le service social et la chancellerie).

En termes de collecte de données, une approche mixte (qualitative/quantitative) a été privilégiée. Pour le volet qualitatif, nous avons animé des groupes de discussion avant, pendant et après l’introduction des appareils physiolytics pour recenser les opportunités et risques perçus par les participant·e·s vis-à-vis de cette technologie. Pour compléter cette perspective, nous avons aussi intégré des données quantitatives, au travers du temps d’utilisation effectif des dispositifs par les participant·e·s. Ainsi, nous avons pu non seulement apprécier les déterminants de l’adhésion des employé·e·s, mais aussi la matérialisation de cette adhésion dans le temps.

Illustration 1: Dispositifs physiolytics utilisés dans le projet et visualisation du degré de stress

Les dispositifs nommés “physiolytics” (Wilson 2013) sont des appareils portatifs avec capteurs (bracelets, montres connectées, etc.) qui mesurent et analysent des paramètres physiologiques (pouls, sueur, respiration, etc.) et comportementaux (activité physique, apport calorique, etc.). Ils servent ainsi à renseigner les individus, aux moyens d’algorithmes, sur leur état de santé (typiquement leur niveau de stress).

Résultats, discussions et implications

Découvrir de nouvelles informations sur soi-même, se divertir et créer une nouvelle routine au sein de l’organisation constituent les aspects qui motivent les employé·e·s à prendre part à une initiative numérique de promotion de la santé (résultats obtenus par notre recherche qualitative).

A contrario, outre l’appréhension d’une surveillance organisationnelle (qui est le frein principal à la participation), les facteurs nuisant à l’adhésion sont l’anticipation d’un décalage entre les participant·e·s et les non-participant·e·s, l’augmentation de la compétition au sein de l’organisation (les données de santé créent des points de comparaison entre individus ainsi que de nouvelles normes en termes d’activité physique) et la fin d’une “phase initiale de curiosité” (le dispositif est davantage perçu comme un gadget qu’un outil de promotion de la santé). Le poids de ces derniers éléments se traduit notamment dans la dynamique de l’utilisation des dispositifs (c.f. Illustration 2), avec une baisse significative et constante du nombre de partcipant·e·s actif·ve·s [1]. Il apparaît ainsi qu’une technologie big data, à elle seule, ne se suffit pas à porter un programme de santé au travail.

Illustration 2: Dynamique d’utilisation des dispositifs physiolytics

Dans tous les cas, une observation longitudinale permettrait de compléter les résultats de cette étude de cas. Et ce, à plus forte raison, car la crise sanitaire du Covid-19 a possiblement altéré les perceptions individuelles des enjeux de santé au travail.

[1] Un·e participant·e est considéré·e comme actif·ve lorsque son dispositif physiolytics a été porté pendant au moins cinq heures dans une journée.


Note: cet article a été publié dans le cadre du IDHEAP Policy brief.

  • Stepanovic, Stefan et Tobias Mettler (2021). Big data et administrations publiques : l’importance de l’adhésion des employé·e·s. Policy Brief, édition 1, Novembre 2021. Lausanne: IDHEAP.

Référence:

  • Wilson, H.J. (2013) Wearables in the Workplace, Harvard Business Review (91 :11), pp. 23-27. 

 

Image: Dispositifs physiolytics utilisés dans le projet et visualisation du degré de stress